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V

Longtemps l'opposition parlementaire qui, après les événements de 1815, s'était formée dans la diète polonaise, avait cru que la Constitution octroyée par l'empereur Alexandre suffirait seule pour détruire, par une action sourde mais continue, la puissance russe dans le vieux royaume des Jagellons. Toutefois l'impatience s'en mêla, et, d'ailleurs, le moyen était-il bien efficace? Une franc-maçonnerie politique se produisit bientôt. L'association des Faucheurs, la société des Templiers, se formèrent sous les inspirations de Lukasinski et de Maiewski. Alors, également, la police russe redoubla de sévérité et de vigilance. Le prince Zaionzek, lieutenant du royaume, était mort huit mois après l'empereur Alexandre, et le grand-duc Constantin se trouvait investi de toute l'autorité. Des recherches minutieuses, dirigées par la police en Pologne et en Lithuanie, suivirent l'avortement de l'insurrection de 1825 à SaintPétersbourg, et un comité d'enquête extraordinaire y fut constitué. Il se composait de cinq Russes et de cinq Polonais. Plus de deux cents personnes furent arrêtées à cette époque, mais huit seulement

furent inculpées, et plus tard graciées; la prudence des conspirateurs empêcha qu'on découvrit alors aucune trace du complot.

Il existait cependant comme le feu qui couve sous la cendre; il existait et étendait peu à peu ses ramifications dans l'armée polonaise; seulement il lui fallait un chef, une tête, et l'on convint de s'adresser à l'un des généraux qui, par suite de quelque mécontentement, s'étaient retirés du service. On avait songé au général Chlopicki, que sa réputation militaire et son caractère honorable plaçaient en effet au premier rang. Chlopicki, homme d'initiative et de franches allures, n'aimait pas les sourdes menées, les intrigues nombreuses d'une conjuration; il s'abstint, vécut à l'écart, et parut ne vouloir prendre aucune part aux projets insurrectionnels formés par ses compatriotes.

Le complot militaire, privé de chef, mais fort des sympathies qu'il rencontrait, n'en devint pas moins de jour en jour plus sérieux et plus puissant. L'école des porte-enseignes, foyer de propagande active, était presque exclusivement composée de conjurés dont la jeunesse exaltait le patriotisme. Pierre Wysocki, Nowosielski, Szlegel, Xaliwski, s'y faisaient remarquer par leur audace; Wysocki, chargé de communiquer avec les jeunes officiers de l'armée, fonda, le 15 décembre 1828, une association pour l'indépendance nationale. Un mois

après, il comptait de nombreux complices dans la garnison de Varsovie. Plusieurs députés, entre autres Gustave Malachowski et Valentin Zwierkowski, se mettaient en rapport avec lui. Les lenteurs de la guerre de Turquie semblaient alors devoir favoriser les desseins de la conspiration polonaise. Ce fut au milieu de ces circonstances que le tsar vint à Varsovie en 1829, pour se faire couronner roi de Pologne. Les conjurés formèrent aussitôt le plan d'un soulèvement, en lui donnant, dans le but de le fortifier et de le généraliser, l'apparence des formes légales. On décida qu'une députation de la chambre des nonces présenterait à l'empereur une requête tendant à obtenir la révocation de l'article additionnel qui annulait la publicité des débats de la diète. Si Nicolas refusait, comme la chose était probable, on devait également refuser de lui prêter serment, et alors la révolution éclatait. Ce plan ne put se réaliser; le grand-duc Constantin annonça lui-même que la députation ne serait pas reçue par le tsar, et, l'ancien projet se trouvant ainsi renversé, il fallut recourir à une combinaison nouvelle beaucoup plus audacieuse que la première : il ne s'agissait de rien moins, cette fois, que de frapper l'empereur ainsi que tous les membres de sa famille, et la hardiesse même de ce dessein le fit complétement avorter. Les conjurés y renoncèrent la veille de son exécution, laissant ainsi se terminer

sans catastrophe les fêtes brillantes du couron

nement.

Cependant la diète avait été convoquée pour le 28 mai 1830, après une interruption de cinq années, contraire à la lettre de la Constitution. La loi sur le mariage et le divorce, votée une première fois, mais dont l'application avait produit des résultats déplorables, fut soumise à une nouvelle appréciation des chambres. Le sénat l'accepta; la chambre des nonces la repoussa après une discussion dans laquelle son hostilité à l'égard du gouvernement s'était manifestée de la façon la plus significative. Enfin, peu de jours avant la clôture de la diète, le nonce Malachowski rédigea et présenta un acte d'accusation contre les ministres de la justice, des finances, de l'instruction publique et de la police. Les voix s'étant partagées également à une première épreuve, le parti gouvernemental craignit que l'opposition ne l'emportât en définitive, et traîna si bien les choses en longueur, que la clôture de la diète fût prononcée avant qu'on pût en venir à une épreuve nouvelle.

Ces faits parlementaires étaient d'autant plus graves qu'ils se passaient sous les yeux de l'empereur, dont le séjour s'était prolongé jusqu'à la fin de la session. Les tendances insurrectionnelles de la Pologne n'avaient pas dû lui échapper, et, pour tout esprit clairvoyant, il devenait évident, en

effet, que la moindre commotion politique en Europe provoquerait un mouvement à Varsovie. Aussi les précautions redoublèrent-elles sans pouvoir toutefois arrêter le travail révolutionnaire qui s'étendait sourdement dans les diverses classes de la population, et le tsar était à peine revenu à Saint-Pétersbourg, que la révolution de Juillet éclata en France.

Trois mois après, Wysocki rassemblait autour de lui un certain nombre d'officiers pris parmi les divers corps qui formaient la garnison de Varsovie; soixante-dix délégués étaient élus par eux, et devaient être assistés par des émissaires nombreux dans la tentative insurrectionnelle qui leur était imposée. On comptait toujours sur le général Chlopicki pour diriger le grand mouvement qu'on méditait, sans toutefois que le général eût pris le moindre engagement à cet égard. A la suite de ces conciliabules, le 29 novembre 1830 fut fixé par les conjurés pour le soulèvement national qu'ils avaient si mûrement conçu, si longtemps préparé : rêve d'indépendance, suivi pour la Pologne du terrible réveil qu'elle pouvait trop facilement prévoir.

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