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nomma à l'unanimité Chlopicki général en chef de l'armée, et ce dernier accepta la difficile mission qu'on lui confiait. Vieux soldat des légions de Kosciuszko et de Dombrowski, il avait acquis en Espagne, sous les ordres du duc d'Albuféra, une réputation d'habileté et de bravoure dont la gloire semblait rejaillir sur la Pologne entière; de là, l'immense popularité dont il jouissait, et que sa retraite prématurée sous l'administration du grandduc Constantin n'avait fait que confirmer, en donnant à cet éloignement volontaire toute l'apparence d'une disgrâce. Assurément, si la cause de la Pologne eût pu être sauvée en 1830, c'eût été par le concours d'un tel homme; si ce beau rêve d'indépendance complète avait pu être réalisé, c'est avec le soutien et par l'effort de son bras; et cependant la calomnie s'est depuis lors attachée à Chlopicki, et l'accusation de trahison n'a pas même été épargnée au brave soldat: ingratitude des révolutions, ordinaire, inévitable!

Constantin, après avoir rejoint ses troupes, s'était retiré à Mokotow, point très-rapproché de Varsovie. Quelques régiments polonais l'y avaient suivi, et ses généraux le pressaient vivement de rentrer dans la ville pour anéantir la révolte à son début. Le grand-duc s'y refusa, et ne voulut rien. compromettre. Il espérait peut-être, en songeant à la disproportion des forces de la Pologne compara

tivement à celles de la Russie, qu'une négociation pourrait s'engager entre lui et les nouvelles autorités nommées par le conseil administratif. Mais un mouvement aussi national que celui de Varsovie ne pouvait pas être ainsi comprimé, et la suite ne prouva que trop bien au grand-duc qu'il devait plus compter sur les dissensions intestines de la Pologne que sur sa soumission. Il demanda que les vœux de la nation lui fussent exposés par une députation prise dans le sein du conseil administratif, et, pour obtempérer à ce désir, les princes Czartoryski et Lubecki, MM. Lelewel et Wladislas Ostrowski se rendirent à son quartier général.

Cette députation fit connaître au prince qu'après le mouvement national qui venait de se produire, les Polonais lui laisseraient en toute liberté regagner les frontières du royaume, pourvu que la Russie s'engageât à remplir les promesses de l'empereur Alexandre concernant la restitution des provinces incorporées à l'empire, et la fidèle exécution, dans toute sa teneur, de la constitution qu'il avait accordée. La conférence dura plusieurs heures. Le grand-duc, dont la position était si difficile, ne prit aucun engagement, mais consentit à la rentrée dans Varsovie des troupes polonaises qui l'avaient suivi à son quartier général, et les résultats de l'entrevue furent consignés dans une lettre adressée par lui, le 3 décembre, au conseil administratif.

« Je permets, disait-il, aux soldats polonais qui me sont demeurés fidèles jusqu'au dernier moment de rejoindre leurs compatriotes. Je m'éloigne de Varsovie avec les troupes impériales, et j'espère de la loyauté polonaise qu'elles ne seront pas inquiétées dans leur marche pour regagner l'empire. Je recommande également à la protection de la nation polonaise tous les établissements, propriétés et individus russes, et je les mets sous la sauvegarde de la foi la plus sacrée. »

Puis, tandis que les gardes polonaises revenaient vers les faubourgs de Varsovie, l'armée russe évacuait Mokotow, se dirigeant sur Pulawy et Lubartow, c'est-à-dire remontant la Vistule. Telle fut en quelque sorte la fin du premier acte de ce grand drame, qui désormais allait tenir toute l'Europe attentive à ses nombreuses et sanglantes péripéties.

Cependant, un corps russe de deux cent mille hommes était réuni au delà du Bug, et n'attendait qu'un signal pour entrer en campagne. Il n'est plus douteux aujourd'hui que l'empereur Nicolas, en concentrant sur ce point des forces considérables, et en rassemblant dans la forteresse de Modlin une immense quantité d'armes et d'approvisionnements de guerre, n'ait eu l'intention d'aller combattre, même au delà du Rhin, les idées révolutionnaires dont il pouvait redouter alors les développements

probables; mais il n'avait pas compté que la révolution viendrait le chercher ainsi jusque chez lui, et ses puissants efforts allaient immédiatement se diriger contre elle.

Le danger était grand pour la Pologne; les hommes chargés des destinées de la nation le comprirent, et voulurent constituer promptement un gouvernement sérieux. Czartoryski, Kochanowski, Pac, Dembowski, Niemcewicz, Lelewel et Wladislas Ostrowski, composèrent le gouvernement provisoire qui devait remplacer le conseil administratif. Tous ces noms donnaient à la nation des garanties politiques. Les services publics furent immédiatement organisés. On constitua une garde nationale et une légion universitaire; en un mot, on chercha à régulariser la révolution, et, pour donner au pouvoir l'unité qui, d'après les idées de toute sa vie, devait en être la condition première, le général en chef Chlopicki publia, le 5 décembre, la proclamation suivante : « Notre position critique réclamant la plus grande énergie, et tout ce qui entraverait la marche des affaires pouvant devenir fatal à la cause publique, non par ambition ni par amour du pouvoir (j'en suis bien éloigné), mais eu égard aux circonstances, et prenant pour exemple les Romains qui, lors du danger planant sur la patrie, confiaient à un seul la puissance suprême, je vous déclare aujourd'hui, Polonais, que je

m'empare pour peu de jours, c'est-à-dire jusqu'à la réunion des chambres, de la charge de dictateur. Je remettrai mon pouvoir aux mains des mandataires de la nation. Croyez, compatriotes, que j'userai de ce pouvoir pour votre bien seulement. Vive la patrie ! »

Cet acte d'autorité ne fut que faiblement combattu, parce que, dans des circonstances aussi critiques, assumer ainsi toute la responsabilité matérielle et morale des faits, pouvait passer pour un grand acte de courage. Mais la révolution polonaise entrait dans une phase nouvelle désormais prendrait-elle l'initiative; s'avancerait-elle en Lithuanie, et insurgerait-elle les anciennes provinces partagées, ou bien, restant sur la défensive, concentrerait-elle la résistance dans les huit palatinats de la Pologne réduite par les traités? Grande question d'où dépendait peut-être l'avenir du mouvement national de 1830.

VII

Nous avons dit que les débats du procès des ministres de Charles X devaient commencer le 15 décembre. Le baron Pasquier, président de la Chambre des pairs, s'était adjoint le premier

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