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Le congrès, poursuivant son œuvre, souleva et résolut bientôt la question importante de l'institution d'un sénat; les principes de l'hérédité et de la nomination par le roi ayant été repoussés, on adopta une combinaison par laquelle les sénateurs seraient soumis à l'élection comme les membres de la Chambre des représentants eux-mêmes, mais à un degré d'élection différent. La question de la liberté de la presse fut également soumise au congrès, dans ces premiers moments de son existence, et le projet de loi immédiatement voté à la presque unanimité des suffrages. Bientôt aussi la Belgique dut songer à établir de sérieuses relations diplomatiques avec les puissances étrangères. M. Lehon fut envoyé à Paris et M. Vilain XIIII partit pour Londres. Pendant ce temps, lord Ponsonby arrivait à Bruxelles, où, comme nous l'avons dit, la France était en ce moment représentée par M. Bresson. Ces deux derniers diplomates se trouvaient réciproquement dans une position aussi délicate que difficile devant réunir leurs efforts lorsqu'il s'agirait d'imposer à la Belgique les décisions prises par la conférence, et contraints aussi de surveiller en quelque sorte leur attitude respective.

La position de M. Bresson offrait encore plus de difficultés, il faut bien le dire, que celle de lord Ponsonby, car les dépêches qui lui arrivaient de

Paris, signées du général Sébastiani comme ministre des affaires étrangères, contrariaient quelquefois les protocoles qui lui parvenaient de Londres signés par le prince de Talleyrand. Ce fut ainsi que la France, après avoir adhéré aux dix premiers protocolės, refusa de ratifier ceux portant les numéros 11 et 12, produits en janvier 1831. L'ensemble des articles de ces deux protocoles était destiné à former une espèce de convention préliminaire, et à constituer les bases de l'indépendance et de l'existence future de la Belgique; il y était question des limites territoriales qui devaient séparer la Belgique de la Hollande, et de l'intention de constituer la première comme pays neutre à perpétuité. On y statuait également sur les arrangements financiers qui devaient terminer toute contestation entre les deux États1. Le congrès avait protesté solennellement contre le 11 protocole, et le comité diplomatique avait chargé le ministre des affaires étrangères de renvoyer le 12o à lord Ponsonby, en l'accompagnant d'une note par laquelle il déclarait que ce dernier acte accusait une partialité évidente de la part des puissances, qui paraissaient dévier du principe de

1. La conférence proposait d'attribuer à la Belgique les 16/31es de la totalité de la dette inscrite au grand livre du royaume des Pays-Bas, et dont les intérêts à 2 1/2 p. 100 s'élevaient en total à la somme de 27,772,275 florins.

simple médiation, objet avoué de la conférence. MM. Van de Weyer et Vilain XIIII avaient en effet reçu des instructions pour réclamer la possession de toute la rive gauche de l'Escaut, du Luxembourg, sauf les points qui entraient dans la confédération germanique, et du Limbourg, en y comprenant Maestricht.

Ces prétentions furent rejetées par la conférence, et les deux envoyés belges quittèrent Londres après avoir adressé aux plénipotentiaires une note assez énergique au sujet de la libre navigation de l'Escaut. Pendant ce temps, le cabinet hollandais, auquel les propositions contenues dans les protocoles déjà mentionnés, surtout celle qui concernait la dette, présentaient un avantage évident, s'empressait habilement d'adhérer aux actes émis par la conférence, dont la préoccupation majeure était de paraître omnipotente.

III

Le ministère Laffitte, même avec les nouveaux éléments dont on venait de le renforcer, était-il bien capable de résister aux partis qui, trompés une première fois dans leurs calculs, dans leurs espérances, allaient se déchaîner, non pas seule

ment contre lui, mais encore et surtout contre l'établissement de Juillet? Malgré l'heureuse issue du procès des derniers conseillers de Charles X, l'anarchie était grande, plus grande peut-être dans les esprits que dans la rue. Les écoles, officiellement remerciées par la Chambre pour leur attitude pendant les dernières émeutes, ne craignaient pas de dire dans une protestation livrée à la publicité : « Les écoles avaient été calomniées; on les accusait de vouloir se mettre à la tête des artisans de troubles, et obtenir par la force brutale les conséquences du principe consacré par notre sang. Nous avons protesté solennellement, et nous avons payé comptant la liberté qu'on nous marchande; nous avons prêché l'ordre public, sans lequel il n'y a point de liberté. Mais l'avons-nous fait pour provoquer les remerciments et les battements de mains de la Chambre des députés? Non, nous avons accompli un devoir ah! sans doute, nous serions fiers et glorieux des remercîments de la France; mais nous cherchons vainement la France dans la Chambre des députés.... »

Et, du reste, certains orateurs, tels que Dupont (de l'Eure) et Eusèbe Salverte, ne respectaient pas beaucoup plus l'autorité de la Chambre que les étudiants eux-mêmes. « La liberté, disait M. Guizot dans son grave et philosophique langage, la liberté est venue après plusieurs révolutions, et je

ne doute pas que notre génération de Juillet ne la porte aussi dans son sein; mais l'esprit des révolutions, des insurrections, lui est radicalement contraire. Les pouvoirs insurrectionnels sont trèspropres à accomplir une révolution, mais ne leur demandez pas la liberté, ils sont incapables de la produire..... Le mal véritable et profond qui vous travaille, c'est donc cette tentative de rétablir au profit de l'insurrection l'article 14 de la Charte. » Le mal était là en effet, et il eût été difficile d l'indiquer d'une façon plus ingénieuse. Le péril de la situation apparaissait, du reste, avec toute sa gravité aux hommes doués de l'instinct gouvernemental, quelle que fût d'ailleurs leur nuance d'opinion. «< Depuis cinq mois, disait à son tour M. Mauguin, l'ordre a été troublé dans la capitale; depuis cinq mois le crédit public a été atteint, le commerce ruiné, l'industrie anéantie; depuis cinq mois enfin, quand on jette un regard sur la France, on aperçoit presque dans chaque département des mouvements partiels de mécontentement populaire. Ce sont là des indices d'un malaise profond qu'il faut étudier et connaître, afin qu'il n'amène pas un jour des maux plus grands encore. Quel est donc cet ordre social si frêle et si agité, cet ordre social qui n'offre de sécurité ni aux personnes ni aux intérêts? Législateurs! ces questions sont graves, et c'est déjà un malheur d'avoir à les poser. »

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