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Il est douloureux en effet de sonder une plaie, mais ne faut-il pas toujours en avoir le courage? Les partis étaient disposés à relever la tête, la chose était certaine; celui de la république, étonné de l'insuccès de sa dernière tentative, et abattu par la mesure vigoureuse que M. de Montalivet n'avait pas hésité à prendre en licenciant l'artillerie de la garde nationale de Paris, ne paraissait pas le plus redoutable en ce moment; mais il ne lui fallait qu'une occasion pour se produire de nouveau, et l'imprudence du parti légitimiste allait précisément la lui fournir.

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Le gouvernement de la Restauration avait des racines dans le pays. On conçoit, en effet (sans parler des traditions, des souvenirs, que le retour de cette vieille race de rois avait réveillés en France), qu'on ne gouverne pas pendant quinze années un grand peuple sans laisser derrière soi quelques traces, quelques amis. Si, en trois jours, et grâce à ses propres fautes matérielles, la royauté légitime avait été matériellement vaincue, sa souveraineté morale n'avait pas disparu avec elle. En un mot, les Bourbons en tombant, et précisément à cause de la rapidité de leur chute, n'étaient pas tombés tout entiers.

Il n'est pas inutile de le remarquer d'ailleurs : si aujourd'hui, fatiguées, saturées de changements politiques, blasées sur les révolutions, les popula

tions françaises, indifférentes à tout ce qui ne touche pas leurs intérêts personnels, se montrent disposées à soutenir, à défendre un gouvernement, parce que ce gouvernement, en garantissant ces intérêts, leur donne des preuves de force, des gages de stabilité, il n'en était pas de même alors, et le sentiment politique, l'opinion, existaient encore dans les masses, quoique moins ardemment qu'au commencement du siècle. Ainsi, il pouvait être vrai de dire que les riches individualités légitimistes, stupéfiées du rapide triomphe révolutionnaire dû à la centralisation parisienne, et qui frondaient de loin, retirées qu'elles étaient dans leurs vieux manoirs de province, ne constituaient pas un parti sérieux, un parti redoutable, précisément parce qu'elles ne descendraient jamais dans la rue le fusil à la main, et ne construiraient pas de barricades; mais il n'en était pas moins certain que dans les départements du midi, en Bretagne, dans la Vendée, et sur plusieurs points isolés du centre de la France, les masses étaient très-nettement légitimistes, et que le noyau des fidèles épars, joint aux officiers licenciés ou démissionnaires de la garde royale et de la maison du roi, pouvait à un jour donné causer, en s'unissant à ces populations guerrières, convaincues, de très-graves embarras au gouvernement de Juillet. Seulement une direction habile, sage, acceptée de tous, manquait au

parti de la branche aînée. Des divisions existaient d'ailleurs dans son sein.

Charles X et son fils, le Dauphin, recueillis d'abord au château de Lullworth, en quittant les côtes de France, puis autorisés par le roi Guillaume IV à habiter le palais d'Holy-Rood, n'avaient d'abord, tout absorbés qu'ils étaient par les détails pénibles, douloureux, de la vie nouvelle qui leur était faite, songé qu'à leur attitude privée, qu'à la dignité de leur maintien en face de la France et de l'Europe. Mais, après les premières heures de l'exil, les préoccupations politiques revinrent. Charles X et le Dauphin n'avaient abdiqué que sous la condition expresse de la royauté du duc de Bordeaux. Cette royauté de Henri V, que devait protéger la -lieutenance générale du duc d'Orléans, n'avait pas été proclamée, et, la condition n'étant pas remplie, l'acte pouvait paraître nul aux yeux du vieux roi et de son fils. Mais le plus grand nombre des légitimistes n'acceptait pas cette distinction, tenait les deux abdications pour un fait sérieusement accompli, et reconnaissait la royauté mineure du duc de Bordeaux, avec la tutelle de Mme la duchesse de Berry.

Cependant la famille royale exilée était loin d'admettre ce dernier point. Charles X, Mme la Dauphine et leur entourage habituel, MM. le cardinal de Latil, de Blacas et de Damas, trouvaient

la duchesse de Berry impatiente, imprudente, trop jeune d'esprit et d'imagination. Charles X tenait particulièrement d'ailleurs à conserver la tutelle et la garde de son petit-fils, auquel il avait donné M. de Blacas pour gouverneur. Le vieux roi voulait ainsi demeurer à la tête de son parti, en garder la direction, et la division qui s'était produite à cet égard dans le sein de la famille royale avait été assez grande pour que Mme la duchesse de Berry, au lieu d'aller habiter le palais d'Holy-Rood avec ses enfants, eût fixé sa résidence à Londres, d'où il lui était plus facile, du reste, d'entretenir d'actives relations avec les cours de Naples, d'Espagne, de Piémont, et avec ses amis de France.

M. de Talleyrand, bien placé pour étudier cette double situation dans ses moindres détails, ne manquait pas d'en instruire directement LouisPhilippe par une correspondance secrète, où, avec des termes d'une convenance parfaite, il lui dépeignait d'un côté Charles X entouré de son conseil, composé de MM. de Montbel, d'Haussez, le baron Capelle, le maréchal de Bourmont, indépendamment des personnages que nous avons déjà cités; de l'autre M la duchesse de Berry au milieu des officiers de la garde, des jeunes Vendéens et Bretons, qui venaient lui offrir le concours de leur épée : l'un représentant le vieux parti royaliste avec ses instincts, ses affections, ses répugnances,

sa diplomatie occulte, dirigée par le duc de Blacas; l'autre personnifiant le jeune parti légitimiste, ardent, romanesque, tout prêt à se jeter dans les aventures, prenant pour patrons de sa politique MM. de Chateaubriand, de La Ferronays, de Latour-Maubourg 4.

Ces deux fractions d'un même parti se détruisaient mutuellement, il est aisé de le comprendre; l'action de l'une annihilait presque toujours les desseins de l'autre, et lorsque Mme la duchesse de Berry envoyait ses agents auprès des souverains étrangers pour solliciter leur concours dans une prochaine prise d'armes, on lui répondait le plus souvent par la communication de la correspondance calme, patiente, hostile à toute expédition aventureuse, de M. le duc de Blacas.

Les illusions n'en étaient pas moins grandes parmi les enfants perdus du parti royaliste et les individualités dont les intérêts avaient été froissés par la révolution de Juillet. Il ne manquait pas à Paris de pensionnaires de l'ancienne liste civile, de gardes du corps licenciés, prêts à tout risquer pour la royauté de la branche aînée. On voulut provoquer une manifestation d'opinion légitimiste, sans songer que Paris était précisément le lieu de

1. L'ancien gouverneur des Invalides, mutilé sur le champ de bataille de Leipsick; véritable type d'honneur et de fidé

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