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toute la France le plus mal choisi pour en faire le théâtre d'une semblable tentative.

Déjà les journaux royalistes ( car on désignait de ce nom les feuilles dévouées à la branche aînée sous la royauté de la branche cadette) avaient célébré par des articles d'une violence très-remarquée le déplorable anniversaire du 24 janvier. La date du 13 février, anniversaire également fatal de l'assassinat du due de Berry, parut favorable, par les douloureux souvenirs qu'il rappelait, à la manifestation que l'on voulait produire. Le ministre de l'intérieur fut informé qu'un service funèbre avait été demandé au curé de Saint-Roch, et qu'il devait servir de prétexte à une démonstration du parti légitimiste; il en prévint sur-le-champ le préfet de police, M. Baude, et M. Barthe, ministre des cultes. Sa lettre au préfet de police était ainsi conçue : « Monsieur le préfet, un service funèbre doit avoir lieu à Saint-Roch, pour l'anniversaire de la mort de M. le duc de Berry. Si j'en crois divers rapports qui me sont adressés, l'ordre pourrait être troublé dans cette circonstance. D'un côté, les carlistes se sont donné rendez-vous; ils ont demandé, dit-on, au curé de Saint-Roch, que le catafalque fût orné des insignes de la branche aînée de la famille des Bourbons; d'un autre côté, on annonce que les jeunes gens des Écoles et des Sociétés populaires doivent se porter en grand

nombre sur les lieux, bien décidés à ne pas souffrir cette manifestation. Je vous invite à vérifier ces faits et à prendre les mesures de police que vous jugerez convenables. >>

Quant à M. Barthe, il était également invité par son collègue à s'entendre avec l'archevêque de Paris, M. de Quélen, et avec le curé de Saint-Roch, sur les mesures de prudence que semblait réclamer l'intérêt de la tranquillité publique. Il se concerta, en effet, avec l'archevêque dans lequel il trouva tout le concours qu'il avait pu espérer. La cérémonie qui devait avoir lieu à Saint-Roch fut interdite par le prélat; mais un avis secrètement répandu dans Paris par les meneurs légitimistes, apprit à leurs adhérents qu'un service aurait lieu, le même jour, à Saint-Germain-l'Auxerrois. Chacun d'eux y accourut comme à un rendez-vous d'honneur, et l'église, au milieu de laquelle s'élevait un catafalque fleurdelisé, se trouva trop petite pour contenir les anciens gardes royaux qui, mêlés à des notabilités du parti, à des gardes du corps, à de vieux serviteurs de la branche aînée, s'exaltèrent bientôt au point d'attacher sur le catafalque une gravure représentant le jeune Henri V couronné, portrait qu'ils entourèrent de guirlandes d'immortelles.

Cependant les craintes manifestées par M. de Montalivet, dans sa lettre au préfet de police, commençaient à se réaliser des groupes nombreux,

animés, se formaient sur la place de Saint-Germain-l'Auxerrois. Les passions populaires s'éveillaient menaçantes, terribles, et, cette fois, elles ne devaient pas trouver une digue, une barrière dans les passions de la bourgeoisie; car cette dernière était irritée de voir, après quelques mois de souveraineté, un audacieux parti venir ainsi remettre en question son triomphe des trois jours. Le gouvernement lui-même n'était pas assez régulièrement constitué, assez fort, pour dédaigner la triste satisfaction de laisser le peuple donner une leçon aux légitimistes et au clergé qu'il réunissait dans ses préventions, dans sa haine. Passant rapidement des menaces et des propos à la réalité des actes, une populace furieuse s'élance dans l'église. En un instant Saint-Germain-l'Auxerrois, ce chefd'œuvre de la renaissance, est saccagé, dévasté, profané. L'autel et la chaire sont renversés; les tableaux, les statues, détruits. La croix fleurdelisée qui s'élevait au-dessus de l'édifice tombe enfin brisée aux pieds des démolisseurs, et les ornements sacerdotaux enlevés au sanctuaire sont promenés dans les rues avec des cris et des huées.

Au premier avertissement des dispositions menaçantes de la foule, le préfet de police, M. Baude, s'était dirigé vers la place de Saint-Germainl'Auxerrois, à la tête de quelques gardes munici

paux 1. Son intervention ne servit qu'à sauver un ou deux individus que le peuple voulait jeter à la rivière en criant : « A bas les jésuites!... » Et l'attitude embarrassée des autorités, de la garde nationale accourue au premier appel, donnait trop beau jeu à l'instinct destructeur des masses surexcitées pour que ces dernières ne se portassent pas à des excès plus déplorables encore que ceux qui venaient de se commettre.

L'embarras du pouvoir se trahit en effet durant ces tristes journées d'une façon bien significative; on vit avec étonnement M. de Montalivet, l'un des plus fermes représentants du principe d'autorité dans le sein du cabinet, dire dans une proclamation adressée au peuple à propos de la dévastation d'une église « Citoyens de Paris, respect aux monuments publics! Ces mots adressés à une nation civilisée ne seront pas prononcés en vain. Le peuple parisien, offensé par des démonstrations hostiles à notre roi citoyen et à la révolution de Juillet, ne démentira pas la noblesse tant de fois éprouvée de ses sentiments. » Tandis que de son côté le préfet de police faisait afficher les paroles suivantes :

« Nos lâches ennemis n'ont qu'un moyen de compter encore dans notre pays. C'est de nous

1. La garde municipale de Paris était une des créations récentes du gouvernement de Juillet.

diviser, c'est de répandre parmi nous les méfiances et les discordes. Cette tactique a fait depuis quarante ans trop de mal à la France pour qu'ils n'y reviennent pas aujourd'hui. Souvenez-vous que depuis un siècle le mot d'ordre du jésuitisme est << haine à la famille d'Orléans! » Confions-nous au roi, que cette haine et ces persécutions ont identifié avec notre cause..... On veut pousser le peuple au désordre pour éloigner de lui le travail et la sécurité. La raison du peuple rejettera ces perfides insinuations, il cessera de dévaster les propriétés publiques. Le Gouvernement connaît le dévouement de la garde nationale pour le roi, à nos institutions, à l'ordre. Ce dévouement ne se démentira jamais, et cette grande cité sera préservée de tous les excès qui pourraient compromettre sa tranquillité et son repos. »

Ce qui n'empêcha pas que, le lendemain1, l'émeute ne se portât vers l'Archevêché sous le faux prétexte que M. de Quélen avait autorisé la cérémonie funèbre. Là, comme à Saint-Germainl'Auxerrois, le torrent populaire emporta tout sur son passage. Après avoir saccagé l'intérieur du bâtiment et jeté dans la Seine les meubles, les

1. Dans cette même soirée des groupes se dirigèrent vers la maison occupée par M. Dupin en criant: « A bas le jésuite! » Était-ce parce que M. Dupin avait courageusement défendu l'inamovibilité des magistrats?

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