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cabinet offrirent également leurs démissions à M. Laffitte, afin, disaient-ils avec raison, que le terrain fût parfaitement déblayé pour l'essai qu'il voulait faire d'un ministère de gauche pure. M. Laffitte restait donc seul en face des Chambres, en face des partis et de l'émeute; car au milieu de ces complications politiques l'émeute se montrait encore la nouvelle faussement répandue d'une victoire décisive remportée par les Russes sur les Polonais en avait été le prétexte. Des masses promenant un drapeau tricolore s'étaient ruées sur l'hôtel du comte Pozzo di Borgo dont elles avaient, à coups de pierres, brisé les vitres et les glaces, fait qui pouvait avoir de graves conséquences sans l'habile modération de l'ambassadeur de Russie, auquel le général Sébastiani dut, le lendemain, aller présenter les excuses nécessitées par une pareille violation du droit des gens. « Général, lui dit en souriant le comte Pozzo, savez-vous bien qu'à Constantinople même le gouvernement sait défendre les réprésentants des puissances étrangères contre le fanatisme de ses nationaux? En pareil cas il met des janissaires à leur porte. »

La position n'était plus tenable; M. Laffitte, qui comprenait bien tout ce qu'elle avait d'anormal, ne cherchait plus qu'un prétexte pour déposer son portefeuille; ce prétexte il le trouva, et s'en servit immédiatement: un soulèvement révolutionnaire

venait d'éclater en Italie, et le maréchal Maison, ambassadeur français à Vienne 1, écrivait à M. Sébastiani : « Jusqu'ici, m'a dit M. de Metternich, nous avons laissé la France mettre en avant le principe de la non-intervention, mais il est temps qu'elle sache que nous n'entendons pas le reconnaître en ce qui concerne l'Italie. Nous porterons nos armes partout où s'étendra l'insurrection. Si cette intervention doit amener la guerre, eh bien, vienne la guerre! Nous aimons mieux en courir les chances que d'être exposés à périr au milieu des émeutes. >>

M. Laffitte prétendit qu'on lui avait caché pendant quelques jours l'arrivée de la dépêche, et profita de cette circonstance pour déposer son portefeuille entre les mains du roi. L'interrègue ministériel devait être fort court, du reste, car le parti conservateur se trouvait parfaitement en mesure de pourvoir aux exigences de cette situation depuis longtemps prévue, et sa liste était toute prête. Le Moniteur du 13 mars 1831 annonça au pays que M. Casimir Périer était appelé au ministère de l'intérieur avec la présidence du conseil, et le baron Louis au département des finances. Le comte de Montalivet devenait ministre de l'instruc

1. Le maréchal Maison avait été nommé ambassadeur à Vienne en quittant le ministère des affaires étrangères confié au général Sébastiani.

tion publique; M. Barthe, garde des sceaux et président du conseil d'État ; le vice-amiral de Rigny, ministre de la marine; le comte d'Argout, ministre du commerce et des travaux publics. Dans cette combinaison le maréchal Soult conservait le portefeuille de la guerre, et le comte Sébastiani celui des affaires étrangères. Quant à M. de Montalivet, sacrifiant tout intérêt d'amour-propre à la réussite de cet arrangement ministériel, il n'avait pas, on le voit, hésité à accepter un département moins important que celui qu'il dirigeait dans le précédent cabinet.

La nouvelle administration devait se montrer, avant tout, un pouvoir fort et réparateur. Elle avait, à ce point de vue, de grands devoirs à remplir vis-à-vis du pays. Le premier soin de Casimir Périer fut d'adresser aux préfets la circulaire suivante; elle indique complétement la politique qu'il entendait suivre :

<< Monsieur le préfet, en m'appelant à l'honneur de former et de présider son conseil, le roi m'a confié l'administration de l'intérieur. Il importe que je vous fasse connaître les intentions du gouvernement.

«< Sachez bien et dites à tous que le gouvernement, jaloux d'assurer la durée et le développement des libertés conquises en Juillet et instituées par la Charte, ne reconnaît pour ennemis que ceux

qui méditent le renversement des institutions ou qui conspirent contre la paix publique. Il ne fait point la guerre aux opinions, aussi longtemps qu'elles ne se convertissent pas en actes contraires aux lois; mais toutes sont hostiles à ses yeux, dès que pour triompher elles recourent à la force. Ces principes doivent régler votre conduite à l'égard des partis qui se sont manifestés depuis quelque temps avec trop d'audace. Les opinions doivent être ménagées, les croyances respectées. La liberté des cultes surtout doit être sacrée pour le pouvoir comme pour tous. Il importe à la morale publique et à la tranquillité générale que jamais la dérision et l'outrage ne puissent atteindre ce qu'une grande partie vénère, et ce que les nations civilisées ont toujours respecté.

«D'autres partis ont paru; des hommes, amis peut-être de la révolution, mais peu favorables au gouvernement qu'elle a fondé, professent le mépris des lois et des pouvoirs réguliers. Les uns, séduits par de chimériques espérances, rêvent un changement dans les formes mêmes de la société ; les autres, que domine un puissant souvenir, opposent un autre nom au nom du prince que le vœu national a choisi... Il est temps que cet état de choses ait un terme. Si l'administration ne se montrait forte et décidée, si les tentatives de désordre se renouvelaient encore, elles compromettraient la

prospérité publique, elles aggraveraient les souffrances de l'industrie et du commerce, elles pourraient même ébranler chez les bons citoyens la foi dans la force et la durée de nos institutions, et altérer aux yeux des peuples de l'Europe le beau caractère de notre révolution. Si l'ordre ne reprenait pas son empire et la société son repos, les élections prochaines ne seraient pas, ou au moins ne paraîtraient pas libres. Le rétablissement de l'ordre est nécessaire pour que l'origine de la nouvelle Chambre reste pure et que son pouvoir ne devienne pas l'instrument des partis. Ces considérations vous tracent vos devoirs. Le gouvernement ne veut être fort que dans l'intérêt même de la liberté... >>

Assurément un tel langage était bien fait pour rassurer tous les esprits, pour relever tous les courages, et les actes allaient suivre de près les paroles. Une prétendue association nationale s'était formée à Paris et en province dans le but de <«< combattre, par tous les sacrifices personnels et pécuniaires, l'étranger et les Bourbons, » et l'acte d'association que les membres devaient signer indiquait qu'elle était créée « parce que les antécédents d'un grand nombre des dépositaires du pouvoir, la faiblesse et l'attitude incertaine des autres, donnaient lieu de craindre que les périls d'une restauration et d'une guerre étrangère ne

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