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de battre en retraite, toute la responsabilité de ce fait incriminé devait nécessairement retomber sur Skrzynecki, le généralissime, pour détourner l'attention de la fureur populaire, donna à la dénonciation anonyme d'un complot qui lui était récemment parvenue une importance qu'il ne lui avait pas accordée jusqu'alors. Deux généraux, Hurtig et Salacki, un colonel, le chambellan russe Fanshawe et quelques personnages furent arrêtés par ses ordres. Le peuple exaspéré poussait toujours des cris de mort. On lui promit de faire juger les traîtres dans les vingt-quatre heures, et le nonce Roman Soltyk, qui jouissait de la faveur des masses, parvint heureusement mais difficilement à les apaiser.

Pendant que leur énergie s'épuisait dans ces scènes de désordres et de fureur, dans ces luttes sans dignité, dans ces agitations sans but, quatrevingt mille Russes, avec trois cents pièces de canon, s'avançaient vers les murs de Varsovie sous la conduite du feld-maréchal Paskiewitch. Le plan de cet homme de guerre différait essentiellement de celui de son prédécesseur; il voulait gagner la basse Vistule en traversant le palatinat de Plock, et transporter sa ligne d'opération sur la rive gauche du fleuve; plan habile, mais hardi, qui lui permettait d'attaquer Varsovie du côté le plus vulnérable. Toutes les combinaisons de défense du

généralissime polonais se trouvèrent renversées d'un seul coup par cette audacieuse manœuvre du plus redoutable ennemi que la Pologne eût encore vu en face.

Le 1er juillet 1831, la diète, sur la motion du nonce Szaniewski, adressa au pouvoir exécutif l'ordre de déclarer la patrie en danger, et de procéder à une levée en masse de tout ce qui pouvait manier un mousquet. Le gouvernement, obtempérant à ce désir, adressa au peuple cette proclamation chaleureuse : « Au nom de Dieu et de la liberté, au nom de la nation placée entre la vie et la mort, au nom des rois et des héros vos ancêtres qui sont tombés sur les champs de bataille pour l'indépendance de l'Europe, au nom des générations futures qui demanderont à vos ombres compte de leur servitude, au nom des peuples qui vous contemplent, Polonais, levez-vous en masse! >>

La patrie polonaise était bien menacée, en effet, et jamais périls plus grands n'avaient plané sur elle, car non-seulement l'armée russe s'avançait ardente, implacable, avec ses formidables masses, mais encore le comte Orloff avait pleinement réussi dans sa mission en Prusse, et venait d'assurer à l'empereur l'appui offensif et défensif du cabinet de Berlin Koenigsberg et Dantzig devaient demeurer ouvertes, non plus simplement aux approvisionnements, mais encore aux troupes de la Russie;

le territoire prussien allait servir de base pour toutes les opérations de l'armée impériale, et enfin la Prusse s'engageait à construire un pont sur la Vistule dans la partie orientale de son territoire, si ceux que le feld-maréchal ferait jeter lui-même venaient à être détruits.

Peut-être restait-il encore à la révolution polonaise une faible chance de salut, mais il fallait savoir hardiment et sans arrière-pensée saisir cette occasion unique. Pour exécuter le plan de Paskiewitch, et passer sur la rive gauche de la Vistule, l'armée russe devait opérer un mouvement de flanc en prenant Modlin pour pivot, et décrire une courbe immense. Pendant ce mouvement d'une exécution assez lente, il eût été possible de rompre la grande ligne en marche, et d'écraser ensuite les corps dispersés ou séparés par cette brusque attaque. Le généralissime demeura immobile, et attendit, pour prendre le parti de l'offensive, que le feld-maréchal eût concentré ses forces. Les Russes passèrent la Vistule en face d'Osieck; la chute de Varsovie pouvait dès lors paraître certaine.

Sous quelles inspirations le généralissime polonais avait-il donc commis une pareille faute? Quel avait été le mobile de sa conduite en cette circonstance? Il l'a dit lui-même, et l'histoire doit consigner ses aveux : des dépêches récentes du général

Sébastiani lui faisaient espérer l'heureuse issue de cette guerre cruelle si, attendant le pacifique résultat des négociations diplomatiques, il se tenait sur la défensive et n'irritait pas davantage le tsar. Skrzynecki sacrifia tout à cette pensée. C'était une faute que la révolution ne devait pas lui pardonner. La presse et les clubs attaquèrent violemment une prudence qu'ils nommaient hautement trahison. La diète s'émut de ces clameurs furieuses. Dans sa séance du 24 juillet 1831, et sur la proposition du nonce Bonaventure Niemoïowski, elle décréta à l'unanimité que le généralissime comparaîtrait devant un conseil composé des membres du gouvernement, d'un député par chaque palatinat, enfin d'officiers en activité, choisis par commission gouvernementale et par Skrzynecki lui-même. Ce tribunal se réunit le 27; le généralissime comparut devant lui, mais ayant déclaré tout d'abord que la hiérarchie militaire lui donnait le droit d'imposer silence aux officiers généraux naturellement placés sous ses ordres, une accusation rédigée par Prondzynski, après la bataille d'Ostrolenka, et des observations du général Siérawski, furent écartées. Le passé fut laissé de côté, et la plus grande énergie recommandée pour l'avenir. Malgré les représentations du généralissime, le conseil décida qu'il fallait marcher à l'ennemi et livrer une bataille décisive. Skrzynecki

la

protesta en s'écriant : « Représentants! que les bénédictions ou l'anathème, que le triomphe ou les désastres, retombent sur vos têtes, car, pour moi, j'en renie toute la responsabilité! >>

Il fallait obéir cependant. Le généralissime le fit avec mollesse. Après avoir porté l'armée vers Bzura, il se replia soudainement le 5 août sur Varsovie, et l'on crut dans le premier moment que s'il concentrait ainsi ses forces, c'était afin de mieux se préparer à la bataille que l'on attendait. Mais Skrzynecki ne sortit pas de son système de temporisation, et comme Dembinski venait de faire sa rentrée dans Varsovie au milieu des démonstrations de l'enthousiasme populaire le plus exalté, la commission gouvernementale nomma pour remplacer le dictateur, ce brave soldat qui, après tant de dangers et de souffrances, reparaissait tout à coup au milieu de la capitale.

Toutefois Dembinski partageait les vues politiques et militaires de Skrzynecki. Il le déclara hautement dans sa première allocution aux troupes, ajoutant qu'il suivrait exactement les traces de son prédécesseur. Bientôt se répandit dans Varsovie le bruit que Dembinski s'apprêtait à venir dissoudre la diète, fermer les clubs, et emprisonner les patriotes exaltés; les masses s'émurent; l'armée polonaise se repliait sur les retranchements de Varsovie; un cri de haine et de fureur

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