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exprimée, l'opposition avait beau jeu; chacun de ses discours était accueilli par d'extravagantes acclamations, tandis que les sifflets couvraient la voix des timides orateurs du parti opposé. Dès le second jour, la lassitude du congrès, parvenue à son comble, semblait ne pas devoir lui permettre de continuer une délibération qui provoquait des scènes d'une si déplorable violence. Vers la fin de ce jour, les cris : « A bas les protocoles! vive la guerre! mort aux ministres! mort aux traîtres ! » se firent entendre dans les tribunes envahies. Vainement le président essaya-t-il de calmer cette effrayante tempête; ses efforts furent inutiles, et la garde civique elle-même ne parvint pas à expulser les perturbateurs qui cherchaient à envahir la salle pour frapper Van Snick et les députés qui soutenaient sa proposition. Dans ce pénible instant, M. Van de Weyer, voulant à tout prix arrêter le désordre et la démoralisation de l'assemblée, voulant surtout permettre au congrès de reprendre un peu ses esprits, monta à la tribune et proposa l'amendement suivant, sorte de stratagème parlementaire qui avait le mérite d'offrir à l'assemblée un point de ralliement ou un moyen de gagner du temps:

« 1° Les enclaves en Hollande reconnues par l'article 2 des préliminaires pour avoir appartenu à la Belgique, devront être admises comme un

équivalent pour Venloo et les droits de la Hollande à la moitié de Maestricht. Jusqu'à la conclusion d'un arrangement final, aucune partie du territoire ne sera cédé; 2o le statu quo du Luxembourg sera maintenu sous la garantie des grandes puissances, jusqu'à la conclusion des négociations pour une indemnité. >>

Depuis lors, on a sévèrement critiqué cet amendement de M. Van de Weyer; mais tous les témoins de cette orageuse séance sont d'accord pour maintenir que la situation critique du congrès demandait une diversion semblable.

La fin de cette discussion fut signalée par un discours de M. Lebeau, discours qui fit la réputation parlementaire de cet homme politique. La sensation qu'il produisit fut très-remarquable et trèsinattendue, puisqu'il parvint à ramener en grande partie l'esprit public jusque là si hostile au traité. Un tonnerre d'applaudissements accueillit l'éloquente péroraison de ce discours; aussi le ministre reçut-il, en descendant de la tribune, les félicitations les plus expressives de la part de ses collègues. Le public avait été comme fasciné par cette harangue : les femmes agitaient leurs mouchoirs, les hommes donnaient des signes bruyants de leur approbation. Après le discours de M. Lebeau, la Chambre suspendit sa séance, personne ne voulant succéder au brillant orateur que l'on venait d'entendre. Le

lendemain, 126 voix contre 70 adoptaient les dixhuit articles, et le public, vivement impressionné par les considérations que M. Lebeau lui avait habilement exposées, accueillit ce résultat avec des démonstrations de joie.

Le congrès choisit cinq de ses membres pour aller en députation communiquer cette décision au prince Léopold. M. Lebeau, satisfait d'avoir rempli la grande tâche qu'il s'était imposée, avait donné sa démission de ses fonctions de ministre ; il fit partie de cette députation. Après avoir pris congé de toutes les personnes qui composaient sa maison en Angleterre, le prince, suivi d'un seul aide de camp et de quelques domestiques, débarqua à Ostende le 17 juillet, passa à Gand la nuit du 18, et le lendemain entra aux flambeaux dans le palais de Laeken. Depuis la frontière belge, son voyage avait été une ovation continuelle; la Belgique, toute fière de posséder enfin un roi, avait voulu déployer pour lui toutes ses séductions. La cérémonie de l'inauguration eut lieu le 24 juillet 1831.

Un décret, daté de la veille, déclarait que M. Surlet de Chokier ayant bien mérité de la patrie, une médaille serait frappée en souvenir de son administration, et le congrès lui vota une pension annuelle de 10,000 florins.

Ainsi fut constitué ce royaume de Belgique qui

devait toutefois, dans un avenir très-prochain, subir, comme nous allons le voir, de nouvelles et dangereuses vicissitudes, au milieu desquelles la France n'hésita pas à lui prêter son puissant con

cours.

Et si l'on était venu prédire à Charles-Quint qu'en moins de trois siècles ces populations que le duc d'Albe devait décimer plus tard, brisant successivement les liens espagnols et français, finiraient par constituer leur indépendance; que ces provinces, auxquelles sa politique attachait une si haute importance, courbées alors sous son sceptre pesant, formeraient un jour deux États plus paisibles et plus prospères que son Espagne soumise et gorgée de l'or du Mexique, qu'aurait dit le fier Charles-Quint?

LIVRE SEPTIÈME

1. Ouverture de la session de 1831. Discours du trône. La flotte française force l'entrée du Tage. Premiers votes de la nouvelle Chambre. Les ministres déposent leurs portefeuilles. Les Hollandais envahissent la Belgique. Le ministère se reconstitue. II. La conférence de Londres et le roi des Pays-Bas. Campagne des dix jours. Batailles d'Hasselt et de Louvain. Intervention française. -III. Aspect politique de la Grande-Bretagne. Le bill de réforme en Angleterre. IV. Politique du cabinet français. Orages parlementaires. Abolition de l'hérédité de la pairie. Prise de Varsovie. - V. Insurrection de Lyon. Symptômes précurseurs d'un soulèment dans la Vendée.

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I

La nouvelle Chambre que les électeurs venaient d'envoyer à Paris n'était pas aussi complétement modérée que Louis-Philippe et son premier ministre, Casimir Périer, l'avaient espéré, et pourtant une majorité conservatrice existait dans son sein; mais à aucune époque, il faut bien le dire, ce mot sarcastique d'un homme d'État étranger «< dans les gouvernements parlementaires c'est toujours la minorité qui gouverne » ne parut plus applicable et plus vrai. A quoi cela tenait-il cependant?

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