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lington. « J'espère, disait-il en terminant, que l'influence du gouvernement sera exercée d'une manière profitable pour l'Angleterre, et que, quelle que soit la détermination adoptée à l'égard d'Alger, l'avantage ne sera pas uniquement pour la France. » Paroles bien caractéristiques, qui prouvent que les cours étrangères en étaient venues à croire que la prise d'Alger ne serait suivie que d'une occupation semblable à celles d'Espagne et de Morée ; c'est-à-dire que, cette fois encore, la France aurait versé son sang et consommé d'immenses sacrifices pour le compte de l'Europe, et dans un élan exclusivement chevaleresque !

Le duc de Wellington, éludant avec soin les difficultés de la situation qui lui était faite, se contenta de répondre que le gouvernement ne manquerait à aucun des devoirs que lui imposait en cette occasion l'honneur du pays.

On comprend qu'en de telles circonstances la révolution de Juillet devait avoir en Angleterre un retentissement profond. Telle fut, en effet, l'impression qu'elle fit naître de l'autre côté de la Manche, telles furent les sympathies qu'elle excita chez le peuple anglais, qu'oubliant à l'égard de la France ses vieilles rivalités historiques, ses préventions héréditaires, il ouvrit spontanément des souscriptions en faveur des victimes et signa des adresses de félicitations au peuple français.

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Le terrain était donc parfaitement préparé de ce côté, et Louis-Philippe l'avait bien compris. Mais pour chercher et trouver un point d'appui chez cette nation dont la politique et l'orgueil avaient été froissés par le gouvernement de la Restauration, il fallait choisir un intermédiaire habile, exercé, agréable à ceux auxquels on l'enverrait un plénipotentiaire très au courant des hommes et des choses de ce pays exceptionnel. Dès le principe le roi avait jeté les yeux sur le prince de Talleyrand, et cet habile personnage s'était, dans un entretien secret, résigné d'avance à accepter le poste difficile et important que Louis-Philippe lui avait mentalement réservé. Ajoutons en anticipant un peu les faits, puisque la date de cette nomination se reporte au 4 septembre 1830, que ce fut à l'initiative personnelle du roi et en dépit de l'opposition plus ou moins vivement formulée dans le conseil par MM. Dupont (de l'Eure), Laffitte et Bignon, que le prince de Talleyrand dut l'honneur d'aller représenter la France à Londres dans ces circonstances difficiles. Par lui l'alliance anglaise devait être recherchée et cimentée; il en était, pour ainsi dire, l'incarnation, et, du reste, ce choix significatif ne contribua pas peu à éloigner définitivement l'empereur de Russie du gouvernement français, pour lequel il n'avait que des répulsions instinctives, répulsions qu'il eût été

facile de combattre par la politique des intérêts.

En attendant, le général Baudrand fut envoyé extraordinairement en Angleterre pour y notifier l'avénement de Louis-Philippe au trône, et les Anglais le reçurent avec toute la joie que leur causait la chute du gouvernement de Charles X.

Mais en même temps, le roi sorti des barricades de Juillet désirait faire une tentative directe auprès de l'empereur Nicolas Ier. Le général Athalin fut donc chargé de porter à Saint-Pétersbourg la lettre autographe suivante dont la rédaction, généralement attribuée au comte Molé, avait été soigneusement revue par le roi et même communiquée, dit-on, à M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie à Paris :

<«< Monsieur mon frère, j'annonce mon avénement à la couronne à Votre Majesté par la lettre que le général Athalin lui présentera en mon nom; mais j'ai besoin de lui parler avec une entière confiance sur les suites de la catastrophe que j'aurais tant voulu prévenir.

<<< Il y avait longtemps que je regrettais que le roi Charles et son gouvernement ne suivissent pas une marche mieux calculée pour répondre à l'attente et au vou de la nation. J'étais bien loin, pourtant, de prévoir les prodigieux événements qui viennent de se passer, et je croyais même qu'à défaut de cette allure franche et loyale dans

l'esprit de la Charte et de nos institutions, qu'il était impossible d'obtenir, il aurait suffi d'un peu de prudence et de modération, pour que ce gouvernement pût aller longtemps comme il allait. Mais depuis le 8 août 1829, la nouvelle composition du nouveau ministère m'avait fort alarmé. Je voyais à quel point cette composition était odieuse et suspecte à la nation, et je partageais l'inquiétude générale sur les mesures que nous devions en attendre. Néanmoins, l'attachement aux lois, l'amour de l'ordre, ont fait de tels progrès en France, que la résistance à ce ministère ne serait certainement pas sortie des voies parlementaires, si, dans son délire, ce ministère lui-même n'eût donné le fatal signal par la plus audacieuse violation de la Charte et par l'abolition de toutes les garanties de notre liberté nationale, pour lesquelles il n'est guère de Français qui ne soit prêt à verser son sang. Aucun excès n'a suivi cette lutte terrible.

Mais il était difficile qu'il n'en résultat pas quelque ébranlement dans notre état social; et cette même exaltation des esprits, qui les avait détournés de tant de désordres, les portait en même temps vers des essais de théorie politique qui auraient précipité la France et peut-être l'Europe dans de terribles calamités. C'est dans cette situation, Sire, que tous les yeux se sont tournés

vers moi. Les vaincus eux-mêmes m'ont cru nécessaire à leur salut. Je l'étais encore plus, peutêtre, pour que les vainqueurs ne laissassent pas dégénérer la victoire. J'ai donc accepté cette tâche noble et pénible, et j'ai écarté toutes les considérations personnelles qui se réunissaient pour me faire désirer d'en être dispensé, parce que j'ai senti que la moindre hésitation de ma part pourrait compromettre l'avenir de la France et le repos de tous nos voisins. Le titre de lieutenant général, qui laissait tout en question, excitait une défiance dangereuse, et il fallait se hâter de sortir de l'état provisoire, tant pour inspirer la confiance nécessaire que pour sauver cette Charte si essentielle à conserver, dont feu l'empereur, votre auguste frère, connaissait si bien l'importance, et qui aurait été très-compromise si on n'eût promptement satisfait et rassuré les esprits.

« Il n'échappera ni à la perspicacité de Votre Majesté ni à sa haute sagesse, que, pour atteindre ce but salutaire, il est bien désirable que les affaires de Paris soient envisagées sous leur véritable aspect, et que l'Europe, rendant justice aux motifs qui m'ont dirigé, entoure mon gouvernement de la confiance qu'il a droit d'inspirer. Que Votre Majesté veuille bien ne pas perdre de vue que, tant que le roi Charles X a régné sur la France, j'ai été le plus soumis et le plus fidèle de ses sujets,

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