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les départements à peine remis de la première émotion d'une révolution aussi soudaine.

M. Guizot, ce véritable homme d'État qui n'avait pas encore donné toute la mesure de ses forces, et dont la destinée singulière était de grandir constamment pendant les dix-huit années du règne

que

la chute de son ministère devait clore pourtant d'une façon si désastreuse, M. Guizot, disons-nous, s'efforça, au milieu des exigences du parti exalté, de composer une administration départementale qui, au point de vue de la situation sociale, de l'honorabilité et de la capacité, n'offrît pas un contraste trop choquant avec le personnel administratif du gouvernement de la restauration. Tâche difficile, ingrate, et qu'il ne put remplir qu'à demi, sous peine de perdre immédiatement toute sa popularité.

Le général Gérard procéda au ministère de la guerre avec les mêmes ménagements que son collègue de l'intérieur; mais son œuvre devait être plus difficile encore. Tous les officiers qui étaient sortis du service en 1815, tous les jeunes héros des barricades de Paris, faisaient valoir des prétentions qu'il n'était pas toujours possible d'écarter, puisqu'elles avaient leurs racines dans la réaction qui s'opérait alors; également incapables, les uns parce qu'ils avaient oublié, et les autres parce qu'ils n'avaient pas encore appris. Le général

Dubourg s'était vu contraint de renoncer à ses épaulettes de hasard, et la munificence de LouisPhilippe lui avait, malgré l'inconvenance de son attitude, assuré une position modeste. Mais toutes les prétentions ne devaient pas être traitées avec cette même sévérité, et beaucoup s'appuyaient au contraire sur des titres que l'esprit de parti avait seul pu méconnaître. Quelques réparations vraiment équitables envers de dignes officiers de la vieille armée furent remarquées sous l'administration du comte Gérard parmi les choix trop souvent imposés par les nécessités politiques de l'époque.

Aux affaires étrangères, M. Molé, dont l'avénement avait été salué par les représentants des puissances européennes comme un gage d'ordre et de stabilité, trouva son département à peu près désorganisé par les démissions d'un assez grand nombre d'agents intérieurs et extérieurs. Homme de tradition et d'expérience administrative, il ne tarda pas à remplir convenablement les vides et à rétablir toutes nos relations étrangères dans de bonnes conditions de service. M. d'Hauterive, la science diplomatique faite homme, était mort le jour même où le Moniteur publiait les ordonnances. M. de Bois-le-Comte, chef de la première division, esprit droit, sagace, érudit, qui plus tard devait se rapprocher du gouvernement de Juillet, s'était retiré, ainsi que MM. de Vielcastel, de

Flavigny, de Circourt et de Tamisier. M. Serrurier dut remplacer M. de Bois-le-Comte. MM. Cintrat et Leclerc prirent la place de MM. de Flavigny et de Circourt. Enfin MM. Bresson et Emmanuel de Grouchy succédèrent, en qualité de chefs du cabinet particulier du ministre, à MM. de Tamisier et Lavallette.

A l'extérieur, les titulaires des grandes ambassades avaient naturellement donné leur démission. Hommes dévoués à la dynastie tout autant qu'au pays, ils étaient frappés aussi bien dans leurs affections que dans leur politique. MM. de Montmorency-Laval, de la Ferronnays, de Rayneval, de Mortemart, d'Agoult, de Blacas, de Saint-Priest, ambassadeurs ou ministres à Londres, à Rome, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Berlin, à Naples et à Madrid (pour ne parler que des postes principaux de notre diplomatie européenne), n'hésitèrent pas à se démettre des fonctions qu'ils occupaient. Le duc de Mortemart et M. de Rayneval devaient seuls se rapprocher ensuite du pouvoir nouveau. Le premier, par suite du rôle de médiateur qu'il avait joué dans les dernières heures de la royauté de Charles X; le second, dont le nom se trouve si honorablement et si légitimement mêlé à notre moderne histoire diplomatique, parce qu'il appartenait à ce groupe de fonctionnaires spéciaux qui, nécessaires sous tous les régimes, se

préoccupent des affaires plus que des révolutions : serviteurs éclairés que, dans l'intérêt du service même, on aime à voir reprendre leur part d'action et de responsabilité.

Au département de la justice, M. Dupont (de l'Eure), poursuivant de ses rancunes libérales la magistrature de la Restauration, l'aurait volontiers sacrifiée tout entière aux faméliques exigences dont il était entouré et quotidiennement accablé. Fort heureusement, le salutaire principe de l'inamovibilité trouva dans M. Dupin aîné un défenseur éloquent et courageux. Ce fut une des meilleures, ce fut peut-être la meilleure des actions de sa vie politique. Légiste d'une grande érudition, homme d'une rudesse quelquefois involontaire, mais souvent calculée, représentant attardé dans ce siècle des prétentions frondeuses de nos vieux parlements; ayant aussi, en vrai gaulois, gardé le secret du pittoresque et bardi langage, M. Dupin a rendu de réels services à la monarchie de 1830, tout en la gourmandant, mais a contribué comme tant d'autres à la renverser sans le savoir et sans le vouloir; esprit original, nature vraiment parlementaire, cœur honnête.

M. Dupin et M. Persil, lors de leur visite à Neuilly pendant les journées de Juillet, s'étaient mutuellement promis que cette démarche serait, en ce qui les touchait personnellement, parfaite

ment désintéressée, et qu'ils n'accepteraient aucune place du gouvernement nouveau. Mais, avec toute la bonne foi humaine, ce sont de ces serments qu'il est impossible de tenir lorsqu'on se trouve lancé au milieu d'une révolution à laquelle on a pris une part plus ou moins directe, plus ou moins active. M. Dupin aîné fut bientôt appelé aux fonctions de procureur général près la Cour de cassation, et M. Persil dut accepter celles de procureur général à la Cour royale de Paris, en remplacement de M. Bernard (de Rennes), appelé à ce poste le lendemain de la révolution de Juillet. Nous dirons dans quelles circonstances eut lieu la nomination de M. Persil. Les fonctions importantes de secrétaire général au département de la justice furent confiées à M. Joseph Merilhou.

M. Girod (de l'Ain), conseiller à la Cour royale de Paris, avait été nommé préfet de police. M. Odilon Barrot devint préfet de la Seine quelques jours après son retour de Cherbourg. Ces fonctions convenaient-elles bien au tempérament d'opposition, à la nature ennemie des détails de l'honorable député? On ne voulut voir dans ce poste difficile de préfet de la Seine que le côté politique, et on eut tort. M. Barrot, qui jusque là s'était montré l'adversaire loyal mais constant du principe d'autorité gouvernementale, pouvait-il d'ailleurs devenir tout coup le champion respecté et convaincu de ce

à

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