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l'article 291 du Code pénal sur les associations et réunions illicites. Mais M. Bernard, homme d'opinion avancée, déclara que, suivant lui, l'article 291 n'existait plus depuis que la Charte nouvelle avait reconnu le droit de réunion, et que personnellement il ne consentirait jamais à l'appliquer. Ce fut alors que le roi, inquiet et mécontent, fit appeler M. Persil, avocat et membre de la Chambre des députés. Dans une chaleureuse conversation il lui demanda si ses scrupules à l'endroit des clubs et de l'application de l'article 291 seraient les mêmes que ceux de M. Bernard, et, d'après la réponse négative de M. Persil, homme énergiquement dévoué aux principes d'autorité, il lui proposa le poste de procureur général, qu'après de longues et honorables hésitations M. Persil finit par accepter.

La révolution de 1830 avait été toute politique, et c'est ce que ne lui pardonnaient pas certaines individualités qui, reléguées dans les bas fonds de la société, voulaient, convaincues ou non, monter à la surface en se servant, pour arriver à leur but, de vagues théories qu'elles commençaient à répandre dans les masses. La secousse avait été trop forte d'ailleurs pour que le vieil édifice social, violemment sapé par les novateurs, ne ressentît pas un inquiétant ébranlement. Dans le trouble où les avait jetés l'immense perturbation que venait de

subir le pays, les meilleurs esprits ne pouvaient-ils s'égarer sous l'influence d'une pensée plus généreuse et souvent plus ingénieuse que pratique ? On en eut bientôt une preuve convaincante dans la tentative presque ridicule des Saint-Simoniens, qui, voulant appliquer les théories d'un homme beaucoup moins connu pendant sa vie qu'après sa mort1, constituèrent, au lendemain des journées de Juillet, une secte militante qui, inscrivant sur son drapeau « à chacun selon ses œuvres », prétendit régénérer complétement la société en créant un culte nouveau, une hiérarchie nouvelle, en abolissant le mariage, la filiation naturelle, l'hérédité, en proclamant l'égalité absolue de l'homme et de la femme, enfin en cherchant à modifier le système industriel de la France. Et cependant les adeptes fondateurs de la secte saint-simonienne étaient MM. Enfantin, Augustin Thierry, Michel Chevalier, Olinde Rodrigue, Bazard, d'Eichtal Auguste Comte, et tant d'autres jeunes hommes pleins de science et doués de précieuses facultés. Nous dirons plus tard comment, effrayé des doctrines contraires à la religion et à la morale que les saints-simoniens produisaient avec éclat et talent, le gouvernement se vit contraint de dissoudre cette association où l'intelligence et la

1. Le comte Henri de Saint-Simon, né à Paris en 1760, mort en 1825.

capacité recevaient ouvertement un si détestable 'emploi.

A côté de la secte saint-simonienne s'élevait à petit bruit une école bien plus dangereuse de soidisant économistes qui, dans un avenir assez rapproché, devaient faire tant de mal en prêchant aux masses les décevantes et absurdes théories du droit au travail. Le poison allait être versé lentement, goutte à goutte; mais aussi, à la honte de l'intelligence humaine, il devait s'infiltrer sûrement dans les veines du peuple, semence impure qui donnerait trop tôt une moisson de sang et de larmes.

Les révolutions sont comme les inondations des grands fleuves, lorsqu'ils sortent de leur lit elles font surgir sur le sol qu'elles ont ébranlé mille végétations parasites, productions éphémères destinées uniquement à marquer leur passage. 1792 avait eu ses Babouvistes et ses Théophilanthropes; 1830 devait avoir sa secte saint-simonienne et l'Église française, qu'un certain abbé Chatel inventa au lendemain des trois journées ; réformateur ridicule, dont la principale prétention était de substituer la langue nationale aux prières latines de la liturgie romaine. Un homme auquel la nature avait accordé un grand talent, et qui en a fait un usage à jamais déplorable, M. de Lamennais, fondait vers cette même époque un

journal intitulé l'Avenir, qui, prétendant aussi régénérer l'Église, prêchait son indépendance complète de l'État, attaquait les doctrines gallicanes, et finissait par se mettre en hostilité ouverte avec le pape. Premières aberrations d'un grand esprit qui devait donner de tristes spectacles au monde de la chrétienté.

Tous ces réformateurs religieux ou sociaux se rattachaient par un lien étroit au parti de la république.

Quant au parti napoléonien, il commençait à revenir de la première surprise que lui avait causée la rapidité des événements de la révolution de Juillet. Déjà des émissaires étaient envoyés par lui à Vienne, et, quelques mois plus tard, de sérieuses intrigues allaient, ainsi que nous le verrons, entourer le duc de Reichstadt, auquel une femme chevaleresque et dévouée, la comtesse Napoleone Camerata, fille de la princesse Elisa Bacciochi, devait bientôt porter secrètement, de la part de son cousin Napoléon-Louis, une lettre dont voici un curieux fragment:

« Mon cher prince et cousin, la personne qui vous remettra elle-même ma lettre vous est aussi dévouée que moi; elle la détruirait plutôt que de la laisser tomber en des mains ennemies; accordez-lui donc toute votre confiance, si elle parvient

jusqu'à vous. Une fatale circonstance a trahi encore une fois votre espoir et celui de notre famille : les calomnies répandues sur votre éducation vous ont nui au moment de la révolution de Juillet;..... les libéraux, vrais ou faux, avaient hâte de donner une direction aux affaires; l'anarchie pouvait naître du provisoire, on le crut du moins, et le nom de Napoléon II est resté au fond de l'urne!..... Si vous pouviez, sous un prétexte, parvenir jusqu'à la frontière de France ou d'Italie, votre cause serait à demi gagnée. Si vous n'avez pas secoué vos chaînes avant la fin de l'hiver, je ferai mes efforts pour me retrouver non loin de vous, à la faveur du nom que je prendrai. La comtesse vous en instruira en temps utile, et pourra sans doute nous faciliter une entrevue. A bientôt, cher prince. Le bonheur de la France et la gloire de Napoléon II seront toujours le but unique de mes désirs comme de mon dévouement.

« Votre affectionné,

« NAPOLÉON-LOUIS. >>

La situation politique du pays n'était donc pas plus rassurante au point de vue de la stabilité que sa situation morale, et, en face de ces partis ardents, audacieux, un seul homme, Louis-Philippe,

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