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apparaissait debout, confondant en sa personne, aux yeux d'un grand nombre, le rôle de défenseur de la dynastie et de champion de la société menacée.

La première moitié de cette tâche offrait déjà d'immenses difficultés, et ce fut en réalité à celle-là que Louis-Philippe consacra tous ses efforts. Son expérience révolutionnaire devait bien le servir, du reste, dans l'indispensable connaissance des hommes, et aucun souverain ne sut jamais, mieux que lui, démêler au premier coup d'œil les aptitudes, les vanités, les faiblesses de ceux dont il voulait utiliser les services. Aimant le travail, trèsrégulier dans les habitudes ordinaires de la vie, Louis-Philippe se levait de bonne heure, lisait avec attention les gazettes étrangères, plus particulièrement les feuilles anglaises, sans se préoccuper des journaux français, à moins (ce qui était fort rare ) qu'un article n'eût été signalé à son attention. Il se livrait ensuite à la correspondance privée qu'il entretenait avec quelques personnages, le plus souvent représentants de la France à l'étranger; puis, après un frugal repas, il assistait au conseil des ministres, ou recevait des députations provinciales, ce qui arrivait fréquemment dans les premiers mois de la révolution de 1830. Enfin, après une promenade plus ou moins longue, il prenait un second repas, composé des mets les plus sim

ples, invariablement les mêmes, restait jusqu'à dix heures du soir dans le salon de famille, et se retirait ensuite dans son cabinet pour y écrire de nouveau jusqu'à une heure avancée de la nuit. Vie sobre, régulière, intelligemment distribuée, que Louis-Philippe avait menée au Palais-Royal, et qu'il continua aux Tuileries jusqu'à la fin de son règne.

Il y avait tout à la fois dans le caractère et dans l'attitude de ce prince du Louis XIV et du Louis XI; du Louis XI (moins l'ignorance et le goût du sang), alors que voulant flatter le bourgeois, son bon compère, dont il était véritablement la représentation couronnée, il lui prodiguait des caresses et des flatteries. Du Louis XIV, lorsque le juste orgueil de sa race jaillissait soudainement au contact de certains hommes, en présence de certains oublis du respect et des convenances; enfin dans la pensée vraiment royale de la restauration de ce Versailles plein des souvenirs du grand roi, œuvre dernière et magnifique que les révolutions ne devaient pas lui laisser achever tout entière, telle que son esprit l'avait rêvé et que sa volonté l'avait résolu.

Autour de Louis-Philippe se groupait une nom

1. C'étaient des potages de différente sorte que le roi mangeait successivement; une volaille au riz; de la bière pour boisson; et, à la fin du repas, un verre de vin d'Espagne.

breuse et jeune famille, complète alors, que deux fils dominaient de la tête. L'aîné, le duc de Chartres, dont la révolution venait de faire un duc d'Orléans, avait reçu de la constitution nouvelle le titre de prince royal, emprunté aux cours d'Allemagne (la désignation de Dauphin ayant paru trop monarchique pour être appliquée au fils du roi, anomalie fréquente à cette époque bizarre).

Grand et d'une taille élancée, le duc d'Orléans devait à l'éducation publique, que par un calcul de Louis-Philippe ses frères ainsi que lui avaient reçue, un aplomb, une confiance en lui-même, et une verbosité souvent heureuse qui prévenaient favorablement au premier abord. C'est un réel avantage pour les princes que ces qualités, qui seraient peu de chose pour les autres hommes, surtout lorsque la nature y a joint un physique élégant, car les masses se prennent facilement aux séductions extérieures. Le premier mouvement du duc de Chartres avait été de voler à la tête de son régiment, le 1er hussards, au secours de Charles X menacé, et rencontrant Mme la dauphine 1, qui se hâtait de rejoindre le cortége royal par des routes détournées, de la protéger contre les populations déjà menaçantes. Averti à temps par les soins de Louis-Philippe, son second mouvement fut, en

1. Née le 19 décembre 1778; morte le 19 octobre 1854.

restant à Paris, de se mettre à la tête de la jeunesse libérale. Dès les premiers jours de septembre 1830 il écrivait la lettre suivante à M. de Lafayette pour lui demander, lui colonel d'un des régiments de l'armée, à servir comme simple canonnier dans la garde nationale de Paris:

« Vous ne serez pas étonné, mon cher général, que j'éprouve le désir de faire partie de cette glorieuse garde nationale que vous avez commandée aux deux grandes époques de notre histoire moderne, et dont vous avez chaque fois guidé l'héroïsme; c'est le devoir de tout bon citoyen, et, plus que tout autre, je tiens à le remplir. C'est dans l'artillerie de la garde nationale que je désire être inscrit comme canonnier, parce que je pourrai souvent en faire le service sans manquer à mes autres devoirs. Je saisis d'ailleurs avec empressement, mon cher général, cette occasion de vous renouveler l'assurance de tous les sentiments que je partageais déjà avec cette milice citoyenne à laquelle je suis maintenant fier d'appartenir. »>

Un des graves et inévitables inconvénients de l'éducation publique de M. le duc de Chartres, c'était la camaraderie obligée qu'elle avait créée entre lui et un assez grand nombre de jeunes gens, plus ou moins capables, plus ou moins honorablement placés dans le monde, quelquesuns se recommandant par des noms révolution

naires, tous se croyant créanciers du jeune prince par le seul fait de leur présence simultanée sur les bancs de l'école, et appelés nécessairement à occuper un emploi élevé dans l'État. Triste entourage auquel le duc d'Orléans emprunta quelquefois des manières peu dignes de son haut rang, et un langage dont le laisser-aller déplaisait singulièrement au roi, lorsque l'imprudence des propos n'allait pas jusqu'à embarrasser sa politique. Ajoutons que de précieuses qualités de cœur rachetaient amplement, chez l'homme, les défauts qu'on aurait pu signaler chez le prince, dont la jeune carrière devait être si cruellement et si soudainement brisée; aussi, lorsqu'une affreuse catastrophe vint le ravir à sa famille, la joie des partis hostiles fut-elle moins grande que leur pitié. Il faut le dire, du reste, on s'est étrangement trompé lorsqu'on a pensé que la mort du duc d'Orléans avait été la perte de la dynastie de 1830. On doit chercher ailleurs les causes de cette chute de la monarchie de Juillet. Le duc d'Orléans ne s'était jamais vu en face de difficultés politiques d'un ordre élevé, et, pour quiconque a étudié de près ses aptitudes et son caractère, il est évident qu'au moment du danger de 1848, on n'eût trouvé en lui qu'un Louis-Philippe avec la jeunesse de plus, il est vrai, mais aussi avec l'expérience de moins.

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