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Le duc de Nemours, second fils du roi, n'avait que seize ans lorsque éclata la révolution de juillet. Esprit droit, tête bien organisée, cœur loyal, ce prince devait être le plus sérieusement capable, et pourtant le moins populaire des enfants de LouisPhilippe. Le sentiment de sa dignité personnelle passait pour de la froideur aux yeux des masses prévenues, et bien que sa nature physique fût plus distinguée que celle de son frère, elle frappait moins au premier abord, parce qu'elle manquait d'expansion. Le roi résumait parfaitement les qualités et les défauts de cette nature en disant de son second fils : « Nemours aurait dû naître archiduc. »

Louis-Philippe ne pouvait trouver dans ses deux fils aînés, trop jeunes alors, aucun concours réel et immédiat pour l'œuvre difficile qu'il avait entreprise. En trouvait-il davantage dans le personnel de nuances si étrangement diverses que lui offrait son premier ministère?

Assurément Louis-Philippe pouvait rencontrer dans M. le comte Molé les précieuses traditions inhérentes à l'école impériale; dans M. Guizot, qui n'avait pas encore, ainsi que nous avons eu l'occasion de le dire, atteint l'apogée de son talent et de sa juste renommée d'homme d'État, la fermeté unie à la science politique; dans M. de Broglie, toute la valeur d'un esprit systématique, mais éminent.

Le maréchal Gérard lui offrait le loyal concours de son épée et le prestige d'un beau nom militaire. Il y aurait eu beaucoup à attendre de M. Casimir Périer placé en dehors de la combinaison ministérielle active mais son heure n'était pas encore venue, heure précieuse pour la monarchie de juillet et pour l'ordre européen. MM. Laffitte et Dupont (de l'Eure), avec une immense différence de tenue, de convenances, d'intelligence politique, toute en faveur du premier, n'en étaient pas moins essentiellement médiocres. M. Laffitte, qui s'imaginait trop que les hommes qui ont contribué le plus largement à faire les révolutions sont ceux qui en profitent et les dirigent, n'avait pas encore pour le roi la haine que, sous l'empire de déceptions inévitables, il devait lui vouer bientôt, se montrait familier dans le conseil, mais savait du moins ne perdre jamais le respect. Quant à M. Dupont (de l'Eure), prodigue de paroles rudes, grossières, malséantes, il fallait au roi une grande patience et beaucoup d'abnégation personnelle pour parvenir à le supporter.

En résumé, ce cabinet d'expédients et de rencontre aurait offert des ressources individuelles que son action d'ensemble paralysait complétement. Ses divisions intestines devaient nécessairement détruire l'effet de ses efforts collectifs, et jamais peut-être plus qu'à cette époque le gouver

nement personnel de Louis-Philippe, contre lequel un parti s'est élevé depuis avec tant d'aigreur et, disons-le, d'injustice, ne rendit autant de services à la société, à l'ordre, et aux grands intérêts politiques de l'Europe.

LIVRE TROISIÈME

I. Soulèvement en Belgique. Origine de la question belge. II. La révolution à Bruxelles. III. Divisions dans les conseils du roi des Pays-Bas. Les princes hollandais marchent sur Bruxelles. Entrée du prince d'Orange dans cette ville. — IV. Mise en accusation des ministres de Charles X. Ils sont traduits devant la Chambre des Pairs. Leur attitude. Interrogatoires. Plan de LouisPhilippe pour sauver leurs têtes. V. Réunion des États-Généraux à La Haye. Le peuple proclame à Bruxelles un gouvernement provisoire. Les troupes hollandaises investissent Bruxelles. Combats des journées de septembre. Défaite des troupes royales.

Une première difficulté extérieure venait de surgir pour ce gouvernement nouveau, qui cherchait avec tant de soin à les éviter toutes. Le contre-coup de la révolution de Juillet s'était fait sentir très-fortement en Belgique, et la situation morale de ce pays rendait probable une commotion révolutionnaire dans les Flandres. Ce soulèvement prévu ne tarda pas à se produire.

La création du royaume des Pays-Bas, c'està-dire la réunion de la Belgique à la Hollande,

avait été regardée, par les signataires du traité de Vienne, comme la plus habile de leurs combinaisons. Ils avaient cru y trouver une garantie certaine du maintien de l'équilibre européen; ils avaient pensé (et ce ne fut pas à leurs yeux le moindre avantage de cette conception politique) qu'ils venaient d'élever une barrière nouvelle entre le nord de l'Europe et les prétentions de la France.

Uniquement guidées par un intérêt personnel, les puissances ne se préoccupèrent point alors de l'intérêt particulier des Nassau. L'habileté reconnue du chef de cette noble maison, l'estime qu'il avait su généralement inspirer, ne dictèrent point leur choix; la raison politique fut seule invoquée en cette circonstance où l'on disposa de deux peuples sans les consulter, et sans consulter leur histoire. La population du nouveau royaume allait être de cinq millions d'habitants, dont trois millions appartenaient aux provinces belges formant jadis les départements français de l'Escaut, de la Dyle, de la Lys, de Jemmapes, des Deux-Nèthes, de la Roër, de l'Ourthe, de Sambre-et-Meuse et de la Meuse-Inférieure. Était-ce donc la Hollande que l'on réunissait à la Belgique? et la réunion n'étaitelle pas tout à fait en faveur de cette dernière?

Ce fut cependant la Belgique qui chercha la première à rompre le lien qui unissait les deux

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