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détention dans une forteresse, mesures auxquelles, en dernière analyse, on était toujours maître de recourir? Le but que Louis-Philippe se proposait ou devait vouloir atteindre, n'était-ce pas, en effet, d'éloigner Marie-Caroline de ce sol vendéen que sa présence pouvait sourdement agiter, précisément parce que l'explosion de la guerre civile n'y avait pas été complète? Toute autre façon de procéder devait avoir des inconvénients graves, et le plus sérieux peut-être pour le gouvernement de Juillet, c'était, tout en arrêtant bruyamment sa prisonnière, de l'enlever ensuite à la juridiction ordinaire des tribunaux et au jugement du jury. La crainte que l'on manifestait de la sévérité de ce dernier, n'étaitce point un prétexte, et ne pouvait-on supposer, à la rigueur, que ce que l'on redoutait surtout en lui c'était, au contraire, une trop grande indulgence?

Mais, indépendamment de ces considérations d'un ordre tout politique, il y avait encore les raisons privées, les raisons de famille. Arrêter bruyamment la nièce de la reine, la princesse napolitaine, avec l'accompagnement ordinaire en pareil cas d'agents de police et de gendarmes, comme un conspirateur vulgaire; la détenir dans une prison d'État arbitrairement, sans jugement; cette manière d'agir à l'égard d'une parente qui, au jour de la prospérité, s'était constamment montrée sympathique et empressée, ne devait-elle pas

donner lieu à de bien amères réflexions, à des rapprochements douloureux? Puisqu'on ne reculait pas devant ce qui était inconstitutionnel, arbitraire, pourquoi ne pas faire de l'arbitraire, de l'inconstitutionnel dans le sens de la famille? Toute l'Europe eût applaudi à une semblable détermination.

Mais, il faut bien le dire, le roi seul pouvait, en imposant comme il le faisait si volontiers, d'ailleurs, sa volonté personnelle à ses conseillers politiques, donner cette tournure aux poursuites dirigées contre Marie-Caroline. Lui seul pouvait épargner à la duchesse de Berri la captivité en même temps que le procès. Aucun de ses ministres ne devait prendre sur lui de lui donner un tel conseil. Leur rôle était, au contraire, en cette circonstance exceptionnelle, d'insister pour l'application de mesures capables, par leur rigueur relative, de comprimer l'élan légitimiste des provinces de l'Ouest et d'ôter son point d'appui à la guerre civile. Il n'est donc pas étonnant que le nouveau ministre de l'intérieur, M. Thiers, se soit préoccupé dès son entrée aux affaires de découvrir la retraite de la princesse et de procéder à son arrestation. Jeune, tout imbu des souvenirs que son Histoire de la Révolution française avait si puissamment contribué à populariser, ardent défenseur des principes et du régime de 1830,

M. Thiers ne reculait devant aucune des conséquences de la situation, et désirait, au contraire, trouver l'occasion de prouver que, s'il était homme de conseil, il possédait aussi toute la hardiesse, toute l'initiative des hommes d'action.

Déjà son prédécesseur, M. de Montalivet, avait reçu la visite et les confidences d'un juif nommé Hyacinthe-Simon Deutz, jadis ouvrier imprimeur dans la maison Didot, à Paris, et beau-frère de M. Drack, nommé par la duchesse de Berri bibliothécaire de son fils, le duc de Bordeaux, sur les vives recommandations de personnages considérables. Deutz s'étant rendu à Rome pour y embrasser la religion catholique, le pape s'était empressé de le faire entrer comme pensionnaire au couvent des Saints - Apôtres 1. Là, le juif converti avait su conquérir la bienveillance du souverain pontife, à tel point que Grégoire XVI, après lui avoir confié diverses missions particulières en Espagne et en Portugal, n'avait pas hésité à le recommander à Madame, lors de son passage à Rome, comme un homme intelligent et dévoué à la cause de la légitimité.

Deutz revenant de Madrid et s'étant insinué dans l'intime confiance de plusieurs chefs du parti

1. Deutz eut pour parrain M. le baron Mortier, premier secrétaire de l'ambassade française à Rome, et pour marraine une princesse italienne.

légitimiste, de façon à se trouver chargé de correspondances qu'ils entretenaient avec la duchesse, demanda mystérieusement une audience à M. de Montalivet. Le rendez-vous fut accordé. Deutz déclara qu'il lui était facile de connaître le lieu de la retraite de Marie-Caroline et qu'il en instruirait le gouvernement si ce dernier consentait à payer largement son secret, proposition dont les termes avaient été immédiatement transmis à Louis-Philippe, mais qui ne fut cependant pas acceptée de suite. Cette hésitation, produite peut-être par l'embarras dans lequel l'arrestation de la princesse pouvait placer le gouvernement, peut-être aussi par un dégoût intinctif pour les moyens que l'on allait employer en cette déplorable circonstance, cette hésitation, disons-nous, se prolongea jusqu'à la formation du ministère du 11 octobre. M. de Montalivet, charmé de laisser à son successeur le soin de traiter avec Deutz cette honteuse affaire de trahison, conduisit le juif chez M. Thiers, avec lequel il le mit en rapport. Homme d'État plus mûr, M. Thiers eût certainement aperçu le mauvais côté et les tristes effets d'une négociation pareille. Jeune au pouvoir, ambitieux de popularité, voyant surtout dans les propositions de Deutz le moyen de terminer d'un seul coup la guerre civile de l'Ouest et de prendre, au commencement de la session, une bonne attitude vis-à-vis des Cham

bres, il s'empressa de conclure avec le juif un marché auquel Louis-Philippe, vivement pressé par sa sœur, Mme Adélaïde, finit par donner son assentiment. Deutz reçut une somme considérable et dut aussitôt partir pour Nantes, accompagné ou pour mieux dire surveillé par le commissaire de police Joly.

Une modification importante s'opérait en même temps dans le haut personnel administratif du département de la Loire-Inférieure. Le préfet, M. de Saint-Aignan, esprit distingué et homme du monde, que ses relations aristocratiques, à Nantes et aux environs, pourraient embarrasser dans l'exécution des projets du gouvernement, était remplacé par un administrateur de l'école impériale, M. Maurice Duval, préfet de l'Isère. Cette nomination ne parut pas d'abord satisfaire les libéraux nantais, qui reprochaient à M. Duval son attitude pendant les derniers troubles de Grenoble. Un charivari lui fut donné et se renouvela deux jours de suite. Mais le nouveau préfet espérait bien regagner les sympathies des patriotes par le succès de l'entreprise à laquelle il devait activement coopérer. Il s'y consacra tout entier.

Cependant Marie-Caroline, loin de se douter de l'orage prêt à éclater sur elle, continuait à vivre au fond de sa retraite de la vie paisible et occupée qu'elle avait adoptée dès le lendemain de son arri

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