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du ministère provisoire qui fut formé après la révolution. Notre premier acte fut dirigé contre Charles X; nous décidâmes que, de gré ou de force, ce prince et sa famille seraient conduits hors du royaume. C'était une évidente infraction des lois en vigueur, c'était une infraction à la charte qui garantit la liberté individuelle, violation d'autant plus manifeste qu'elle s'adressait à des personnages élevés plus haut. Cependant, aucune voïx ne s'est fait entendre contre nous; nous n'avons été accusés par personne; nous avons trouvé un bill d'indemnité dans la nécessité. La nécessité politique avait, en effet, parlé. La nécessité politique avait suspendu pour un homme et pour une famille l'empire de la loi écrite ! Le 7 août 1830, un trône nouveau fut élevé. Que disaient les adversaires de la révolution, les hommes qui regrettaient la restauration? ils disaient : C'est trop ou c'est trop peu. Aux termes de la charte de 1814, Charles X n'est pas responsable. Si vous respectez la charte, vous devez vous contenter de mettre les ministres en jugement. Voulez-vous, au contraire, mettre au néant la charte, alors jugez réellement Charles X, mais ne le condamnez pas sans l'entendre. Logiquement, ce raisonnement était sans réplique; néanmoins les Chambres ne s'y sont pas arrêtées. Ici, encore, la loi écrite s'est tue; la voix seule de la nécessité s'est fait entendre. La déchéance de Charles X et

sa famille a été prononcée, mais, en même temps, les Chambres ont reconnu qu'au delà de la déchéance, il n'y aurait qu'injustice et méconnaissance de tous les principes; elles ont reconnu que l'inviolabilité royale couvrait Charles X, qu'elle le préservait non-seulement contre un jugement, mais contre tout abaissement de la dignité royale.... Que réclame-t-on done? un jugement? et après le jugement, quel qu'il soit, une détention avec les égards que la situation de la duchesse de Berri exige. Eh bien, ce qu'on demande est ce qui existe déjà. Pourquoi deux poids et deux mesures? Ce n'est pas un jugement sérieux, réel, qu'on vous demande. Ce qu'on veut, ce n'est pas assurer le triomphe de l'innocence s'il y a innocence; la punition du crime s'il y a crime; on voudrait un jugement pour la forme, un simulacre, une comédie solennelle, un dénouement prévu, réglé d'avance. Et à quoi bon ce jugement? à quoi est-il destiné? Je ne pense pas que ce soit pour vous donner le spectacle de l'abaissement d'une grande' fortune; ce serait une triste et odieuse jouissance! » Ce discours, tout rempli d'enseignements rétrospectifs, et qui contenait cet aveu singulièrement placé dans la bouche de M. le duc de Broglie, l'un des plus habiles soutiens du système constitutionnel, que les garanties formulées dans les constitutions n'étaient jamais que des lettres-mortes,

lorsqu'il s'agissait de les pratiquer réellement et sérieusement, ce discours, disons-nous, fut accueilli avec défaveur par une assemblée dont la majorité se retrouvait révolutionnaire, toutes les fois qu'on lui parlait des Bourbons de la branche aînée. « Il existe contre la duchesse de Berri, s'écria M. Odilon-Barrot, un arrêt de la cour royale. En présence de cet arrêt, que pouvez-vous faire? demander que la justice ait son cours. Les mots n'ont jamais manqué aux mauvaises causes, ni les sophismes à ceux qui voulaient violer les lois. >> M. Thiers vint en aide à son collègue, si violemment attaqué. Il le fit avec talent et en homme qui connaissait admirablement l'assemblée à laquelle il s'adressait. Il sut d'abord se concilier ses sympathies par l'habile exagération de son patriotisme anti-bourbonien; puis après avoir bien flatté ses passions, ses rancunes, il lui déclara nettement que, le jugement de la duchesse de Berri pouvant gravement compromettre la tranquillité du pays, il croyait pour son propre compte, dans le cas où on voudrait instruire le procès, à l'absolue nécessité d'échelonner une armée de quatre vingt mille hommes dans les provinces de l'ouest et du midi de la France, pour parer aux éventualités de soulèvements et de troubles qu'il lui était impossible de ne pas entrevoir.

Et la Chambre, effrayée du tableau qu'on lui pré

sentait ainsi, passa à l'ordre du jour, en déclarant qu'il ne lui appartenait pas de statuer sur le sort d'une prisonnière, et qu'elle devait laisser au gouvernement sa libre action dans une question où la responsabilité gouvernementale se trouvait si gravement engagée.

Ces émotions parlementaires n'étaient point les seules que provoquât, à cette époque, le nom de la duchesse de Berri. Ce nom avait grandi, précisément parce que, dans certaines conditions données, le courage et l'infortune ont toujours le privilége de grossir l'importance des personnages historiques, et le parti légitimiste plutôt excité qu'abattu par cette captivité de Blaye, qui lui semblait, dans ses vives et généreuses appréciations, entourer d'une véritable auréole le front d'une mère héroïque, avait gagné en influence, en puissance morale, mais surtout en activité et en audace. M. de Chateaubriand publiait alors cette brochure célèbre, qu'il terminait en disant : « Madame, votre fils est mon roi ! » Les chefs les plus influents du parti, déclaraient hautement que jamais Marie-Caroline ne leur avait paru plus grande que derrière les remparts de Blaye. Était-ce là ce que le Pouvoir avait

voulu ?

L'attitude chevaleresque, mais hautaine des légitimistes provoquait naturellement les susceptibilités des opinions contraires, et la presse se

chargeait de formuler ces colères des partis. II arriva un jour, où son langage devint outrageant pour la noble prisonnière, dont la vie aventureuse, au milieu des champs de la Vendée, était présentée sous des couleurs romanesques, qui lui eussent presque enlevé son caractère politique. Les jeunes royalistes, officiers ou écrivains, frémirent d'impatience. Ils provoquèrent en duel les journalistes qui se déclarèrent responsables des articles publiés. Ce fut une mêlée générale. Douze légitimistes s'étaient fait inscrire dans les bureaux du National, liste sur laquelle le directeur de cette feuille, Armand Carrel, devait choisir un adversaire. Les républicains ripostèrent par l'envoi de douze noms au jounal royaliste le Revenant, demandant douze rencontres successives qui, d'abord écartées, auraient eu lieu peut-être si la police ne se fût point mêlée de ces déplorables débats. Son action tardive n'empêcha pas toutefois plusieurs de ces duels d'avoir lieu entre les représentants des deux opinions. M. Eugène Briffault, rédacteur du Corsaire, avait été légèrement blessé dans la première de ces affaires. Armand Carrel le fut assez grièvement en combattant contre M. Roux-Laborie. Il était bien temps, du reste, que le gouvernement intervînt, car la lutte tendait à se généraliser. La société Aide-toi, le ciel l'aidera, avait écrit au National qu'elle était prête à la soutenir dans toutes

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