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gique à l'Angleterre; nos frontières aux ennemis? Non, tant que le sang coulera dans les veines d'un seul Français, il ne se laissera jamais asservir sous la loi d'un lâche tyran qui ne rêve que guerre civile, trahison, désespoir, misère, ruine du peuple et perte du pays.... crions d'une voix unanime: Aux armes! aux armes! » Ces formules déclamatoires indiquaient, malgré leur banalité, l'origine républicaine du complot. L'instruction judiciaire prouva qu'il était, en effet, l'oeuvre de quelques enfants perdus des sociétés secrètes, mais elle démontra en même temps que la police en avait eu connaissance assez à temps pour pouvoir en prévenir l'explosion si elle l'avait jugé convenable, circonstance qui devint favorable aux accusés: cinq sur huit furent acquittés par le jury, tandis que les trois autres n'étaient condamnés qu'à une incarcération de peu de durée.

Un mois s'était à peine écoulé depuis cette tentative républicaine (il est vrai de dire que les mois étaient des siècles à cette époque agitée), qu'une conjuration légitimiste plus sérieuse éclatait à son tour dans des circonstances non moins singulières. Nous avons eu déjà l'occasion de parler de ce nombreux personnel de soldats de la garde royale, de gardes du corps, de vieux serviteurs de la branche aînée, dans lequel il était si facile de recruter d'actifs conspirateurs. On parvint à former ainsi un

noyau assez considérable pour pouvoir tenter le coup le plus hardi en s'introduisant dans le palais des Tuileries, à la faveur d'une fête de la cour. Des agents de Mme la duchesse de Berry avaient répandu de fortes sommes d'argent dans les masses nécessiteuses, et un nommé Poncelet, ancien combattant de Juillet, désormais acquis à la cause de la Légitimité, s'était chargé d'organiser le coup de main qui devait faire tomber Louis-Philippe et sa famille au pouvoir des conjurés. Quelques personnages de distinction se trouvèrent compromis dans cette affaire. Des ouvertures directes avaient même été faites à M. de Chateaubriand, qui leur a consacré un chapitre de ses Mémoires posthumes. Le grand écrivain raille impitoyablement cette tentative avortée, qu'il dépeint avec une verve singulière : « Dans ce formidable complot, dit-il, il ne manquait pas dé personnes graves, pâles, maigres, transparentes, courbées, le visage noble, les yeux encore vifs, la tête blanchie. Ce passé ressemblait à l'honneur ressuscité, venant essayer de rétablir, avec ses mains d'ombre, la famille qu'il n'avait pu soutenir de ses vivantes mains. Souvent des gens à béquilles prétendent étayer les monarchies croulantes.... D'un autre côté, les héros de Juillet ne demandaient pas mieux que de s'entendre avec les carlistes pour se venger d'un ennemi commun, quittes à s'égorger après la victoire.... On m'infor

mait de ces menées que je combattais. Les deux partis voulaient me déclarer leur chef au moment certain. du triomphe.... Bientôt la catastrophe arriva. On connaît la rue des Prouvaires, rue étroite, sale, populeuse, dans le voisinage de Saint-Eustache et des Halles. C'est là que se donna le fameux souper de la troisième restauration. Les convives étaient armés de pistolets, de poignards et de clefs; on devait, après boire, s'introduire dans la galerie du Louvre, et, passant à minuit entre deux rangs de chefs-d'œuvre, aller frapper l'usurpateur au milieu d'une fète. La conception était romantique; le XVIIe siècle était revenu; on pouvait se croire au temps des Borgia, des Médicis de Florence et des Médicis de Paris, aux hommes près. » Deux des conjurés vinrent à neuf heures du soir faire auprès de M. de Chateaubriand une nouvelle tentative qui fut repoussée comme les premières. L'illustre écrivain traitait de folle une telle entreprise et prédisait la perte des hommes qui se jetaient inconsidérément dans de semblables hasards. Il était dans le vrai Le préfet de police, M. Gisquet, instruit qu'un marché d'armes avait été passé par les conjurés avec un fournisseur qui devait livrer ces armes dans la soirée même, en laissa parvenir un certain nombre à leur destination, afin que le flagrant délit pût être plus aisément constaté, et ne fit entourer et investir la maison de

la rue des Prouvaires qu'au moment où les conspirateurs allaient mettre leur complot à exécution. Lorsque les agents se présentèrent, Poncelet déchargea un de ses pistolets sur un sergent de ville, qu'il renversa à ses pieds. Mais cette résistance était vaine; les armes, les cartouches, l'argent, les clefs du Louvre et des Tuileries que les chefs du complot étaient parvenus à se procurer, tout fut saisi. Poncelet et cinq des conjurés furent condamnés à la déportation. Les autres, au nombre de vingt-et-un, subirent un emprisonnement plus ou moins long, et dont le maximum de la durée ne dépassait pas cinq ans. On avait, dans le premier moment, arrêté près de trois cents personnes; plusieurs notabilités légitimistes furent compromises. Étrange tentative qui prouve à quel point étaient alors vivaces les espérances des partis hostiles au trône de Juillet!

L'effervescence de la province coïncidait, d'ailleurs, avec les complots de la capitale : une dépêche télégraphique, en date du 14 mars, apprenait au ministre de la Guerre que de graves désordres venaient de se produire à Grenoble, à la suite d'une mascarade politique où des jeunes gens de la ville s'étaient plu à personnifier grotesquement le budget de l'État, accompagné des deux budgets supplémentaires, plaisanterie naturellement accueillie par des rires et des applaudissements,

mais bientôt suivie de rumeurs et de provocations. Les autorités 1, méconnues un moment, en avaient appelé au zèle de la garde nationale, et la garde nationale ne s'était pas présentée en nombre. Il avait donc fallu engager la troupe de ligne contre les émeutiers. Le conflit fut sanglant. C'était précisément le 35 régiment de ligne, composé pour la majeure partie, d'anciens soldats de l'ex-garde royale, qui tenait alors garnison à Grenoble. Charmé de pouvoir prendre une revanche sur les révolutionnaires, il réprima avec une énergie terrible ces tentatives de désordres, par lesquelles Grenoble semblait vouloir suivre le fatal et récent exemple de Lyon. La répression fut même si forte, si complète, que, redoutant d'exciter de nouvelles agitations dans les rangs du peuple exaspéré, le général Saint-Clair, pressé par le conseil municipal de Grenoble, crut devoir demander au lieutenantgénéral Hulot, qui commandait la division militaire, le renvoi du 35° de ligne, et cependant ce régiment venait de faire bravement son devoir. Après quelques hésitations, le général Hulot décida que le 6 serait dirigé de Lyon sur Grenoble, pour y remplacer le 35o. Il lui adjoignait en même temps un régiment de dragons et une demi-batterie d'artillerie. On ne pouvait guère se méprendre, du reste,

1. M. Maurice Duval était alors préfet de l'Isère.

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