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le caractère, et le caractère du style révèle immédiatement celui de l'esprit. Il est à son égard ce que sont dans l'homme les traits et la physionomie. Il y a des traits communs et des traits distingués, des figures expressives et des figures muettes. Ainsi du style; et l'absence de caractère est, en ce qui touche l'art, la plus certaine marque de médiocrité.

Il existe des ouvrages qui se composent de pensées isolées, sans liaison entre elles; parmi nous La Rochefoucauld, La Bruyère et d'autres. Plusieurs sont remarquables de style. Cependant les grandes œuvres d'art forment un ensemble dont les parties, ordonnées dans le tout comme les organes dans le corps vivant, concourent à un but commun. Chaque phrase alors, quoique complète en soi, a d'intimes relations avec celles qui suivent et celles qui précèdent elles sont dans le discours ce que les mots sont dans la phrase. Elles y remplissent les mêmes fonctions, s'éclairant l'une l'autre et se modifiant, pour exprimer ce qui ne pourrait l'ètre séparément par aucune d'elles. Leur mouvement dessine le tableau, qu'en même temps elles colorent de leurs nuances mélangées et distribuées pour l'effet total. Le rhythme aussi varie, suivant l'impression que l'écrivain veut actuellement produire. Il se hâte, il se ralentit, se brise, se transforme, tantôt se développant avec majesté comme les vastes ondes d'une mer calme, tantôt décrivant mille courbes gracieuses, comme les tiges fleuries qu'agite, en glissant sur la plaine, un souffle léger.

Le sujet détermine le ton général. S'agit-il simplement de parler à l'esprit, de le convaincre, les qualités

principales et presque uniques du style sont la clarté, l'ordre, la suite, l'enchaînement logique des idées qui procèdent l'une de l'autre, sans effort, sans lacune, s'éclairent et se fortifient mutuellement. Cette sorte de composition n'admet que peu d'ornements et que des ornements graves. Sa beauté, c'est la correction, la pureté du trait, la noblesse, l'élégance sévère et une certaine élévation constante. Parmi les philosophes, Malebranche en offre un modèle achevé.

Plus animé dans la passion, le style en prend tous les caractères, en exprime toutes les nuances. Une autre logique que celle de l'esprit préside au choix des mots et à leur arrangement, les détourne à des sens nouveaux, inattendus.

Poussés et repoussés par le flot interne, ils se pressent, se mêlent sans règle apparente. Le discours devient figuré, le coloris en est plus vif, le mouvement plus varié. Quelquefois rapide, impétueux, il court, il bondit; quelquefois il se meut avec lenteur, fléchissant à chaque pas et comme affaissé sous une tristesse pesante. On entend tour à tour des sons tendres et doux qui reposent, et des accents heurtés, des cris aigus qui font tressaillir. Le drame est plein de ces effets; mais il faut qu'ils soient inspirés, qu'ils se présentent d'euxmèmes cherchés, calculés, ils ont toujours quelque chose de faux qui refroidit au lieu d'émouvoir.

La passion abonde en images parce que l'élément physiologique y domine, et qu'elle a dès lors une liaison étroite avec la sensation. D'un autre côté, le beau dans l'art implique essentiellement l'image, puisqu'il im

plique une forme sensible qui réalise extérieurement l'exemplaire idéal. L'écrivain doit donc être doué d'une vive et féconde imagination. C'est elle qui, contenue dans les bornes du vrai, donne au style l'éclat, le relief, la vie. A quelque degré qu'on y retrouve les autres qualités qu'exige l'art d'écrire, si l'imagination ne l'a point pénétré de son souffle puissant, de sa vertu plastique, on y sent une certaine sécheresse dont l'impression ressemble à celle qu'on reçoit de la nature morte et d'une campagne nue. Nous ne parlons point ici de l'imagination qui invente un sujet fictif, une épopée, un drame, en dispose les parties, en combine dans une vaste unité les incidents divers; mais de l'imaginatiou du langage, de celle qui anime l'expression et la rend vivante.

Nous l'avons déjà dit, la forme extérieure ne contenant point en soi le modèle qu'elle doit révéler, sa fonction propre est d'exciter l'esprit à le reproduire lui-même. Sous ce rapport, l'art d'écrire ne diffère point des autres arts, et ses procédés aussi sont les mêmes au fond. La langue se refuse-t-elle à exprimer ce que l'artiste a conçu, ce qu'il a senti, il le fait jaillir de la combinaison des termes qu'elle fournit, de leur fusion, de leur contraste. Par l'heureux choix des mots, par leur disposition, par les idées accessoires qu'elles réveillent, par des nuances indéterminées qui laissent pressentir quelque chose au delà, il dilate la sphère de la vision intellectuelle, il ouvre à la pensée des horizons immenses, à la rêverie des perspectives qui s'enchaînent à d'autres perspectives, des lointains qui fuient dans l'espace sans

bornes. De là le sentiment de l'infini, et avec lui l'idéale beauté, ce je ne sais quoi qui nous ravit dans les œuvres immortelles qu'on a lues cent fois, qu'on relit encore, tant le charme en est inépuisable.

Ce charme, elles le doivent en partie à l'élément harmonique du langage, au rhythme, au mouvement, à la mélodie. La puissance propre de la musique, combinée avec celle de la simple parole, en augmente l'effet. Mais l'harmonie qui touche, émeut, qui ébranle l'imagination, et par de secrètes affinités aide la conception même, ne consiste point dans une suite monotone de sons cadencés. Elle doit correspondre à la nature, à l'ordre des pensées et des sentiments, se développant, variant avec eux, par des modulations délicates ou de soudaines dissonances, quelquefois limpide et brillante, quelquefois sombre, lugubre, flexible à toutes les expressions, grave, périodique, austère, heurtée, âpre, suave, légère. A cet égard encore, les grands écrivains ont, comme les grands compositeurs, chacun leur caractère, et, pour user de ce mot, leur forme harmonique qu'on reconnaît immédiatement; mais tous aussi ont su la plier aux besoins variés de l'art, et paraître toujours nouveaux en demeurant toujours eux-mêmes.

Le Beau et le Vrai étant identiques par leur essence, point de beauté sans vérité, et conséquemment, alors même que l'écrivain, dans sa hardiesse et sa liberté, s'élève au-dessus des règles ordinaires, il doit être constamment guidé par une sévère raison, laquelle n'est que cette espèce de jugement instinctif qui résulte de la perception simultanée des rapports souvent si déliés, si

compliqués des formes, des images, des expressions entre elles et l'objet qu'elles sont destinées à manifester. Toutefois, en ce qui touche les rapports de l'expression et de l'objet, la vérité n'est pas dans l'Art l'exacte imitation de la Nature, mais la reproduction du type idéal que l'esprit seul découvre, et qui, en s'incarnant dans la Nature, y reste inaccessible aux sens, lesquels n'en perçoivent que l'inerte enveloppe d'où deux procédés très-divers pour peindre la Nature même. Les anciens étaient admirables en ce point. Ils avaient d'abord merveilleusement compris que le Beau, ayant une relation nécessaire à l'intelligence, n'était pas, quant à nous, dans les choses mêmes, mais dans les impressions que nous en recevons, dans les pensées et les sentiments qu'elles font naître en nous. C'est pourquoi jamais ils ne décrivaient simplement pour décrire, jamais ils ne manquaient de joindre à la peinture des objets extérieurs un sentiment, une idée morale, qui reportaient immédiatement le regard interne vers le principe éternel du Beau. Par un motif semblable, au lieu de s'étendre sur les détails, ils peignaient l'ensemble, choisissant le trait le plus frappant, et laissant après l'imagination achever le tableau; car ils savaient qu'ainsi ils l'agrandissaient indéfiniment, et l'embellissaient de toutes les créations dont la pensée et la rêverie peuvent animer une perspective sans limites,

En d'autres temps, on s'est, au contraire, appliqué à décrire uniquement la nature, la nature telle qu'elle est, telle que la perçoivent les sens, et dès lors on s'est jeté dans une stérile profusion de détails qui éblouissent

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