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COUSIN.

(1792.)

M. Victor COUSIN, chef de l'école de la philosophie éclectique, est fils d'un horloger de Paris. Il entra jeune dans l'enseignement, et embrassa la carrière philosophique. Disciple de Royer-Collard, et son successeur à l'École normale, il enseigna d'abord la philosophie écossaise de Reid, se fortiña ensuite dans l'étude de la philosophie allemande de Kant, et finit par faire entre les diverses philosophies un choix qui s'est appelé la philosophie éclectique. La philosophie du xvIIIe siècle avait proclamé la liberté sans la règle, le droit sans le devoir, en face des philosophes absolutistes, qui ne parlaient que de règle et de devoir. La philosophie éclectique se proposa de concilier la liberté avec la règle, le droit avec le devoir.

M. Cousin a publié une Histoire de la philosophie au XVIIe siècle, des Fragments philosophiques et littéraires, une Traduction des OEuvres de Platon, des Fragments philosophiques; divers travaux littéraires sur Pascal, sur Jacqueline Pascal; la Jeunesse de Madame de Longueville; du Vrai, du Beau et du Bien; etc. Ces ouvrages assurent à M. Cousin un rang éminent parmi les écrivains contemporains. Ce qui distingue son style, c'est un art profond, en partie caché par un grand naturel; c'est la vivacité, l'éclat, l'élévation; c'est une phrase savante, mais aisée et flexible, qui tantôt se déploic en majestueuses périodes, tantòt s'accourcit et s'aiguise en traits acérés. Aucun style ne rappelle mieux les formes et la grandeur de l'admirable langue du XVIIIe siècle, et ce n'est pas faire tort à M. Cousin que de dire qu'il est peut-être plus éminent comme littérateur que comme philosophe 1.

Philosophie des révolutions.

Longtemps l'humanité se repose dans une forme de la liberté qui lui suffit. Cette forme ne s'établit et ne se

1 Voyez un Parallèle de M. Cousin et de M. Villemain, par M. Sainte-Beuve.

soutient qu'autant qu'elle convient à l'humanité. Il n'y a jamáis d'oppression entière et absolue, mème dans les époques qui nous paraissent aujourd'hui les plus opprimées; car un état de la société ne dure, après tout, que par le consentement de ceux auxquels il s'applique. Les hommes ne désirent pas plus de liberté qu'ils n'en conçoivent, et c'est sur l'ignorance bien plus que sur la servilité que sont fondés tous les despotismes. Ainsi, sans parler de l'Orient, où l'homme enfant avait à peine le sentiment de son être, c'est-à-dire de la liberté; en Grèce, dans cette jeunesse du monde où l'humanité commence à se mouvoir et à se connaître, la liberté naissante était bien faible encore, et pourtant ces démocraties de la Grèce n'en demandaient pas davantage. Mais comme il est de l'essence de toute chose imparfaite de tendre à se perfectionner, toute forme partielle n'a qu'un temps et fait place à une forme plus générale qui, tout en détruisant la première, en développe l'esprit; car le mal seul périt, le bien reste et fait sa route. Le moyen âge, où peu à peu l'esclavage succombe sous l'Évangile, le moyen âge a possédé bien plus de liberté que le monde ancien. Aujourd'hui, il nous paraît une époque d'oppression, parce que, l'esprit humain n'étant plus satisfait des libertés dont il jouissait alors, vouloir le renfermer dans l'enceinte de ces libertés qui ne lui suffisent plus, est une oppression véritable. Mais la preuve que le genre humain ne se trouvait pas opprimé au moyen âge, c'est qu'il le supporta. Il n'y a pas plus de deux ou trois siècles que le moyen âge commence à peser à l'humanité; aussi, depuis deux ou trois siècles,

il est attaqué. Les formes de la société, quand elles lui conviennent, sont inébranlables; le téméraire qui ose y toucher se brise contre elles. Mais quand une forme de la société a fait son temps; quand on conçoit, quand on veut plus de droits qu'on n'en possède; quand ce qui était un appui est devenu un obstacle; quand enfin l'esprit de liberté et l'amour des peuples, qui marche à sa suite, se sont retirés ensemble de la forme autrefois la plus puissante et la plus adorée, le premier qui met la main sur cette idole, vide du dieu qui l'animait, l'abat aisément et la réduit en poussière.

Ainsi va le genre humain de forme en forme, de révolution en révolution, ne marchant que sur des ruines, mais marchant toujours. Le genre humain, comme l'univers, ne continue de vivre que par la mort; mais cette mort n'est qu'apparente, puisqu'elle contient le germe d'une vie nouvelle. Les révolutions, considérées de cette manière, ne consternent plus l'ami de l'humanité, parce qu'au delà des destructions momentanées il aperçoit un renouvellement perpétuel; parce qu'en assistant aux plus déplorables tragédies il en connaît l'heureux dénoûment; parce qu'en voyant décliner et tomber une forme de la société, il croit fermement que la forme future, quelles que soient les apparences, sera meilleure que toutes les autres telle est la consolation, l'espérance, la foi sereine et profonde du philosophe.

:

Les crises de l'humanité s'annoncent par de tristes symptômes et de sinistres phénomènes. Les peuples qui perdent leur forme ancienne aspirent à une forme nouvelle qui est moins distincte à leurs yeux et les agite

bien plus qu'elle ne les console par les vagues espérances qu'elle leur donne et les perspectives lointaines qu'elle leur découvre. C'est surtout le côté négatif des choses qui est clair; le côté positif est obscur. Le passé qu'on rejette est bien connu; l'avenir qu'on invoque est couvert de ténèbres. De là ces troubles de l'âme qui souvent, dans quelques individus, aboutissent au scepticisme. Contre le trouble et le scepticisme notre asile inviolable est la philosophie, qui nous révèle le fond moral et l'objet certain de tous les mouvements de l'histoire, et nous donne la vue distincte et assurée de la vraie société dans son éternel idéal.

Oui, il y a une société éternelle sous des formes qui se renouvellent sans cesse. De toutes parts on se demande où va l'humanité. Tâchons plutôt de reconnaître le but sacré qu'elle doit poursuivre. Ce qui sera peut nous être obscur; grâce à Dieu, ce que nous devons faire ne l'est point. Il est des principes qui subsistent et suffisent à nous guider parmi toutes les épreuves de la vie et dans la perpétuelle mobilité des affaires humaines. Ces principes sont à la fois très-simples et d'une immense portée. Le plus pauvre esprit, s'il a en lui un cœur humain, peut les comprendre et les pratiquer; et ils contiennent toutes les obligations que peuvent rencontrer, dans leur développement le plus élevé, les individus et les États. C'est d'abord la justice, le respect inviolable que la li berté d'un homme doit avoir pour celle d'un autre homme; c'est ensuite la charité, dont les inspirations vivifient les rigides enseignements de la justice sans les altérer. La justice est le frein de l'humanité, la charité en est

l'aiguillon. Otez l'une ou l'autre, l'homme s'arrête ou se précipite. Conduit par la charité, appuyé sur la justice, il marche à sa destinée d'un pas réglé et contenu. Voilà l'idéal qu'il s'agit de réaliser, dans les lois, dans les mœurs, et, avant tout, dans la pensée et dans la philosophie. L'antiquité, sans méconnaître la charité, recommandait surtout la justice, si nécessaire aux démo craties. La gloire du christianisme est d'avoir proclamé et répandu la charité, cette lumière du moyen âge, cette consolation de la servitude, et qui apprend à en sortir. Il appartient aux temps nouveaux de recueillir le double legs de l'antiquité et du moyen âge, et d'accroître ainsi le trésor de l'humanité. Fille de la révolution française, la philosophie du XIXe siècle se doit à elle-même d'exprimer enfin dans leurs caractères distinctifs et de rappeler à leur harmonie nécessaire ces deux grands côtés de l'âme, ces deux principes différents, également vrais, également sacrés, de la morale éternelle : justice et charité.

Le premier des beaux-arts.

L'expression étant le but suprême, l'art qui s'en rapproche le plus est le premier de tous les arts.

Tous les arts vrais sont expressifs, mais ils le sont diversement. Prenez la musique; c'est l'art sans contredit le plus pénétrant, le plus profond, le plus intime. Il y a physiquement et moralement entre un son et l'âme un rapport merveilleux. Il semble que l'âme est un écho

Soit ne serait-il pas plus correct?

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