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donnez l'un à l'autre de bon cœur, comme doivent faire loyaux chrétiens. >>

Charles VII fut oint par l'archevèque de l'huile de la sainte ampoule, qu'on apporta de Saint-Remi. Il fut, conformément au rituel antique, soulevé sur son siége par les pairs ecclésiastiques, servi des pairs laïques et au sacre et au repas. Puis il alla à Saint-Marcou toucher les écrouelles. Toutes les cérémonies furent accomplies sans qu'il y manquât rien. Il se trouva le vrai roi, et le seul dans les croyances du temps. Les Anglais pouvaient désormais faire sacrer Henri; ce nouveau sacre ne pouvait ètre, dans la pensée des peuples, qu'une parodie de l'autre.

Au moment où le roi fut sacré, la Pucelle se jeta à genoux, lui embrassant les jambes, et pleurant à chaudes larmes. Tout le monde pleurait aussi.

On assure qu'elle lui dit : «O gentil roi, maintenant est fait le plaisir de Dieu, qui voulait que je fisse lever le siége d'Orléans et que je vous amenasse en votre cité de Reims recevoir votre saint sacre, montrant que vous ètes vrai roi, et qu'à vous doit appartenir le royaume de France. >>

La Pucelle avait raison; elle avait fait et fini ce qu'elle avait à faire. Aussi, dans la joie même de cette triomphante solennité, elle eut l'idée, le pressentiment peutètre de sa fin prochaine. Lorsqu'elle entrait à Reims avec le roi, et que tout le peuple venait au-devant en chantant des hymnes : « O le bon et dévot peuple! dit-elle... Si je dois mourir, je serais bien heureuse que l'on m'enterrât ici ! » — «< Jeanne, lui dit l'archevèque, où croyez

vous donc mourir? » · «Je n'en sais rien. Où il plaira à Dieu. Je voudrais bien qu'il lui plût que je m'en allasse garder les moutons avec ma sœur et mes frères... ils seraient si joyeux de me revoir!.. J'ai fait du moins ce que Notre-Seigneur m'avait recommandé de faire.» Et elle rendit grâces en levant les yeux au ciel. Tous ceux qui la virent en ce moment, dit la vieille chronique, <«< crurent mieux que jamais que c'était chose venue de la part de Dieu. »> (Histoire de France.)

BALZAC.

(1799-1850.)

Honoré DE BALZAC naquit à Tours. Ses études à peine terminées, il se jeta dans la littérature pour vivre, et écrivit une foule de contes et de romans philosophiques, économiques, magnétiques, théosophiques, drôlatiques, misanthropiques, qui lui valurent la réputation du plus fécond de nos romanciers. Le meilleur de ces romans est peut-être Eugénie Grandet, histoire touchante, qui serait un chef-d'œuvre sans la faiblesse du style et l'exagération des millions de l'avare Grandet,

Balzac était doué d'un talent vraiment supérieur pour l'observation et la description. C'est un peintre éminent d'intérieurs et de portraits. Il fut le peintre des duchesses de la restauration, et surtout des bourgeois, qui triomphèrent sous la royauté de juillet. On doit lui reprocher, outre la négligence de son style, le pessimisme systématique répandu dans tous ses ouvrages, le manque de variété et ses outrages continuels aux lois de l'art et du goût, qui gâtent ce qu'il a fait de meilleur.

Mort de l'avare Grandet.

Dans l'année 1825, Grandet, sentant le poids des infirmités, fut forcé d'initier sa fille au secret de sa fortune territoriale, et lui disait 1, en cas de difficultés, de s'en rapporter à Cruchot, le notaire, dont il avait éprouvé la probité. Puis, vers la fin de cette année, le bonhomme fut enfin, à l'âge de soixante-dix-neuf ans, pris par une paralysie qui fit de rapides progrès. M. Grandet fut condamné par M. Bergerin.

En pensant qu'elle allait bientôt se trouver seule dans le monde, Eugénie se tint, pour ainsi dire, plus près de son père, et serra plus fortement le dernier anneau d'affection qui la liait à la société..... Elle fut sublime de soins et d'attentions pour son vieux père, dont les facultés commençaient à baisser, mais dont l'avarice se soutenait instinctivement; aussi la mort de cet homme ne contrasta-t-elle 2 point avec sa vie.

Dès le matin, il se faisait rouler entre la cheminée de sa chambre et la porte de son cabinet, sans doute plein d'or; il restait là sans mouvement, mais il regardait; et, au grand étonnement du notaire, il entendait le bâillement de son chien dans la cour. Puis il se réveillait de sa stupeur apparente au jour et à l'heure où il fallait recevoir des fermages, faire des comptes avec les cloisiers 3, ou donner des quittances. Alors il agitait son fau

Il faudrait dit.

2 Contrasta-t-elle, c'est bien dur. 3 Closier, petit fermier.

teuil à roulettes, jusqu'à ce qu'il se trouvât en face de la porte de son cabinet. Il le faisait ouvrir par sa fille, et veillait à ce qu'elle plaçât, en secret, elle-même, les sacs d'argent les uns sur les autres, à ce qu'elle fermât la porte. Puis il revenait à sa place, silencieusement, aussitôt qu'elle lui avait rendu la précieuse clef toujours placée dans la poche de son gilet, et qu'il tâtait de temps en temps.....

Enfin arrivèrent les jours d'agonie, pendant lesquels la forte charpente du bonhomme fut aux prises avec la destruction. Il voulut rester assis au coin de son feu, devant la porte de son cabinet. Il attirait à soi et roulait toutes les couvertures que l'on mettait sur lui, et disait à Nanon, sa gouvernante : « Serre, serre ça, pour qu'on ne me vole pas. » Quand il pouvait ouvrir les yeux, ой toute sa vie s'était réfugiée, il les tournait aussitôt vers la porte du cabinet où gisaient ses trésors, en disant à sa fille : «< Y sont-ils? y sont-ils ? » d'un son de voix qui dénotait une sorte de peur panique '.

- « Oui, mon père. »

- «Veille à l'or, mets de l'or devant moi! »

Alors Eugénie lui étendait des louis sur une petite table, et il demeurait des heures entières les yeux attachés sur les louis, comme un enfant qui, au moment où il commence à voir, contemple stupidement le même objet; et, comme à un enfant, il lui échappait un sourire pénible 2.

Panique ne s'emploie guère qu'avec terreur. 2 Le sourire d'un enfant est-il pénible ?

« Ça me réchauffe, » disait-il quelquefois en laissant paraître sur sa figure une expression de béatitude.

Lorsque le curé de la paroisse vint l'administrer, ses yeux, morts en apparence depuis quelques heures, se ranimèrent à la vue de la croix, des chandeliers, du bénitier d'argent; il les regarda fixement, et sa loupe' remua pour la dernière fois. Puis, lorsque le prêtre lui approcha des lèvres le crucifix en vermeil, il fit un épouvantable geste pour le saisir. Ce dernier effort lui coûta la vie. Il appela Eugénie, qu'il ne voyait pas, quoiqu'elle fût agenouillée devant lui et baignât de ses larmes une main déjà froide.

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« Mon père,

bénissez-moi! >>>

<«< Aie bien soin de tout; tu me rendras compte de ça là-bas! dit-il. ».............

Après la mort de son père, Eugénie apprit par maître Cruchot qu'elle possédait quatre cent mille livres de rente en biens-fonds, dans l'arrondissement de Saumur, deux cent cinquante mille francs en trois pour cent, acquis à soixante-un francs, et qui valaient alors soixante-dixsept francs; plus, trois millions en or, et cent mille francs en écus, sans compter les arrérages à recevoir. L'estimation totale de ses biens allait à vingt millions.

(Eugénie Grandet.)

Grandet avait au nez une tumeur qui remuait lorsqu'il éprouvait

une sensation agréable.

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