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Les qualités dominantes des écrits de madame de Staël, c'est l'affection, la piété, l'enthousiasme, et surtout ce constant effort vers le vrai qui rachète bien des défauts.

Un prédicateur italien.

Sa chaire est une assez longue tribune, qu'il parcourt d'un bout à l'autre avec autant d'agitation que de régularité. Il ne manque jamais de partir au commencement d'une phrase, et de revenir à la fin, comme le balancier d'une pendule; et cependant il fait tant de gestes, il a l'air si passionné qu'on le croirait capable de tout oublier. Mais c'est, si l'on peut s'exprimer ainsi, une fureur systématique telle qu'on en voit beaucoup en Italie, où la vivacité des mouvements extérieurs n'indique souvent qu'une émotion superficielle. Un crucifix est suspendu à l'extrémité de la chaire; le prédicateur le détache, le baise, le presse sur son cœur, et puis le remet à sa place avec un très-grand sang-froid quand la période pathétique est achevée. Il y a aussi un moyen de faire effet dont les prédicateurs ordinaires se servent assez souvent, c'est le bonnet carré qu'ils portent sur la tète; ils l'ôtent et le remettent avec une rapidité inconcevable. L'un d'eux s'en prenait à Voltaire, et surtout à Rousseau de l'irréligion du siècle. Il jetait son bonnet au milieu de la chaire, le chargeait de représenter JeanJacques, et en cette qualité il le haranguait et lui disait : Eh bien! philosophe génevois, qu'avez-vous à objecter à mes arguments? Il se taisait alors quelques moments comme pour attendre la réponse; et, le bonnet ne répondant rien, il le remettait sur sa tète, et terminait

l'entretien par ces mots: A présent que vous ètes convaincu, n'en parlons plus.

Ces scènes bizarres se renouvellent souvent parmi les prédicateurs à Rome; car le véritable talent en ce genre y est très-rare.

Portrait de Corinne.

Les quatre chevaux blancs qui traînaient le char de Corinne se firent place au milieu de la foule. Corinne était assise sur ce char construit à l'antique, et de jeunes filles, vêtues de blanc, marchaient à côté d'elle. Partout où elle passait, l'on jetait en abondance des parfums dans les airs; chacun se mettait aux fenêtres pour la voir, et ces fenêtres étaient parées en dehors de pots de fleurs et de tapis d'écarlate; tout le monde criait Vive Corinne! vive le génie! vive la beauté! L'émotion était générale, mais lord Nelvil ne la partageait point encore; et bien qu'il se fût déjà dit qu'il fallait mettre à part, pour juger tout cela, la réserve de l'Angleterre et les plaisanteries françaises, il ne se livrait point à cette fète, lorsque enfin il aperçut Corinne.

Elle était vètue comme la sibylle du Dominiquin, un châle des Indes tourné autour de sa tète, et ses cheveux, du plus beau noir, entremêlés avec ce châle; sa robe était blanche; une draperie bleue se rattachait au-dessous de son sein; et son costume était très-pittoresque, sans s'écarter cependant assez des usages reçus pour qu'on put y trouver de l'affectation. Son attitude sur le

char était noble et modeste: on apercevait bien qu'elle était contente d'ètre admirée; mais un sentiment de timidité se mêlait à sa joie, et semblait demander grâce pour son triomphe; l'expression de sa physionomie, de ses yeux, de son sourire intéressait pour elle, et le premier regard fit de lord Nelvil son ami avant même qu'une impression plus vive le subjuguât. Ses bras étaient d'une éclatante beauté; sa taille grande, mais un peu forte, à la manière des statues grecques, caractérisait énergiquement la jeunesse et le bonheur; son regard avait quelque chose d'inspiré. L'on voyait, dans sa manière de saluer et de remercier pour les applaudissements qu'elle recevait, une sorte de naturel qui relevait l'éclat de la situation extraordinaire dans laquelle elle se trouvait; elle donnait à la fois l'idée d'une prêtresse d'Apollon, qui s'avançait vers le temple du Soleil, et d'une femme parfaitement simple dans les rapports habituels de la vie; enfin, tous ses mouvements avaient un charme qui excitait l'intérêt et la curiosité, l'étonnement et l'affection. (Corinne.)

Fête d'Interlaken.

Pour aller à la fète, il fallait s'embarquer sur l'un de ces lacs dans lesquels les beautés de la nature se réflé– chissent, et qui semblent placés au pied des Alpes pour en multiplier les ravissants aspects. Un temps orageux nous dérobait la vue distincte des montagnes; mais, confondues avec les nuages, elles n'en étaient que plus redoutables. La tempête grossissait; et, bien qu'un sen

timent de terreur s'emparât de mon âme, j'aimais cette foudre du ciel qui confond l'orgueil de l'homme. Nous nous reposâmes un moment dans une espèce de grotte avant de nous hasarder à traverser la partie du lac de Thun qui est entourée de rochers inabordables. C'est dans un lieu pareil que Guillaume Tell sut braver les abîmes et s'attacher à des écueils pour échapper à ses tyrans. Nous aperçûmes alors dans le lointain cette montagne qui porte le nom de Vierge (Jungfrau); aucun voyageur n'a jamais pu gravir jusqu'à son sommet ' elle est moins haute que le mont Blanc, et cependant elle inspire plus de respect, parce qu'on la sait inaccessible.

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Nous arrivâmes à Unterseen; et le bruit de l'Aar, qui tombe en cascade autour de cette petite ville, disposait l'âme à des impressions rèveuses. Les étrangers, en grand nombre, étaient logés dans les maisons de paysans, fort propres, mais rustiques. Il était assez piquant de voir se promener, dans la rue d'Unterseen, de jeunes Parisiens tout à coup transportés dans la vallée de la Suisse; ils n'entendaient plus que le bruit des torrents; ils ne voyaient plus que des montagnes, et cherchaient si, dans ces lieux solitaires, ils pourraient s'ennuyer assez pour retourner avec plus de plaisir encore dans le monde.

Le soir qui précéda la fète, on alluma des feux sur les montagnes; c'est ainsi que jadis les libérateurs de la Suisse donnèrent le signal de leur sainte conspiration.

On y a gravi depuis

Ces feux placés sur les sommets ressemblaient à la lune lorsqu'elle se lève derrière les montagnes, et qu'elle se montre à la fois ardente et paisible. On eût dit que des astres nouveaux venaient assister au plus touchant spectacle que notre monde puisse encore offrir. L'un de ces signaux enflammés semblait placé dans le ciel, d'où il éclairait les ruines du château d'Unspunnen, autrefois possédé par Berthold, le fondateur de Berne, en mémoire de qui se donnait la fète. Des ténèbres profondes environnaient ce point lumineux ; et les montagnes, qui pendant la nuit ressemblent à de grands fantômes, apparaissaient comme l'ombre gigantesque des morts qu'on voulait célébrer.

Le jour de la fète, le temps était doux, mais nébuleux; il fallait que la nature répondit à l'attendrissement de tous les cœurs. L'enceinte choisie pour les jeux est entourée de collines parsemées d'arbres, et des montagnes à perte de vue sont derrière ces collines. Tous les spectateurs, au nombre de près de six mille, s'assirent sur les hauteurs en pente, et les couleurs variées des habillements ressemblaient dans l'éloignement à des fleurs répandues sur la prairie. Jamais un aspect plus riant ne put annoncer une fète; mais quand les regards s'élevaient, des rochers suspendus semblaient, comme la destinée, menacer les humains au milieu de leurs plaisirs.

Lorsque la foule des spectateurs fut réunie, on entendit venir de loin la procession de la fète, procession solennelle en effet, puisqu'elle était consacrée au culte du passé. Une musique agréable l'accompagnait; les magistrats paraissaient à la tète des paysans; les jeunes

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