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» d'alliance offensive et défensive avec la Russie et l'Angleterre, » puissances qui sont les ennemies irréconciliables de votre pays et » du nôtre. Leurs flottes s'avancent vers les îles Ioniennes; devais-je >> attendre que les Russes s'établissent dans l'Épire, en occupant les >> quatre cantons qui appartenaient à Venise? J'ai donc été réduit à » la dure extrémité de m'emparer de Buthrotum et de Prévésa ; >> Vonitza est sur le point de m'ouvrir ses portes, et j'ose espérer que >> vous voudrez bien faire évacuer Parga. Notre commun intérêt >> exige cette condescendance de votre part. En devançant ainsi nos » ennemis, nous les brouillons avec le sultan, et vous trouverez eu moi un allié d'autant plus sincère, que je serai indépendant par le » fait des localités. Ce sera alors que je pourrai vous assister si vous » êtes bloqués; tandis que les assiégeants seront à ma disposition » pour les subsistances, que je ne manquerai pas de leur refuser, »sans me compromettre auprès de la Porte. »>

Le satrape adressait en même temps une sommation aux Parguinotes, pour égorger la garnison française dont il leur enjoignait de lui apporter les têtes, leur promettant à cette condition sa clémente protection.

Après avoir ainsi combiné son plan, Ali-pacha exigea du pieux archevêque d'Arta, de se rendre sur la plage d'Actium, où les débris de la garde nationale de Prévésa s'étaient réfugiés, en lui remettant un plein pouvoir pour régler une capitulation; car ils étaient de plein droit sujets de la France et non de la Porte Ottomane. Ignace, qui aurait dû savoir que la foi des tyrans n'est jamais qu'une cruelle perfidie, détermina ainsi trois cent soixante et dix de ces fugitifs à mettre bas les armes. Il fut stipulé qu'ils s'embarqueraient sur une corvette du pacha, chargée de les transporter à Salagora, afin de ne pas les laisser rentrer dans leurs foyers, pendant la première effervescence des troupes, qu'Ali avait lui-même de la peine à contenir.

La précaution semblait dictée par la prudence; rien ne devait leur manquer; l'archevêque Ignace, convaincu de ce qu'il annonçait aux Prévésans, partit en leur donnant cette assurance. Ce furent les dernières paroles d'espérance qu'ils reçurent; car à peine le vaisseau qu'ils montaient eut-il pris le large, qu'on les encombra dans les entre-ponts; et les écoutilles ayant été fermées sur eux, le réduit où ils gisaient ne leur présenta plus que l'image anticipée du tombeau. En attendant l'heure de la vengeance, trop lente au gré de ses

désirs, Ali, qui avait arrêté l'incendie, livrait Prévésa à un pillage méthodique. Les ornements des églises, les vases sacrés du sanctuaire', les meubles et les effets des particuliers étaient apportés à ses pieds. Après avoir prélevé la part du lion, il distribuait aux soldats albanais des capes, des hardes et des ustensiles de cuisine. Il partageait, entre les agas, des enfants, objets de leur luxure, des vierges timides, des religieux, des religieuses; et quinze cents chrétiens furent ainsi distribués aux descendants d'Agar. Afin d'établir une sorte de distinction entre les captifs, il consentit à recevoir la rançon des Ioniens de Sainte-Maure pris les armes à la main, en autorisant leurs parents et leurs amis, auxquels il accorda des sauf-conduits, à réclamer leurs frères partout où ils les trouveraient. Au milieu de cette confusion, apercevant Ignace, à peine eut-il connu le résultat de sa mission, qu'il lui ordonna de partir immédiatement pour Janina. Il dirigea en même temps son fils Véli vers Paramythia; et, après avoir laissé le commandement de Prévésa à Mouctar, qui avait sous ses ordres Békir Dgiocador, il s'embarqua à la nuit tombante pour Salagora, où le vaisseau chargé des Prévésans capitulés s'était rendu.

Dès que le soleil parut à l'horizon, Ali-pacha, qui voulait célébrer sa victoire par une triple hécatombe, fit dresser son sofa sur la galerie de la douane de Salagora. Il ordonna ensuite d'exhumer lentement, et l'un après l'autre, de la sentine du vaisseau, les chrétiens qu'on amenait devant son tribunal, en les traînant par les cheveux. Inclinés sur le bord d'un terrain préparé en forme de cuve, en vain ils élevaient vers lui des mains suppliantes, il ne répondait à leurs cris qu'en donnant, avec un rire guttural, le signal qui faisait tomber chaque tête. Il criait même, comme Caligula au bourreau, de frapper le patient de manière qu'il se sentit mourir!

A mesure que les victimes tombaient, comme ces taureaux jadis immolés aux autels des Euménides, des acclamations se faisaient entendre; on se précipitait sur leurs dépouilles, on insultait à leurs tristes restes. Cependant, vers la fin des supplices, le bras du nègre

1 Je l'ai encore vu dix ans après prendre des glaces sur la patène volée à l'église latine, et boire dans le calice : les candélabres, les colonnes dorées, avaient été employés à orner une chambre particulière de son palais. Enfin, j'ai un jour remarqué, à l'une de ses ceintures, les extrémites d'une étole sur lesquelles il y avait deux têtes de chérubins en broderie; et comme mon frère lui en fit l'observation, il répondit que, quand l'archevêque de Janina mourrait, il ne se ferait pas de scrupule de porter, si cela l'accommodait, sa couronne et sa chape.

Osman, qui n'avait cessé d'égorger, s'arrêta; son corps, nu jusqu'à sa ceinture éclatante d'or, qui attachait un caleçon de pourpre, s'agita convulsivement; ses genoux fléchirent, et il tomba, asphyxié, au milieu des martyrs, exhalant son âme impie, aux yeux de celui dont il était le féroce instrument.

On n'avait que l'embarras du choix pour trouver un successeur au bourreau, car tous les Schypetars mahométans offraient leurs bras, lorsqu'on vit s'avancer à force de rames et de voiles, à peine enflées par les brises mourantes du soir, une barque portant pavillon parlementaire. Elle venait arracher des chrétiens à la mort. Elle semblait impatiente d'arriver; les marins, à défaut de vent, forçaient d'avirons; elle aborde en refoulant la vague.

Un homme s'élance à la plage, il présente un sauf-conduit d'Alipacha, il se nomme : c'était Gérasimos Sanghinatzos d'Ithaque. Il se trouvait à Leucade au moment du sac de Prévésa; il avait fait négocier le rachat de son frère et de son cousin, qui étaient prisonniers d'Ali. Il volait à leur délivrance chargé de la rançon convenue, lorsqu'il aperçoit les têtes des objets de sa plus chère affection, nageant dans une mare de sang. Il retient ses larmes, il dépose aux pieds du tyran l'or qu'il avait demandé, et, courant vers le vaisseau, il désigne, comme son frère et son cousin, deux Prévésans, qu'on lui délivre. Il remonte aussitôt dans sa barque, s'éloigne et rentre au bout de quelques heures à Leucade, pour pleurer son frère et son cousin, en rendant grâce à Dieu d'avoir dérobé deux infortunés au couteau, qui ne cessa de frapper que quand le dernier des chrétiens eut vécu ; leurs cadavres privés de sépulture furent abandonnés pour servir de curée aux vautours et aux jacals de cette solitude.

Au récit des funérailles de Prévésa, les mahométans de la moyenne et basse Albanie étaient accourus pour prendre part au pillage, dès qu'il n'y avait plus de danger à courir. Il en arrivait chaque jour, et presque à chaque heure, des bandes nouvelles ; et Ali-pacha, en rentrant dans cette ville, se trouva à la tête de plus de quinze mille hommes armés. Comme il n'y avait plus rien à voler, il leur laissa démolir les maisons, afin de chercher des trésors qu'ils y croyaient cachés; et, la faim les pressant au bout de quelques jours, il s'achemina vers la Thesprotie, où il s'était fait précéder par son fils Véli.

Il se proposait de fondre sur Parga; mais les escadres russe et ottomane venaient d'entrer dans la mer Ionienne, et il fut prévenu dans

ses desseins par l'amiral Ocksakof, qui prit possession de cette ville au nom de son souverain. La garnison française qui s'y trouvait fut honorablement reconduite à Corfou, sans être considérée comme prisonnière. Ainsi le résultat de cette campagne fut, pour Ali, l'occupation de Buthrotum, de Prévésa et de Vonitza, dont le château avait été évacué par les Français, qui se replièrent sur Leucade.

La Porte Ottomane, voyant arriver à Constantinople un général français, des prisonniers et des têtes expédiées par son satrape de Janina, lui décerna la troisième queue ou drapeau, et le titre de vizir. Son nom, qui n'était connu que comme celui d'un intrigant heureux, acquit à l'étranger une célébrité extraordinaire. Nelson, arrêtant sa flotte au milieu de la mer Égée, envoya un de ses officiers le complimenter sur la victoire de Prévésa. « Il serait lui-même, écrivait-il à Ali Tébélen, descendu aux rivages de Nicopolis pour embrasser le héros de l'Épire, mais les fêtes de Palerme, auxquelles il était convié sous le titre nouveau de Bronté, qu'on venait de lui décerner, réclamaient sa présence. Il était impatient de recevoir des mains de l'impudique Hamilton la couronne ducale dont elle ceignit le front du cyclope, au milieu des orgies qui précédèrent les assassinats juridiques de Cyrille et de Caracciolo, dans le sang desquels le vainqueur du Nil souilla ses lauriers.

Le divan n'était pas moins flatté d'un succès d'un autre genre qu'il

La conduite des habitants d'Ithaque ne fut pas moins noble dans cette circonstance. Avant de reconduire les Français à Corfou, les notables de Vathi leur donnèrent un repas public, les comblerent de présents, d'égards, versant des larmes à leur départ, veillant avec sollicitude sur leur sûreté jusqu'à ce qu'ils fussent de retour au chef-lieu de la colonie. Bons Ithaciens, vous n'avez pas dégénéré de l'hospitalité antique ; puissiez-vous en recevoir le prix, et vos vertus privées vous rendre propices les gouverneurs anglais qui régissent avec tant de hauteur l'heptarchie ionienne!

Quatre soldats, restés malades dans le château au moment de l'évacuation, furent assassinés par le logothète Calichiopoulo, qui vint faire hommage de leurs têtes à Ali-pacha. Sur quelle terre le sang français n'a-t-il pas coulé ? et quel temps offrit jamais de plus genéreux martyrs que cette époque, où personne n'avait en perspective le bâton de maréchal de France?

⚫ Bronté. On lui avait adressé le diplôme de duc de Bronté (duc du tonnerre), nom d'un des géants de la Trinacrie, ou Sicile, après le combat naval d'Aboukir. Ce fut dans les fêtes données à cette occasion à Palerme, qu'il vit danser la nouvelle herodiade, dont il devint amoureux, au point de lui sacrifier jusqu'à l'honneur, en s'associant à ses fureurs..... Et les cendres de Nelson reposent à Westminster!

venait de remporter sur les novateurs qui menaçaient la sûreté de l'empire. Le capitan-pacha Kutchuk Hussein, qui n'avait pu réduire Passevend Oglou, avait obtenu, pendant la durée de son séjour sous les murs de Vidin, la révélation des projets de Rigas. Elle lui fut faite par un cabinet qu'on vit quelques années après soutenir et ali. menter la révolte des Serviens. Un des conjurés avait dénoncé le chef de la conspiration, qui fut arrêté à Trieste où il s'était retiré, et livré par l'Autriche à la Porte Ottomane avec sept autres Grecs, sur la simple accusation d'être les auteurs de quelques écrits patriotiques. On les traînait enchaînés deux à deux vers le quartier général de Hussein-pacha, lorsque, arrivés aux frontières, la crainte qu'ils ne fussent délivrés par Passevend Oglou, décida les satellites qui les escortaient à les précipiter dans le Danube.

Telle fut la fin de Rigas, qui mourut à l'âge de quarante-cinq ans. On dit qu'à son heure suprême il nomma la Hellade, en annonçant le règne futur de la croix, et que les rives du Danube répétèrent le cri de partie et de liberté, qui se fit bientôt entendre dans la Servie.

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