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CHAPITRE IV.

Troubles du Musaché, suscités par Ali.

Véli-pacha.

Mécontentement des Moraïtes contre

Anarchie de
Il se dirige

- Révolte de Blacavas; son supplice. - Martyre du religieux Démétrius. Calomnies répandues contre Moustapha Baïractar. Cabakdgi. Marche de Baïractar. — Son arrivée à Andrinople. vers Constantinople. - Cabakdgi est assassiné. - Entrée de l'armée libératrice dans la capitale. Mort de Sélim III. Déposition de Moustapha IV. — Khourchid-pacha nommé Romili vali-cy. - Paix entre l'Angleterre et la Turquie. - Avénement de Mahmoud au trône. — Intrigues d'Ali-pacha. — Khourchid est révoqué. Machinations des Anglais. — Embarras de Mahmoud II. — CheïkJousouf, regardé comme un oracle, tonne contre le visir Ali; - prête son appui au sultan ; — détermine les Schypetars à marcher contre les Russes. — Enthousiasme des soldats pour Ali. Ses alarmes. Imprudence de Moustapha Baïractar. Sa fermeté. Convoque une assemblée générale des notables à Constantinople.-Mesures qu'il fait adopter.-Orgueil que lui causent ses succès. - Ses projets. Sa témérité excite un soulèvement. Révolte de la capitale. Incendie. Combats. Mort de Baïractar.-Moustapha IV est étranglé par ordre de son frère Mahmoud II. — Faux errements de la politique de Napoléon. Ali fait attaquer le visir Ibrahim. - Prise de Bérat. Ibrahim se retire à Avlone. Mauvaise impression que cet événement cause à Constantinople; apaisée à prix d'argent.

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La ligue du Chamouri, affaiblie par la ruine des Souliotes, qui avaient inutilement essayé de rentrer en 1807 dans l'Épire, à la faveur de quelques intrigues des Russes, se trouvant depuis six ans partagée entre des chefs avides, mus par des intérêts particuliers, n'offrait plus au vizir Ali-pacha qu'une proie facile à dévorer. Les uns, corrompus par ses présents, étaient entrés à son service; les autres, lui avaient livré des otages; et tous, tremblant au bruit de son nom, n'aspiraient plus qu'à vivre en paix dans leurs foyers. On était tranquille à Parga que le pavillon français mettait à couvert des fureurs de son implacable ennemi. L'Acrocéraune avait reçu le joug, tandis que la Taulantie était agitée par des factions des beys d'Avlone qui trahissaient Ibrahim. En vain ce vizir cherchait à les retenir dans son parti comme il n'avait plus d'argent pour soudoyer des perfides qu'il avait enrichis, chacun d'eux se faisait un mérite de déserter sa cause. Du côté de la Thessalie la fortune n'était pas moins propice

au tyran; les armatolis, l'œil fixé vers l'armée russe du Danube, n'avaient rien tenté depuis la retraite de Paléopoulo, qui était venu cacher sa tête à Constantinople parmi les Grecs Ioniens alors protégés de la France. Véli paraissait s'affermir dans la Morée, indignée de ses déportements, mais plus libre qu'autrefois dans son culte car il permettait de bâtir des églises, et le clergé avait à sa cour un crédit jusqu'alors inconnu aux Moraïtes, qui lui auraient pardonné ses exactions en faveur de sa tolérance, si son sélictar Ismaël Pacho-bey n'eût employé, pour se venger d'Ali, tous les moyens capables de rendre son fils odieux aux habitants du Péloponèse.

Ali, qui ne pénétra que plus tard les intentions de son élève, car Pacho-bey avait été nourri à sa cour, se trouvait embarrassé d'affaires trop importantes pour s'occuper d'une intrigue encore enveloppée de ténèbres. Des symptômes de mécontentement se manifestaient dans l'Acarnanie; Jousouf Arabe l'informait que les vallées de l'Agraïde se repeuplaient de voleurs ; les espérances de paix entre la Russie et la Porte Ottomane s'éloignaient. Les Anglais, excités par Ali, avaient pris et abandonné la petite île de Paxos occupée par les Français ; une inquiétude générale annonçait une crise que personne ne pouvait définir. Le vizir paraissait aussi agité que ceux qu'il tourmentait. Il y avait des mouvements continuels de troupes, des allées et des venues de Janina à Malte, des croisements de courriers et d'intrigues; la nouvelle de la veille était contredite par celle du jour, qui se trouvait démentie par les bruits du lendemain, lorsque le satrape partit pour Prévésa. Ses troupes encombraient les routes, on parlait d'attaquer Leucade; mais à peine était-il arrivé dans la presqu'île de Nicopolis, qu'une nouvelle inattendue frappa de stupeur le tyran et son conseil.

Le 12 avril 1808, un courrier annonça qu'une vaste insurrection venait d'éclater dans la Thessalie. Le soleil paraissait à l'horizon, et

Jousouf Arabe avait été étonné, dans une assemblée qu'il tint à Carpenitzé en Étolie, de trouver les armatolis plus nombreux qu'avant les pertes qu'il leur avait fait éprouver. S'adressant à un de leurs capitaines nommé Athanase ou Rassos: « Voilà, lui dit-il, plusieurs années que je vous fais la guerre sans relâche, comment > arrive-t-il que vos bandes soient plus fortes qu'auparavant ? — Vois-tu, répondit » le capitaine, ces cinq jeunes gens? eh bien, deux sont les frères, deux autres les » cousins, et le cinquième est l'ami d'un de mes braves que tu as tué dans un >> combat. Ils sont accourus pour venger sa mort; encore quelques années de » persécution ou de guerre, et toute la Grèce se rangera sous nos drapeaux. »

des proclamations ordonnent aussitôt à l'armée de lever le camp. Le vizir expédie ses ordres, et, dans deux heures de temps, la flottille partie de Prévésa cinglait à pleines voiles sur le golfe Ambracique, en portant le cap vers Salagora, tandis que ses troupes franchissant les montagnes remontaient en hâte vers Janina.

Quelle main invisible avait excité un soulèvement aussi inattendu ? Douze cents hommes, commandés par Euthyme Blacavas, capitaine des armatolis du canton de Cachia, formaient le noyau de l'insurrection. On attribuait son origine au désespoir et à la misère. Dans des temps ordinaires, c'était une de ces révoltes plutôt utiles que contraires au despotisme, parce qu'elles lui fournissent l'occasion d'exterminer des populations qui, en devenant nombreuses, seraient opposées à son essence, dont le but est de régner dans la solitude sur des êtres pauvres et avilis. Mais la chose s'expliquait autrement. Les Russes étaient au moment de dénoncer les hostilités, et Mouctarpacha, qui était monté à cheval dès le premier bruit des mouvements, mandait à son père qu'une traînée d'insurrections partielles se manifestait, à mesure qu'on en éteignait une.

En effet, la ligne du Vardar s'embrasa, et la direction de l'incendie, en s'étendant vers Philippopolis, permit au vizir de publier que l'ancien archevêque d'Arta, Ignace, nommé par les Russes au siége métropolitain de Bukarest, n'était pas étranger à cette conflagration. Dans cette hypothèse on fit partir Gabriel, alors archevêque de Larisse, pour prêcher la soumission aux mécontents, tandis que Mouctar, se précipitant sur des villages également épouvantés de son approche et de celle des révoltés, moissonnait des têtes au lieu de lauriers, devenus sacriléges sous la main de tous les tyrans qui gouvernèrent la Thessalie, depuis que Rome souilla ses campagnes du sang de ses citoyens. Son premier envoi à Janina fut de soixante-sept chevelures, qu'on exposa sur des pieux au milieu de la cour principale du sérail de Litharitza.

Cependant, Blacavas qui venait d'arborer l'étendard de la croix sur le mont Olympe, commençait à faire entendre les cris de liberté et de patrie; mais comme il ne mêlait point à ces noms magiques celui des Russes, préconisés depuis deux générations d'hommes comme devant être les libérateurs de la Grèce, Ali parut moins inquiet. Il comprit que le mouvement était une tentative mal conçue, et l'immense majorité des paysans de la Thessalie, rassurée par les paroles

du pieux archevêque Gabriel, demeura tranquille. Elle se félicita bientôt d'avoir pris ce parti, quand elle vit Euthyme transférer son quartier général dans l'île de Sciathos, et les pirateries maritimes partir de ce point pour infester l'Archipel. Enfin deux frégates turques qui étaient en station dans la mer Égée, ayant reçu ordre de se porter vers cet écueil, leur manœuvre refoula les mécontents dans les chaînes du mont Pélion, et l'insurrection si hautement annoncée dégénéra en brigandages, à la tête desquels on vit paraître des capitaines grecs et turcs.

C'étaient tour à tour Blacavas, traînant à sa suite cinq cents hommes, qui circulaient dans le mont Othryx; Condo Elmas, mahométan d'Argyro-Castron; Habid-bey de Janitcha près de Philatès; les frères Itcharei et quelques autres aventuriers, que la rapidité de leurs marches faisaient paraître dix fois plus nombreux qu'ils ne l'étaient. La bravoure se trouvait cependant de leur côté, et la terreur qu'ils inspiraient était si puissante, qu'un taureau aux cornes duquel ils avaient attaché des sarments de vigne enflammés, étant entré à Tournovo où Mouctar se trouvait cantonné, son apparition suffit pour faire prendre la fuite à ce pacha avec toute sa troupe.

Ali, irrité d'un pareil affront, craignant la prolongation d'une lutte dangereuse, ordonna à son fils de traiter avec les révoltés; et son or, plus puissant que ses armes, eut bientôt réduit Euthyme Blacavas à ses propres forces. Il dut céder en se retirant de montagne en montagne; et quand la terre lui manqua sous les pieds, Trikéri lui offrit encore un asile, d'où il pouvait se réfugier dans les fles de l'Archipel... Mais il entend les cris des chrétiens qu'on menace d'égorger s'il ne se rend; il se reproche d'avoir compromis leur existence, il accepte une capitulation en vertu de laquelle il repasse en terre ferme, avec promesse de la vie sauve qui lui était garantie par Mouctar-pacha. Il savait à quoi s'en tenir à cet égard! Je vais mourir, dit-il aux siens ; je connais la foi des Turcs; réservez vos bras pour des temps plus heureux; fuyez. Il parut avec une égale assurance devant son ennemi, qui aurait peutêtre respecté la parole donnée, s'il n'avait été le lieutenant d'un homme pour qui les serments ne furent jamais qu'un des artifices de sa politique habituelle pour mieux tromper.

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Ce fut à Janina, attaché à un poteau planté dans la cour du sérail que je revis Euthyme Blacavas, que j'avais autrefois rencontré à Milias dans le Pinde avec ses soldats. Les rayons d'un soleil brûlant

frappaient sa tête bronzée qui défiait la mort, et une sueur abondante coulait de sa barbe épaisse. Il connaissait son sort; et, plus tranquille que le tyran qui savourait l'idée de répandre son sang, il leva vers moi ses yeux remplis de sérénité, comme pour me prendre à témoin de son heure suprême. Il la vit approcher, cette heure redoutable pour le méchant, avec le calme du juste. Il sentit, sans frémir et sans se plaindre, les coups des bourreaux; et ses membres, traînés à travers les rues de Janina, montrèrent aux Grecs épouvantés les restes du dernier des capitaines de la Thessalie.

Hélas! pourquoi une fin si glorieuse était-elle entachée d'une faute qui avait entraîné tant d'innocents au tombeau ! Mais le supplice et la révolte d'Euthyme préparaient le triomphe d'un faible mortel qui n'avait pour armes que la douceur et la prière; ils allaient révéler la gloire d'un de ces confesseurs de J.-C., destinés à soutenir les timides dans la tempête, dont le sang, confondu avec celui du guerrier, réhabilita par son martyre la fidélité que la religion commande aux chrétiens.

Démétrius, enfant de la colonie valaque de San Marina dans le Pinde, religieux de l'ordre de Saint-Basile, transporté de cette charité évangélique qui fut toujours le caractère de l'apostolat au temps des persécutions, parcourait dans ces jours orageux les cantons agités de la Thessalie, pour calmer les Grecs et les ramener au joug de l'obéissance. Dénoncé comme séditieux, et conduit avec Euthyme, il avait comparu chargé de fers devant le satrape de Janina. On voulait lui faire supposer des complices, afin d'envelopper dans une fausse conspiration les prélats orthodoxes qui occupaient les trônes ecclésiastiques de la Thessalie. Mais, animé d'une foi brûlante, il avait témoigné la vérité du Dieu vivant; et ses réponses enflammèrent la colère du vizir, qui s'exhala dans un dialogue digne d'être transmis à la chrétienté, comme un de ces exemples destinés à illustrer le martyrologe de l'église militante : - Tu as annoncé, lui dit Ali, le règne de J.-C., et par conséquent la chute de nos autels et de notre prince! D. Mon Dieu règne de toute éternité et pour l'éternité, et je révère les maîtres qu'il nous a donnés. A. Que portes-tu sur ta poitrine? D. L'image vénérable de sa sainte Mère. A. je veux la voir. D. Elle ne peut être profanée; ordonnez qu'on détache une de mes mains, et je vous la présenterai. A. C'est ainsi que tu égares les esprits; nous sommes des profanateurs? Je reconnais à ce discours l'agent des évêques qui appellent les Russes pour nous

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