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mères de la Selléide, demanda la grâce de se dévouer avec ses deux enfants! Enfin le choix étant tombé sur Constantin Botzaris, Danglis, Zervatès et un fils de Photos Tzavellas, qui reçurent le baiser de paix des gérontes, avec le titre de martyrs de la croix, les conditions les plus pénibles du traité furent accomplies sous les auspices de la nuit, propice à la cause d'un peuple digne d'occuper une place immortelle dans les annales du monde.

Le camp d'Ismaël-pacha était livré au sommeil, quand une partie de la flottille d'Ali débarqua au camp des Souliotes Hussein-pacha. Il était accompagné du vieux Mourtou Zalycos, son kodja ou instituteur, homme estimé des chrétiens épirotes pour sa douceur et sa probité; un grammatiste, quelques pages, six chevaux de maître, et vingt-cinq mulets formaient la suite et les équipages du petit-fils d'Ali, qui finissait alors sa vingtième année. Nothi désigna aussitôt un certain nombre de femmes pour se charger des munitions; et les robustes Souliotes, accoutumées à porter des fardeaux, s'étant empressées d'obéir à ses ordres, il les plaça, ainsi que Hussein-pacha, au centre d'un détachement de quatre cents palicares, dont il prit le commandement en avertissant son neveu qu'il l'attendrait à Variadès.

Il était minuit lorsque les Souliotes se mirent en marche. Marc Botzaris, resté dans le camp avec trois cent vingt hommes, fit abattre la palissade, et, se portant ensuite avec sa troupe sur le mont Paktoras, il attendit que le jour parût, afin d'annoncer hautement sa défection à l'armée ottomane.

Au lever du soleit, il ordonne une salve générale de mousqueterie, en faisant pousser le cri de guerre ! Quelques Turcs, qui composaient un poste avancé, sont tués, les autres fuient et vont porter au camp la nouvelle du départ des Souliotes. On crie aux armes; et Marc Botzaris, faisant déployer l'étendard de la croix, à la vue du camp des infidèles, s'achemine en défilant au pas de marche. Il provoque, à diverses reprises, les Islamites, fait faire halte à sa troupe; et, voyant qu'aucun d'entre eux ne songe à le suivre, il prend le chemin de Variadès, où il se réunit le soir du même jour à ses frères d'armes.

LIVRE QUATRIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

Retour de M. Hugues Pouqueville dans la Grèce. -Situation de Corfou.-Présages de l'insurrection générale de la Hellade. - Il débarque à Sayadèz. - Sa première entrevue avec les Épirotes. - Banquet singulier, indiscrétions. - Route jusqu'à Parga. Nouvelles de Janina, émissaire envoyé à Pétersbourg. - Camp ottoman, anxiétés du sérasquier Ismaël-pacha.-Premiers succès des Souliotes contre les Osmanlis; leur attitude politique et militaire. S'emparent des Cinq-Puits. Excommuniés par Porphyre, archevêque d'Arta. - Fête qu'ils célèbrent à l'occasion de leurs succès. - Doua ou expiation dans le camp turc.- Marche des mahométans. Battus derechef par les Souliotes. Querelles entre les Grecs pour les dépouilles des vaincus.

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Aux premières nouvelles de la guerre entreprise par le Grand Seigneur contre Ali-pacha, M. Hugues Pouqueville, qui se trouvait en congé à Paris, reçut l'ordre de retourner dans la Grèce, qu'il venait à peine de quitter.

Malgré son courage, le cœur de celui qui avait déjà passé douze années auprès du vizir Ali Tébélen fut brisé de douleur en recevant l'honorable commission dont on le chargeait. Hélas! il savait qu'il allait assister aux scènes tragiques d'une révolution sanglante. Il quitta Paris le 8 septembre 1820, et le 18 novembre suivant, une mer agitée, présage des événements dont il devait être témoin, le poussa des plages de la basse Italie au port de Corcyre.

« Le 19 au matin, j'ai revu, écrivait-il, avec émotion les mon> tagnes de cette Épire où ma jeunesse s'est écoulée au milieu des » plus amères sollicitudes. Terre de gloire, terre de mémorables » souvenirs et de hautes infortunes, sois une seconde fois pro»pice à celui qui vient encore une fois habiter au milieu de tes >> enfants! » Puis il ajoutait : « Quinze cents Turcs viennent d'être

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» obligés de lever le siége d'une des tours de Souli, défendue par » soixante Schypetars au service du vizir Ali-pacha. »

Corfou, où M. Hugues Pouqueville venait d'aborder, renfermait encore un grand nombre de ses amis; mais ce n'était presque plus la même ville qu'il avait connue. Autour de quelques édifices élevés, les uns dans l'intérêt de la salubrité, et les autres pour éblouir le public, planait une politique ombrageuse. A travers les voiles dont elle s'enveloppait, on distinguait cependant sans peine les vœux des agents britanniques pour la cause d'Ali Tébélen, et la haine anticipée qu'ils portaient à l'émancipation des Grecs. Malgré cette défaveur, les Corfiotes appelaient de tous les vœux l'insurrection générale de la Hellade. Ce nom, tombé en désuétude, se trouvait dans toutes les bouches, toutes les bouches parlaient de Hellade, de patrie, de gloire, d'autels à restaurer; et les espérances populaires des chrétiens, tournées vers la Russie, adressaient au Dieu rédempteur leurs ferventes prières, en suppliant la divinité du Christ de confondre l'orgueil de l'Assyrien impie, et d'éclairer l'empereur Alexandre qu'ils surnommaient leur autocrate orthodoxe. Une famille puissante dans le conseil de Pétersbourg, celle du comte Capo-d'Istria, laissait soupçonner aux chrétiens, par son attitude mystérieuse, que son souverain veillait sur leurs destinées. Il y veillait aussi, lorsque son ambassadeur Tamara courba par un traité, sous le joug ottoman, les quatre derniers cantons libres de la Grèce; mais ni cette impiété politique, ni la vente de Parga, que la Russie vit avec indifférence, n'avaient dessillé les yeux des Grecs, qui, trompés et sacrifiés depuis cinquante ans par le cabinet de Pétersbourg, rattachaient toujours leurs plans de salut son à labarum. Ils s'exprimaient hautement en faveur de cette puissance; car la parole et les larmes ne leur étaient pas encore interdites.

Sans perdre de temps, le consul du roi, qui avait déjà reçu des révélations importantes de la part de Pausanias Païsios, archimandrite de Bukarest, émissaire des Hétéristes, auquel il persuada d'aller l'attendre à Patras, s'était empressé d'écrire à Ismaël-pacha pour lui demander une escorte et des chevaux afin de se rendre par terre à Prévésa. Plusieurs jours s'étaient écoulés sans obtenir de réponse, lorsqu'il s'embarqua pour la côte voisine de la Chaonie, emmenant avec lui un officier de la magistrature de Corfou, afin d'y pouvoir rentrer, si des événements de force majeure l'empêchaient d'y prendre terre.

Le 29 novembre, au coucher du soleil, M. Pouqueville aborda à la douane de Sayadèz, où, retrouvant d'anciennes connaissances, il prit la résolution de s'ôter les moyens de reculer, en se mêlant avec elles et en touchant des marchandises contumaces.

Il salua ensuite un ami qui l'avait accompagné, et la barque ayant repris le large, on environna celui qui venait de s'aventurer avec tant de résolution. C'est toujours le même que nous avons connu à la cour d'Ali, dirent les Toxides; c'est un Français, ajoutaient les autres ; il n'y a qu'eux capables d'agir de la sorte. On sert le souper du consul avec des provisions achetées à Corfou; les employés de la douane apportent leur plat d'olives, et on s'assied autour d'une natte. On mange en famille suivant l'usage antique, le vin circule à la ronde : on porte la santé du roi de France, des Bourbons et du duc de Bordeaux, dont le consul avait appris la naissance en entrant à Rome. Les Épirotes écoutent avec ravissement le récit qu'il leur fait dela naissance miraculeuse du royal enfant; ils s'animent quand il dit les saintes joies de son auguste mère et de la famille de saint Louis. Ils s'électrisent. quand il leur peint la demeure de nos monarques, peu de temps avant tendue de voiles lugubres, transformée tout à coup en palais orné de guirlandes, retentissant d'acclamations et des hymnes du bonheur de la France, consolée d'un parricide par le nouveau Théodore ou Dieudonné que le ciel avait accordé à ses vœux. On l'interroge, on le questionne, et ses récits, plusieurs fois recommencés, sont toujours écoutés avec un nouvel intérêt.

Un vieux guerrier de l'Acrocéraune boit aux braves de tous les pays, et il nomme Ali Tébélen. Cette santé, adressée à un proscrit, excite un mouvement d'hilarité parmi les convives. On se regarde ensuite, dans la crainte qu'il n'y ait des faux frères; puis on se raconte à l'oreille quelques nouvelles ; et la confiance, fille de Bacchus, renaissant, on parle bientôt de l'armée turque de Janina. « La discorde est dans le camp d'Islam, » dit en riant un Thesprote de l'Aïdonie. — << Les pachas s'observent,» ajoute un autre, «et Ali sait se procurer beaucoup de chose dont les impériaux commencent à manquer. Les beys,» s'écrie un vieillard, « rentrés dans leurs propriétés, au lieu de baiser la terre qu'ils recouvrent, demandent des comptes rigoureux à leurs vassaux, qu'ils dépouillent en invoquant des droits qu'ils n'ont pas su défendre. Ils persécutent ceux qui ont servi le tyran pendant leur long exil, et ils font rebâtir leurs tourelles aux frais des

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