Images de page
PDF
ePub

>> présents considérables que Napoléon m'envoyait, en écrivant que » c'était du bien perdu, si on me donnait quelque chose ? Ce n'est pas >> tout; non content d'avoir fait repousser mes agents à Tilsitt, à >> Venise et à Paris, tu me poursuis maintenant devant le divan, où >> ton ministre m'accuse du meurtre d'Andruzzi, lorsque je t'ai si » loyalement rendu son fils et son neveu. Eh bien! apprends tout; » pour prix des services rendus à ton pays, on m'ordonne, d'après >> tes plaintes réitérées, de quitter Janina et de me rendre à Tébélen » pour y finir mes jours. Commande maintenant ici : es-tu content?» << S'il m'était permis de répondre au vizir Ali-pacha....., repartis-je » avec calme.-Parle.-Je lui dirais qu'il a raison de penser que je » n'ai jamais eu connaissance qu'on lui eût promis les îles foniennes, >> parce que, n'étant pas souverain, il ne peut posséder ni acquérir à >> titre de rétrocession spéciale, un pays quelconque, sans s'élever au >> rang de ses maîtres, et encourir le reproche de félonie, même par >>> une adjonction au territoire ottoman, faite en son nom privé. >> Quant à Parga, que ton altesse ne cesse de réclamer, en considé>rant de quelle manière tu en uses avec les chrétiens de Prévésa,

je lui dirai que, si une pareille concession était en mon pouvoir, » j'aimerais mieux mourir que d'y donner mon assentiment; cela soit >> dit pour toujours. Quant aux présents que ton altesse regrette, je >> conviens qu'en voyant les Anglais aborder à Prévésa avec des vais>> seaux chargés d'artillerie et de munitions de guerre, j'ai eu une trop >> haute idée de ton importance pour avoir l'air de la disputer à nos >> ennemis par une sorte d'enchère mercantile indigne de la France » et de toi. » Il sourit. « J'espère donc que tu apprécieras ma » délicatesse. Tu me pardonneras sans doute également d'avoir

éloigné, des antichambres de nos ministres, des gens tirés de la fange, que tu transformais en ambassadeurs. Ce n'est plus qu'à ton >> sublime empereur qu'il appartient d'opérer de pareilles métamor>> phoses, en faisant d'un baltadgi ou d'un caracouloudgi' un ministre » plénipotentiaire, pour représenter ce distributeur des couronnes. >> Permets-moi maintenant... Dis, dis, s'écria le vizir en riant aux

'Baltadgi, fendeur de bois. Ce fut un homme de cette classe, attaché au service du sérail, qu'on envoya comme ambassadeur à la cour de Louis XV. Les caracouloudgis, ou marmitons, sont de bas officiers du corps des janissaires. En général l'orgueil mahométan ne députe guère auprès des puissances chrétiennes que des gens qu'il dédaigne, et encore croit-il compromettre sa suprématie.

[ocr errors]

» éclats. Permets-moi, sans t'irriter, de t'adresser quelques re>> proches. En quoi t'ai-je jamais manqué pour me croire assez stupide, » que d'avoir ajouté foi au récit fabuleux de la mort d'Andruzzi, que » tu composas avec tant d'adresse? Penses-tu que j'en ignore les » tristes détails, quand toute la ville gémit sur les excès auxquels un » génie ennemi de ta prospérité te pousse? Je l'ai plus à cœur que » toi, cette prospérité, en t'arrachant des malheureux qui n'ont pas >> plutôt cessé de vivre, que tu regrettes de les avoir immolés. Re>> mercie-moi d'avoir sauvé le fils et le neveu de celui que tu avais fait » périr, et n'oublie jamais que ta puissance a ses bornes, car si tu peux >> tuer, il est au-dessus de tous tes moyens de rendre la vie même >> à un oiseau1. Enfin, souviens-toi que nous vivons dans un temps » où les hommes ont assez de discernement pour savoir être mé» contents, et qu'un pouvoir absolu, quel qu'il soit, ayant pour terme » la durée de la force, son action ne peut être que passagère. Voilà » ce que j'avais à répliquer au vizir Ali-pacha; qu'il me soit mainte>> nant permis de traiter d'homme à homme avec Ali Tébélen. >>

Je déplorai la fausse position dans laquelle nous nous trouvions respectivement, en protestant du regret que j'avais de le voir réduit à quitter un poste conquis par son courage. Je l'engageai à se résigner aux ordres du sultan. «Ma Porte Ottomane sera toujours » ici, poursuivis-je; reviens bientôt, et puisses-tu, mieux éclairé sur >> tes véritables intérêts ainsi que sur ceux de tes enfants, ne jamais >> oublier que le prince le plus puissant est celui qui sait le mieux >> tempérer son autorité par la modération! » Nous nous quittâmes, et, dans la nuit, le vizir prit la route d'Argyro-Castron, d'où il ne serait jamais sorti sans les événements qui ne tardèrent pas à changer la face de l'Europe.

Je rappelais ainsi un fait dont j'avais été témoin. Sais-tu bien, disait devant moi Ali à un pauvre religieux nommé Deli-Caloïeros, que je puis te tuer! — Et après cela? Le satrape, bas en se tournant vers moi : Après cela? il a raison, je ne peux rien.—Tiens, prends, ajouta-t-il, en lui donnant quelque argent, et sauve-toi.

CHAPITRE VII.

Nouveaux dangers du consul de France. - Ali revient de son exil; fait assassiner Jousouf, bey des Dibres.- Empoisonnement d'Aïsché, épouse de Moustaï-pacha. -Réduction des Serviens. Lettre de Khalet-effendi au vizir Ali.-Ses projets Discussion violente à ce sujet. Expédient employé

nouveaux contre Parga.
pour déjouer cette entreprise.
mises en déroute. -Fuite de son escadrille.

Les troupes du satrape attaquent Parga; — sont Mort de six grenadiers français et de deux religieuses. Allégresse du tyran changée en fureur. - Conduite honorable de M. G. Foresti, résident de S. M. B. — Stratagème employé pour rendre le colonel Nicole suspect aux Parguinotes. Intelligences de ceux-ci avec les Anglais; se livrent à eux ; —en reçoivent le pavillon de S. M. B. qu'ils arborent. Retour d'Ali à Janina.-Discours remarquable qu'il tient au consul de France. - Réponse.

L'Angleterre avait à cette époque pour résident à la cour du vizir Alipacha M. George Foresti, qui ne vit pas plutôt Ali-pacha dans la disgrâce, qu'il se rendit à Argyro-Castron. Ce n'était pas pour consoler celui qu'il n'avait jamais estimé, mais afin de l'éclairer de ses conseils, et surtout de surveiller la perfidie de ses desseins.

La mésaventure du tyran n'avait pu être longtemps secrète. On se demandait comment il avait cédé, lorsque le tragique vingt-neuvième bulletin de la grande armée répandit dans la Grèce la nouvelle des désastres de Napoléon. On ne mit plus en doute à Janina que le consul français allait périr victime des ressentiments d'Ali-pacha, et un de ses secrétaires, Colovos, lui conseilla de s'éloigner. « Je l'ai entendu,» lui dit-il, « et vous ne pouvez imaginer quel sort épouvantable il » vous réserve; fuyez, il en est temps encore; fuyez au nom de >> Dieu! Il est trop tard,» repartit le consul, « il a intérêt à me » ménager. » Et il ne voulut pas s'expliquer plus positivement. Un billet écrit en italien, l'avertissait qu'un assassin était attaché à ses pas. Il n'en connaissait point l'écriture; mais céder au danger! cette idée était loin de sa pensée. Il attendit donc les événements avec autant de tranquillité qu'on peut en conserver dans un grand péril, convaincu qu'Ali, qui commit rarement un crime contraire à ses

intérêts, ne se perdrait que par l'abus de ses prospérités; il devait tomber de plus haut.

Le rebelle, frappé de l'anathème civil, fut à peine informé de nos revers, qu'il revint à Janina. A son attitude, on aurait imaginé qu'il avait aussi triomphé de ces armées vaincues par le climat, qui seul pouvait renverser tant de héros; et il insulta lâchement aux mânes de nos légions sacrifiées à l'inclémence des saisons; car l'honneur français était intact au milieu de nos désastres. Je m'abstins d'aller visiter le tyran, et mon frère, qui venait de me rejoindre, tempéra son arrogance, en lui apprenant que, loin de le redouter, le général Donzelot se glorifiait de donner asile aux familles partriciennes de l'Épire, qu'il avait proscrites. Cette réponse énergique à une extradition que le tyran sollicitait, le détermina à envahir la partie occidentale de la basse Albanie. Ainsi, dès l'ouverture du printemps, il acheva la conquête de la Thesprotie, en s'emparant de la ville de Margariti; et à l'exception de Parga, il fut maître absolu de l'Épire, qu'il avait désolée.

Des ruines, tels sont les monuments de la tyrannie; et le satrape, guidé par une furie vengeresse, allait bientôt ajouter aux tombeaux élevés autour de lui, celui de la jeune Aïsché, sa petite-fille, qu'il venait à peine de couronner du bandeau nuptial. Désespéré de n'avoir pu attirer dans ses filets Jousouf, bey des Dibres, que son influence, plus encore que son courage, lui rendait redoutable, il résolut de le faire assassiner. La chose était difficile; car tout homme puissant était sans cesse alors en réserve contre ses embûches, et il fallait des moyens nouveaux pour parvenir à ses fins. Mais que ne peut pas le génie du crime? Janina était rempli d'aventuriers; et un de ces scélérats repoussés de la société, qui trouvent toujours accès chez les princes auxquels ils ressemblent, avait offert de lui vendre le secret de la poudre fulminante. Ce brûlot portatif, plus meurtrier que le poignard, et surtout plus commode pour commettre des assassinats, fut reçu avec empressement par Ali-pacha. On en fit l'essai en sa présence, sur un pauvre religieux de l'ordre de Saint-Basile, qu'il tenait depuis longtemps en prison pour le forcer à une simonie sacrilége; et l'expérience ayant répondu à ses désirs, il résolut d'en faire l'application. Il se hâta d'expédier, par un Grec qui ne s'en doutait nullement, un prétendu firman scellé suivant l'usage dans un étui cylindrique, à Jousouf-bey, qui en l'ouvrant eut le bras emporté

par l'explosion de la poudre fulminante, et mourut de sa blessure après avoir fait écrire à Moustaï, pacha de Scodra, de se tenir sur ses gardes.

Sa lettre arriva à ce vizir au moment où une pareille machine infernale venait de lui être adressée sous le couvert de sa jeune épouse. Le paquet fut saisi, et la belle-mère d'Aïsché, femme jalouse et cruelle, dénonçant aussitôt la plus innocente des créatures, qu'elle accusait d'un crime que ses vertus auraient seules démenti, un poison violent coula dans les veines de celle qu'on ne daigna ni interroger, ni mettre en présence de son juge. Ainsi la fille de Véli et de Zobéide, enceinte de six mois, mourut pour expier l'attentat de son aïeul, qui éprouva plus de chagrin d'avoir échoué dans son entreprise, que du sacrifice de la jeune et douce Aïsché.

Les régions sauvages de la Guégaria, épouvantées du meurtre de Jousouf-bey, tremblaient devant Ali Tébélen ; et la Thesprotie, réunie à ses domaines, ne lui montrait plus dans le lointain que Parga, resté étranger à sa domination. Ce promontoire, sur lequel s'élevaient les autels du vrai Dieu, entourés d'une population de quatre mille chrétiens paisibles, était pour le tyran le rocher de Sisyphe. Son aspect faisait le tourment de son existence, lorsque la révolte d'Agia, bourgade limitrophe, qui demanda à faire cause commune avec les Parguinotes, porta sa colère au plus haut degré d'exaspération. Aussitôt le cri de guerre retentit au sérail, et sans les victoires de Lutzen et de Bautzen, il est probable que les hostilités allaient éclater dans un pays où l'on s'était appliqué à maintenir une neutralité parfaite. Le consul de France eut le bonheur inespéré de faire évoquer à Constantinople la connaissance d'une affaire que l'épée seule pouvait plus tard décider, et l'année 1813 se termina sous ces auspices.

La Porte, accoutumée à dissimuler, crut devoir garder le silence, en se référant à une plus simple information, parce que les affaires de la Servie appelaient alors son attention.

Le traité de Bukarest avait garanti l'oubli du passé aux Serviens, que la Russie avait soutenus pendant douze ans contre ce qu'elle appelait alors l'autorité illégitime du sultan, et qu'elle abandonnait au moment où ils n'étaient plus utiles à sa politique, en leur recommandant de se soumettre à sa hautesse. Des cœurs ulcérés ne se calment pas avec des manifestes. Comme on vit qu'il fallait plus que des firmans pour faire rentrer les descendants des Daces dans l'o

« PrécédentContinuer »