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fou, où ils ont été visités par un enfant des Grecs ministre d'un grand roi 1, les Parguinotes, comme les enfants d'Israël assis autrefois sur les rives des fleuves de Babylone, pleins des souvenirs et des regrets qui remplissent leurs pensées, redisent leurs malheurs à l'étranger qui les interroge. La lyre de Xénoclès accompagne, la plaintive élégie des nouveaux Messéniens; élégie destinée à perpétuer, avec l'amour qu'ils conservent à leur douce patrie, la honte ineffaçable attachée à leurs oppresseurs.

DERNIER SOUPIR DES PARGUINOTES.

I.

Adieu vallons, adieu montagnes,
Coteaux fleuris, bosquets ombreux,
Verts orangers, fraîches campagnes,
Adieu pour jamais, bords heureux!
II.

Parga, terre illustre et chérie,
Trop voisine des musulmans,
L'Anglais te vend, ô ma patrie,
Au plus farouche des tyrans.
Adieu, etc.

III.

« Partez, vieux colons de l'Épire,

» Reste impur des derniers chrétiens, »

A dit Maitland dans son délire,

« Cédez vos temples et vos biens. »>
Adieu, etc.

IV.

« Que la croix, ailleurs triomphante,

qui avait transporté les espèces à Corfou, ainsi que pour les négociations, sauf à statuer relativement aux émigrés parguinotes sur les dommages et prétentions élevés contre eux par Ali-pacha. De nouvelles difficultés s'étant ouvertes à ce sujet, les Parguinotes refusèrent toute espèce d'indemnité. Enfin le 19 décembre 1819, le haut commissaire ayant annoncé que S. M. B. faisant remise aux émigrés du droit de 1 pour 100 exigé pour fret de la Ganymède, ils rejetèrent unanimement cette grâce mercantile, et contraints par la misère, ils acceptèrent depuis ce qu'on voulut leur donner du prix d'une vente faite contre toute justice et tout droit. (Voyez l'ouvrage du lieut. col. de Bosset déjà cité.)

Le comte Capo d'Istria.

» S'abaisse devant Ismaël !

Enfants des Grecs, race impuissante ; » Errez sans trône et sans autel. » Adieu, etc.

V.

Ainsi, trop superbe Angleterre,
Profanant ton nom et tes droits,

Parlait un tyran sanguinaire,

Ennemi de nos saintes lois.

Adieu, etc.

VI.

Puissent mes chants à son oreille

Gronder, portés par les échos,

Comme la foudre qui réveille
Le lâche au sein de son repos.
Adieu, etc.

VII.

Dieu vengeur, saisis le tonnerre,
Sur Maitland lance tes carreaux !

Son aspect a souillé la terre;
Écrase l'auteur de nos maux.
Adieu, etc.

VIII.

Toi qui révélas nos misères,
Qui vis arracher du tombeau
Les månes sacrés de nos pères,
Soleil, éclipse ton flambeau.
Adieu, etc.

IX.

Filles du ciel, påles étoiles,

Phœbé, témoins de nos ennuis,

Couvrez vos fronts de sombres voiles,

Que tout retombe au sein des nuits!

ANTISTROPHE.

Rends-nous nos vallons, nos montagnes, Nos coteaux, nos bosquets ombreux; Dieu protecteur de nos campagnes, Exauce un peuple malheureux !

CHAPITRE IX.

Vieillesse d'Ali. Sa rapacité. Incendie du palais de Tébélen ;

Son désespoir.

le cheik Jousouf.
Héritage des pestiférés d'Arta.

Cruautés diverses.

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Quête qu'il fait à ce sujet. Dons. Albanais plongés dans l'huile bouillante.

- Ismaël Pachô-bey se réfugie auprès du nazir de Drama. - Son portrait.

Danger auquel il échappe. Ses aventures.
de son épouse; s'associe avec l'Étolien Paléopoulo.

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Mort de Paléopoulo. - Famille d'Ali-pacha.

Lettre qu'il reçoit

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Si la vieillesse des bons princes est un temps de langueur pour leurs États, celle des tyrans devrait être, dans l'ordre de la nature, une époque du calme propice au pays agité par les caprices orageux de leur jeunesse. L'Épire aurait éprouvé, dans cette dernière hypothèse, quelque repos ; mais la Providence semblait l'avoir livrée sans retour au génie du mal. Irrité de voir échapper la vie, le satrape, chaque jour plus intraitable, croyait en renouer le cours en envahissant toutes les propriétés, comme s'il avait voulu dévorer la terre prête à l'engloutir. Indifférent à l'estime des hommes, il dédaignait également de les tromper par des serments, et de leur déguiser ses coupables desseins. Bravant la satire 1, le mépris, les reproches, les remords, la renommée, l'impie Salmonée défiait les foudres du ciel et de l'opinion publique. Ses volontés, ses passions, ses emportements ne connaissaient plus ni frein ni mesure. La multitude du peuple, qui est'la gloire du roi, l'importunait; et il souhaitait, comme Caligula, que les hommes qu'il haïssait, dans la pensée qu'ils se réjouiraient de sa mort, n'eussent qu'une tête pour l'abattre. Malheureux des jouissances

'Ali ne manquait jamais de faire venir les aveugles qui chantaient les couplets satiriques que les Grecs composaient contre lui, et de les leur faire répéter en sa présence. Il lui est même arrivé de leur révéler de nouveaux traits de sa cruauté, en disant : Chantez encore cela, afin qu'on sache bien de quoi je suis capable, et que rien ne me coûte pour écraser mes ennemis : je ne me reproche que le mal que je ne peux pas leur faire.

2 La multitude du peuple, dit le sage, fait la gloire du roi, et le petit nombre des sujets est la honte du prince. Proverb. XIV, 18.

d'autrui, malheureux par le désir violent d'envahir, il s'agitait tel qu'un être menacé des besoins de la vie. Il voulait de l'or avec l'ardeur impatiente d'un hydropique qui désire de l'eau pour étancher sa soif; et succombant sous le poids des richesses, plus il en accumulait, plus il prétendait en entasser encore. Un dieu vengeur l'avait condamné aux plus cruels des supplices, l'envie et la crainte de l'avenir.

N'osant croire à la religion mahométane, qui punit le crime, ni la rejeter, parce qu'il en puisa les principes avec son éducation, il ne voyait aucun port assuré au delà du terme de sa vie. L'éternité lui apparaissait sous des formes terribles; il frémissait au nom de l'Alsirat', pont jeté sur une mer de feu; les remords ne lui montraient, sous le voile du tombeau, que le Tartare réservé à ses semblables. Eblis " avait cessé d'être le sujet de ses plaisanteries. Vainement, pour conjurer la marche du temps, il avait eu recours aux secrets de l'alchimie, afin de trouver un breuvage qui devait le rendre immortel et lui procurer les moyens de convertir les métaux en or. Déçu, sans être détrompé de ses prestiges, il s'abandonnait à la superstition, dernier refuge des âmes lâches et criminelles. Entouré d'illuminés, il consultait les sorts; il demandait aux derviches des devises cabalistiques, qu'il faisait coudre dans ses vêtements, ou qu'il suspendait dans les endroits les plus secrets de son palais, afin de détourner les génies malfaisants dont il se croyait obsédé; un Coran était attaché à son cou pour écarter le mauvais ail; il se plongeait dans la région des fantômes; mais des songes funestes le réveillaient dans la douleur.

Enivré des faveurs trompeuses de la fortune, il s'était cru invulnérable, et il ne connut les progrès de l'âge que par ses infirmités. Il avait usé la vie sans perdre le goût des plaisirs, et il passa brusquement de l'erreur des sens dans l'impuissance de satisfaire ses désirs. La beauté fit son tourment; il osa profaner ses roses; il blasphéma contre

Alsirat, pont de la largeur du fil d'une toile d'araignée, suspendu au-dessus des brasiers de l'enfer, sur lequel les musulmans doivent passer pour arriver au Paradis.

2 Éblis, le diable.

* Ce fut en 1812 que ses alchimistes commencèrent les travaux qui avaient pour but de lui procurer l'eau immortelle, au moyen de laquelle il devait, disaient-ils, s'envoler dans les planètes, et trouver la pierre philosophale. Il avait fait venir un laboratoire complet de Venise; et après qu'un nommé Sergios, qui était associé à un derviche, eut brûlé du charbon pendant cinq ans, le vizir, ne voyant aucun résultat, le fit pendre, et noyer son compagnon en sorcellerie.

la jeunesse, il aurait voulu effacer le printemps, et ravir à l'année les fleurs dont il ne pouvait plus savourer les parfums. Les écoles publiques de l'Épire et de la Thessalie furent dépouillées des enfants des premières familles, qu'il flétrit en les plaçant au nombre de ses éphèbes. Si parfois le mot de vieillesse échappait de sa bouche, c'était pour tâcher de surprendre des consolations dans le déni de cette vérité qui l'accablait; il souriait alors à ses flatteurs qui lui souhaitaient de longues années; mais la séduction ne parvenait plus à l'enivrer. Le temps a mis la cognée dans la racine de l'arbre! disait-il en soupirant. Et ceux qui l'abhorraient murmuraient tout bas: Encore quelques jours, et Alipacha ne sera plus.

Il avait dépassé sa soixante et dix-huitième année, lorsqu'on le jugeait ainsi, sans prévoir que le malheur allait lui rendre des forces nouvelles pour lui faire subir le châtiment réservé à ses forfaits. Usé de débauche, flétri par les passions, sa poitrine, qui s'embarrassait aux moindres contrariétés, devait se ranimer plus brûlante que dans sa jeunesse ; ses yeux fatigués étaient réservés à se repaître de nouvelles scènes de carnage, et sa voix glapissante à donner le signal de combats plus meurtriers qu'il n'en avait jamais soutenu; courbé sous le poids d'une vieillesse criminelle, il était enfin destiné à se retremper, comme satan, dans le désespoir, pour ébranler l'empire ottoman jusque sur ses bases chancelantes.

Ali était loin de prévoir les événements qui devaient se rattacher à son sort; son attention semblait ne se porter alors que sur le repos de ses enfants qu'il voulait assurer; heureux s'il n'eût pas prétendu y associer ses projets de vengeance contre Ismaël Pachô-bey, qu'il ne feignait d'oublier que pour lui porter des coups plus certains et plus meurtriers.

Mouctar-pacha était pourvu du sangiac de Bérat, au titre de beglierbey, et son fils aîné, Hussein, jouissait de celui de Delvino; Salik, troisième fils du satrape, avait obtenu Lépante; Méhémet, fils de Véli, était décoré du titre de vali-cy de Paramythia, tandis que son père Véli, retiré à Déchani, près d'Agia, y vivait, au milieu des plaisirs et de la débauche, sans s'inquiéter de la disgrâce du sultan, qu'il avait encourue. Le vertueux Ibrahim et son fils étaient dans les fers. Ils vivaient dans un cachot pratiqué sous le grand escalier du château du lac, pour que leur implacable ennemi jouît du plaisir de marcher sur leurs tétes chaque fois qu'il montait à son palais ou qu'il en des

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