prétendu régent de la Hellade ne songeait plus qu'à faire retraite, et qu'il était vaincu avant d'avoir tiré l'épée. Les affaires d'Hypsilantis ne prenaient pas une tournure plus favorable auprès des Moldaves, race que le despotisme s'appliqua constamment à flétrir, en la livrant à des gouverneurs persuadés qu'il faut tenir des peuples dans l'état de pauvreté, pour les trouver toujours dociles. Dès que Constantin Pentédékas fut arrivé à Jassy, il s'occupa, conformément à ses instructions, de réunir les Grecs épars dans le Kara-Bogdan, auxquels il donna une espèce d'uniforme, et de rassembler les munitions qui lui étaient nécessaires. Au milieu de ces soins, qui l'occupaient moins que ses intérêts particuliers, Pentédékas reçut de la part des boyards de deuxième et troisième classe, ennemis naturels des grands boyards, la proposition de se défaire du soi-disant sénat ainsi que du métropolitain, en les aidant à se placer à la tête du gouvernement. L'Épirote, élevé à l'école du satrape de Janina, repoussa avec une feinte horreur ce dessein, et mit les contendants d'accord, en se saisissant de l'autorité, résolu d'administrer la Moldavie pour son compte. Il substitua, en conséquence, le gouvernement militaire au sénat, fit pendre ceux qui osaient murmurer; et ses soldats suivant l'exemple de leur chef, tout tomba dans la confusion et l'anarchie. Ce fut alors que les boyards restés à Jassy, d'accord avec ceux qui se trouvaient réfugiés en Bessarabie, résolurent d'appeler les Turcs à leur secours, sans s'inquiéter des suites d'une pareille invasion. A la vérité, elle ne devait coûter la vie qu'à des prolétaires; et cette considération n'était pas de nature à arrêter ces hauts et puissants esclaves, qui députèrent quatre membres de leur caste auprès du vizir d'Ibraïlof. Cette démarche, ignorée du public, allait faire tomber les premiers coups des mahométans sur Athanase d'Agrapha, qui avait rétabli l'ordre à Galatz. Il avait voulu, à son arrivée dans cette ville, ignorer les noms de ceux qui s'étaient souillés par des excès, en s'associant aux crimes du féroce Caravia d'Ithaque ; persuadé qu'il valait mieux faire monter le sang au visage de quelques hommes égarés, que de le faire couler sous le glaive du bourreau. Usant ainsi adroitement d'un pouvoir discrétionnaire, il parvint à faire d'un ramassis de marins 'Nom turc de la Moldavie. de l'Archipel un corps militaire tellement discipliné, qu'il aurait pu tenir tête aux Turcs d'Ibraïlof, si les Grecs n'avaient pas été destinés, comme tous les peuples qui se sont émancipés jusqu'à présent, à ne triompher qu'après avoir été éprouvés par l'adversité. LIVRE CINQUIÈME. CHAPITRE PREMIER. Projet d'extirpation du christianisme détaillé. Proclamation d'Alexandre Hypsilantis, connue à Constantinople. · Alarmes. Projets attribués aux Grecs, démentis par les faits. Commencement des arrestations et des massacres, provoqués par la Porte Ottomane, — qui feint de les réprimer. — Conseil tenu chez le grand vizir. - Questions qu'on y résout. Terreur des Turcs. - Supplice de Constantin Morousis et d'une foule de chrétiens. — Notice biographique sur le patriarche Grégoire. — Cause de ses dangers. — Célébration de la Pâque. -Description de cette solennité. Arrestation du patriarche. Il est saisi et pendu à la porte de la métropole. - Exécution des prélats du saint synode. Inquiétudes des légations chrétiennes. Éclaircissements qu'elles demandent à la Porte Ottomane.-Réponse orgueilleuse de celle-ci.—Le cadavre du patriarche martyr, traîné dans les rues par les juifs, — jeté à la mer. - Démolition de l'église métropolitaine. Pillage du Phanal. Bibliothèques vendues au poids. Émeute des Schypetars. Déposition du grand vizir Benderly. - Préparatifs de l'escadre ottomane pour entrer en campagne. 1 « Les jours des larmes étaient arrivés ; mais ces jours n'étaient » plus ceux du peuple captif qui pleurait, assis sous les saules de Ba»bylone, auxquels il avait appendu ses harpes, pour déplorer les » malheurs de Sion. L'Église triomphe dans la douleur! La céleste >> Jérusalem venait de recevoir, dans ses parvis, la vierge de Patras, » Anastasie; et les dominations, les yeux fixés sur Constantinople, » étaient attentives aux événements dont cette cité, reine autrefois » de l'Orient, et maintenant l'opprobre du monde, allait être le » théâtre. » Ce n'était point une fable inventée à dessein par le satrape de Janina, que le projet qu'il attribuait à la Porte Ottomane, d'exterminer les chrétiens ou de les forcer à embrasser l'islamisme, pour établir, par la conformité du culte, une sorte d'unité dans un empire où les Grecs ' Extrait de l'oraison funèbre du patriarche Grégoire, prononcée à Hydra. furent de tout temps considérés comme les auxiliaires de la Russie En cela, on avait deux chances également agréables à la cupidité et au fanatisme d'un souverain et d'un peuple animés d'une haine égale contre les chrétiens. Dans l'hypothèse de la résistance, on y trouvait le moyen de dépouiller les chrétiens, et de les égorger! Dans celle de l'apostasie, il y avait le triomphe toujours agréable à la multitude, de la propagation de sa croyance. Ce plan, ainsi modifié, offrait encore le moyen d'ajouter au fisc impérial les dotations des métropoles converties en mosquées, des couvents transformés en tékés de derviches, l'avantage d'obliger la basse classe du peuple turc à travailler, quand on n'aurait plus eu de raïas pour labourer les campagnes; car, s'il était resté quelques ilotes, on les aurait fait périr peu à peu. Alors la marine marchande de l'Archipel devenait nationale en se mahométisant, ou bien elle tombait par la préférence accordée à celle des étrangers; et l'Orient, entièrement reconstitué dans sa torpeur, prolongeait son existence despotique pendant une longue suite de siècles. Tel était le système du divan: mais quand on vit éclater la révolte d'Ali-pacha; lorsqu'on eut connaissance de la défection des Souliotes, des mouvements des Héréristes, de l'insurrection des provinces ultra-danubiennes et de la Morée, alors le parti de la violence l'emportant sur celui de l'iniquité progressive, l'extermination générale des Grecs fut résolue. A peine eut-on communiqué au sultan la proclamation d'Hypsilantis, qu'on se crut au moment d'une guerre avec la Russie. Des courriers furent expédiés jusqu'aux extrémités de l'empire, pour ordonner la mise en mouvement de tous les mahométans capables de porter les armes, avec injonction de les diriger sans délai sur Constantinople. A cet égard, les mesures répondirent à des craintes légitimes; mais, afin de justifier un forfait pareil à celui de l'extermination de tous les Grecs, aux yeux de l'Europe chrétienne, qui s'est montrée depuis plus qu'insensible à leurs infortunes, il fallait les voiler d'un de ces coups d'État qu'on nomme conspirations; et on calomnia ceux qu'on voulait perdre. Comme, depuis la conjuration contre la république de Saint-Marc jusqu'à la journée des poudres, à Londres, dont on célèbre la commémoration en brûlant publiquement l'effigie du pape, les accusateurs se sont constitués juges dans ces sortes de causes, dénoncées, poursuivies, et étouffées à eur requête, il est permis de révoquer en doute des questions établies comme des faits. Sans parler de la manière dont ces coups d'État ont été conçus; ni de la fraude, maintenant démasquée, des Vénitiens et du parlement britannique; il faut, avant que quelque écrivain tel que Saint-Réal élève un faux matériel en histoire, examiner et réfuter les mensonges employés pour réhabiliter la conduite sanguinaire de la Porte Ottomane. A peine les courriers propagateurs des alarmes qui déclaraient le trône et l'autel d'Islam en danger, étaient sortis de Constantinople, qu'on fit répandre le bruit que le 16 mars était un jour marqué dans toute l'étendue de l'empire, pour le soulèvement des Grecs. A l'appui de ce fait, on racontait que de riches négociants de la capitale avaient formé des dépôts considérables d'armes dans leurs maisons, et que plusieurs églises en étaient remplies. Des hommes d'une fidélité éprouvée étaient chargés d'exercer aux évolutions militaires une multitude d'adeptes qui se réunissaient dans des caves. Les plus influents avaient ordre d'initier successivement toute la population grecque aux projets de la grande synomotie; mais leurs révélations ne devaient avoir lieu que la veille ou le jour de la révolte. Alors les conjurés armés auraient surpris Thophana, qui est le grand dépôt de l'artillerie de l'empire; tandis que d'autres, pénétrant dans le sérail, auraient égorgé le sultan et se seraient saisis de ses trésors. Une troupe de marins bien disposés s'emparait, sur ces entrefaites, de la flotte qu'ils trouvaient sans défense. Ils écrasaient les corps des topdgis ou artilleurs, celui des janissaires; et la ville était soumise ou renversée de fond en comble dans le délai de quelques heures. Afin d'établir la péripétie nécessaire dans la fable de ce drame d'invention atroce, un délateur, séduit par l'espoir d'une forte récompense, avait, disait-on, tout dénoncé à l'ambassadeur d'Angleterre 2, 1 C'était le 25 mars, jour de l'Annonciation, que devait éclater le complot. Il se trouvait, disaient les inventeurs de cette conspiration, quatorze vaisseaux céphaloniens prêts à incendier l'Arsenal, et les conjurés avaient vingt-deux mille fusils déposés dans les magasins du banquier Mavros. Les agents étrangers poussèrent même l'imprudence jusqu'à compromettre le nom du baron de Strogonof dans cette circonstance. ? Le révélateur de cette prétendue conjuration fut un nommé Assimakis, Gree péloponésien. Initié depuis longtemps aux secrets de l'Hétérie qui s'était formée en Russie, un refus d'argent qu'il éprouva de la part des banquiers d'Odessa le détermina à trahir ses frères. Non content de dénoncer les plans depuis longtemps médités, il fabriqua une conjuration de toutes pièces. Il en communiqua le but et les |