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de mettre Galatz à l'abri d'un coup de main et ce fut là qu'on convint de s'établir.

En conséquence, l'Etolien Athanase confia la défense de la redoute située à l'extrême droite de la ligne à Kotiras, du Péloponèse, qui se chargea de la défendre avec trente-quatre hommes et deux petites pièces de canon en fonte. Les autres postes furent occupés par Spiros Alostros, de Zante; Hélie et Triphos Mingrelis, de Céphalonie, frères toujours unis dans les différentes vicissitudes de la vie, et à George Papas Mavro-Thalassetes, tandis qu'Athanase, à la tête de quarante-cinq soldats appuyés par trois pièces d'artillerie montées sur des affûts de marine, s'établit dans le retranchement le mieux couservé et le plus exposé, à cause de sa position avancée. La première fureur de l'ennemi se porta effectivement contre lui, et le sérasquier turc, n'ayant pu parvenir à le forcer malgré une perte d'hommes considérable, détacha une partie de sa cavalerie, qui tourna les Grecs, en débouchant devant Galatz.

Vingt chaloupes canonnières turques venaient de s'embosser sous la ville, qu'elles foudroyaient, lorsqu'on conseilla à Kotiras d'évacuer sa batterie qui se trouvait à découvert. « Amis,» répondit-il à ses soldats, « nous devons un grand exemple à la Grèce; je nourrissais >> depuis longtemps le besoin de me venger des Turcs, et je ne pouvais >> souhaiter une plus belle occasion que celle qui nous est offerte! >> Que ceux qui partagent mes sentiments me suivent; nous ne devons >> pas voir coucher le soleil. >>

Il était midi! Vingt-cinq Grecs se précipitent sur ses pas, il franchit l'espace, il tombe au milieu de Galatz, où la cavalerie turque, qui aurait pu s'opposer à son passage, s'amusait à piller. Tel qu'un lion furieux, il parcourt les rues avec ses braves, fait main basse sur les ennemis qu'il trouve dispersés, en tue un grand nombre ; et, cerné par eux, il entre dans une maison où une horde d'infidèles s'enivrait. Il les égorge, et, faisant une place forte de cette demeure ensanglantée, il y combat; et, environné des flammes que les Turcs, qui n'avaient pu le vaincre, allumèrent, il périt avec ses soldats, en montrant que la Grèce possédait encore des enfants dignes de l'admiration du monde.

Le vizir d'Ibraïlof, maître de Galatz, craignant néanmoins d'attaquer de front les Grecs décidés à se défendre à outrance, avait jugé à propos d'envoyer un parlementaire à Athanase, auquel il offrait une capitu

lation honorable. Celui-ci ne crut pas devoir en laisser ignorer les conditions à ses camarades; puis, élevant la voix, il leur dit : « Conti>> nuons, mes frères, le combat; il n'y a d'arrangement convenable à >> espérer que quand on est le plus fort.... » Redoublant d'audace, il se met aussitôt à la tête d'une sortie, repousse les barbares, et parvient à tuer de sa main le neveu du commandant d'Ibraïlof.

Cependant les deux retranchements, défendus par cent cinquante hommes, se trouvant rasés après une canonnade de six heures, Athanase, groupant les débris de sa troupe, parvint à contenir l'ennemi jusqu'au coucher du soleil; et la nuit étant devenue obscure, il leur proposa d'en profiter pour traverser le camp des mahométans.

Sa résolution ayant été acceptée, il embrasse ceux de ses soldats qui étaient morts dans la tranchée; et, ordonnant de charger les canons, en y attachant des mèches calculées de manière à y mettre. successivement le feu, il quitte ses bottes, afin d'être plus léger à la course. Il prévient ses palicares de prendre leurs capes sur l'épaule droite, et quand ils seront en vue de l'ennemi, de les déposer, comme s'ils s'agenouillaient pour tirer, tandis qu'ils fuiraient à gauche, en laissant les Turcs tirer sur leurs vêtements. On le suit, et à la faveur de ce stratagème, Athanase ainsi que ses soldats s'étant sauvés parvinrent à gagner une presqu'île formée par le lac Bralitz et le Pruth, non loin de son embouchure dans le Danube où ils trouvèrent, il faut le dire à leur honte, six cents Grecs qui avaient pris la fuite, dès que les Turcs avaient paru devant Galatz. Le capitaine Sphaëlos de Zante, qui avait sous ses ordres quatre bâtiments de commerce mouillés dans cet endroit, les avait recueillis et protégés contre les barbares, qu'il avait tenus éloignés à coups de canon.

Telle fut l'issue du combat de Galatz; et si les six cents hommes qui abandonnèrent l'Etolien Athanase l'avaient secondé, peut-être que les mahométans se seraient ignominieusement retirés. Les Moldaves de leur côté n'auraient pas eu la douleur de voir les libérateurs que leurs boyards avaient suscités, massacrer et traîner en esclavage leurs compatriotes.

Le 14 mai, les Turcs, maîtres de la ville, fondirent sur les églises que leur artillerie n'avait pu renverser; et, après mille profanations mêlées d'injures révoltantes contre le Christ, auquel ils disaient de les écraser, s'il était le dieu vivant, ils se baignèrent dans le sang de quelques vieillards, et les boyards qui se trouvaient à Ibraïlof jouirent

du spectacle des têtes des Moldaves et des esclaves qu'on y conduisit en triomphe.

Pendant que le sang des martyrs inondait les temples et les rues de Galatz, Athanase, réfugié dans la presqu'île du Pruth, faisait creuser un fossé à l'entrée pour l'isoler ; et comme il avait à sa disposition les navires du capitaine Sphaëlos, il résolut d'attendre, dans cette position, le moment favorable pour reprendre l'offensive. On comptait sur l'arrivée prochaine du bataillon de l'Épirote Pentédekas ; mais ce chef ayant réuni un ramassis de cinq cents aventuriers, n'avait pas plutôt appris les événements de Galatz, qu'il ne songea qu'à fuir, avec le butin et les laches qu'il commandait. Sans s'inquiéter des ordres de son général, et sans penser à retarder la marche de l'ennemi, qu'il pouvait arrêter au passage des forêts, il s'était replié du côté de la Valachie. Changeant ensuite de dessein, il avait voulu se diriger vers le Pruth, afin de gagner la frontière de Russie: manœuvre honteuse que deux de ses capitaines parvinrent cependant à l'empêcher d'exécuter.

Cet incident nuisible à Athanase fut compensé par la retraite des Turcs, qui rétrogradèrent vers Ibraïlof, dans la crainte, comme on l'apprit ensuite, d'être pris à revers par les insurgés de la Valachie. Ce mouvement ayant ainsi éloigné l'orage, la Moldavie resta au pouvoir de Pentédekas, chef méprisable, orgueilleux, et fécond en proclamations banales.

Les choses étaient à peu près sur le même pied à Tergovitz, où l'on disait que les Turcs étaient entrés à Bukarest, introduits par Théodore Vladimiresco, qui s'entendait avec eux. On se racontait ces nouvelles à l'oreille, lorsque l'ispravnik d'un canton voisin, arrivant hors d'haleine, confirma cette nouvelle. Il fut aussitôt saisi par Caravia, qui était monté subitement au grade de général, et il aurait été égorgé sans l'intervention de George Hypsilantis. Cependant on ne put cacher longtemps que les Osmanlis s'étaient emparés de la capitale de la Valachie, où ils n'avaient rien respecté, et que les juifs qui leur servaient d'espions étaient les plus ardents persécuteurs des chrétiens. Mais on ne savait ce qu'étaient devenus Théodore Vladimiresco, ni Sava, lorsqu'on apprit que le premier avait été arrêté par

'Capitaine, espèce de sous-préfet; ils sont au nombre de deux dans chaque district.

le capitaine George à une demi-lieue de Kimpolongo, et qu'il l'amenait enchaîné à Tergovitz. Cet événement déchira le voile qui couvrait les yeux de l'armée insurgée.

On sut que le traître Vladimiresco, qui n'avait pas cessé d'agir de concert avec les Turcs, était sorti de Bukarest, dès qu'il y eut introduit les barbares, à la tête de quatre à cinq mille pandours. Déjà il avait débordé la droite de l'armée d'Hypsilantis, en se portant sur Kimpolongo, chef-lieu du district de Moustchéo, dans l'intention de tomber sur le corps peu nombreux de Nicolas, frère du prince, et de couper la retraite à l'armée du côté des monts Latchès. Une demi-heure de plus il réussissait, car les Turcs marchaient en même temps sur la gauche pour attaquer les insurgés; Tergovitz aurait été le tombeau d'une entreprise si fastueusement annoncée.

Dès que les Turcs furent informés de l'arrestation de Théodore Vladimiresco, croyant les forces d'Hypsilantis plus considérables qu'elles n'étaient, ils se retirèrent quelques licues en arrière afin d'observer ses mouvements. Le malheureux n'avait depuis longtemps aucun plan; et c'était la prévoyance seule du capitaine George qui l'avait sauvé en devinant la trahison. Le guerrier du mont Olympe, élevé parmi les armatolis de la Thessalie, accompagné de quatre cents Schypetars chrétiens nés comme lui dans les camps, avait suivi les pas de Théodore, qu'il avait saisi endormi dans une cabane sous la garde de quelques soldats, en lui ordonnant, le pistolet sur la gorge, de monter à cheval et de le suivre.

Son crime était avéré, et cette trahison, ainsi que l'approche des barbares, ayant refroidi le goût des plaisirs au quartier général de Tergovitz, les querelles entre les chefs qui s'accusaient mutuellement succédèrent aux bals et aux concerts. Malgré cela on ne savait trop que penser de la conjuration. Quinze cents pandours de Théodore avaient demandé du service; et leur chef, tranquille dans les fers, disait du ton de voix le plus calme: Eh bien quand marcherons-nous contre les Turcs ? je ne suis venu que pour cela!

Cependant on le soumit pendant deux jours à des interrogatoires, dont le but principal était de savoir ce qu'il avait fait de plusieurs millions provenant de ses brigandages, mais on ne put rien découvrir; et on présuma qu'il les avait fait passer à sa famille établie en Transylvanie. Enfin le troisième jour, Théodore Vladimiresco fut remis à Caravia, qui ordonna de le décapiter, et trouva dans la doublure de

son dolman une valeur de cinq mille ducats en or et en pierreries dont il s'empara. Telle fut la fin d'un homme qu'on comparait à Mazaniel, avec lequel il n'eut cependant de commun que de s'ètre entouré de la lie du peuple, pour former une entreprise qu'il était aussi incapable de diriger que de faire tourner à son avantage, quand il serait même parvenu au rang d'hospodar qu'il ambitionnait.

Le supplice de Théodore Vladimiresco, loin de calmer les ressentiments des chefs de l'insurrection, les augmenta au point que Cantacuzène se sépara d'Hypsilantis, en emmenant quatre mille hommes, avec lesquels il prétendait attaquer Ibraïlof. Mais à peine ce prince, né en Moldavie, qui avait embrassé par sentiment national la cause des Grecs, eut-il quitté Tergovitz, qu'il détacha la majeure partie de ses capitaines en partisans, ne se réservant que six cents hommes, à la tête desquels il franchit les montagnes de Foxan, et il entra le 25 mai à Jassy. Il y réunit aussitôt ses troupes à celles de Pentédekas, en faisant publier qu'il n'était venu que pour rétablir l'ordre, et en engageant les habitants à rentrer dans leurs foyers.

Ce n'était encore là qu'une combinaison masquée d'un prétexte mensonger; car Cantacuzène voulait recruter le plus d'hommes possible, s'emparer de l'artillerie, des munitions, et rentrer en Valachie, où les Turcs se concentraient afin d'envahir la Moldavie. Ce projet une fois éventé, il fut impossible de s'entendre, et la haine des boyards en tira avantage. Plus Cantacuzène répandait de proclamations, vaines ressources des généraux impuissants, et plus on assassinait de Grecs, dont quelques-uns même furent enlevés et livrés vifs à la férocité des Turcs. Cantacuzène ne pouvait donc guère songer à se renforcer assez pour rentrer en Valachie, et il y renonça lorsqu'il apprit que, peu de jours après son départ, Hypsilantis s'était rendu par Kimpolongo et Courtè-d'Argis, à Rimnik, ville située à la rive droite de l'Oltau, presque à l'entrée des gorges des montagnes. Il dut comprendre que la cause de l'insurrection était perdue; ce qui donna lieu, comme on le dira ci-après, à une foule de bruits que nous examinerons.

Cependant la nouvelle de l'arrivée de Cantacuzène à Jassy, vue avec tant de déplaisir par les hauts boyards, avait relevé les espérances des insurgés de Galatz, restés dans leur camp retranché au confluent du Pruth et du Danube. Secourus par Nicolas Konthogonès, du Péloponèse, et par George Sophianos, de l'île de Cos, qui étaient

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