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ficher au grand mât de chaque vaisseau la proclamation suivante, adressée aux insulaires de l'Archipel.

' « Hellènes généreux, enfants de la liberté, nos larmes ont cessé » de couler. Les siècles d'injustice, d'injure, et d'opprobre que nous » avons endurés, sont accomplis. Le Rédempteur a daigné abaisser >> ses regards sur son peuple. Le Dieu vivant a soufflé dans tous les » cœurs l'enthousiasme brûlant de sa vengeance contre nos tyrans >> impies! Suivi de myriades de chrétiens soulevés à sa voix, déjà le » prince Alexandre Hypsilantis s'avance, à pas de géant, des bords du > Danube contre Constantinople, afin de renverser de fond en comble »le repaire de nos oppresseurs. Le Péloponèse, la Hellade entière, » ont proclamé l'indépendance, et la croix triomphe maintenant » dans ces contrées. Levez-vous donc, religieuse postérité de nos braves ancêtres, insulaires, peuples du continent, qui gémissez dans >> les fers, courez aux armes. La liberté vous appelle, montez sur vos » vaisseaux, réunissez-vous aux escadres d'Hydra, de Spetzia et de » Psara, qui s'avancent pour délivrer l'Archipel. Descendants de » Miltiade et de Thémistocle, paraissez, montrez-vous dignes de vos >> destinées, nous combattons pour la religion et la patrie. Rappelezvous ce que vous avez enduré de la part des Turcs, et le sort qui vous attend s'ils vous surprennent désarmés. Ne regrettez aucun » sacrifice, car c'est votre vie même qu'il faut défendre... que dis-je! >> il s'agit du salut de vos âmes, que vous devez rendre pures à l'É>>ternel en mourant pour la plus juste des causes; car celui qui refuse>>rait de l'embrasser, serait en horreur aux siens, maudit et abominable » dans la postérité. Levez-vous donc, marchez, écrasez vos tyrans, et » conquérez l'indépendance, objet de vos vœux.

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» Que la présente proclamation soit répandue en tous lieux par »notre flotte. >>

Le 3 mai, la division navale grecque, portant le pavillon de la croix, que les îles de la mer Égée n'avaient pas vu flotter depuis la prise de Constantinople, appareilla du mouillage de Métochi, en portant le cap vers l'île de Ténos, où elle arriva au coucher du soleil. Le navarque

Voyez le Précis des opérations de la flotte grecque, précité. Appendice, no 1x. Tenos, ou Tine, doit son importance à une population de seize mille habitants, répandus sur un territoire de seize lieues de circuit. Un sol qui répond assez constamment aux soins du laboureur, surtout dans la Katomérie, ou partie basse de 'tle, où il est arrosé par le Lazaros et le Grizas, rivières qui forment, à leur embou

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écrivit aussitôt aux primats pour les inviter à une conférence, qui fut fixée au lendemain. Ceux-ci s'y étant rendus furent reçus au bruit de l'artillerie du vaisseau amiral, où ils assistèrent à la séance d'une cour martiale, dans laquelle Argyras Stémitziotis fut accusé et entendu dans sa défense relativement à la prise de la goëlette autrichienne. II en résulta que le consul de S. M. Apostolique, qui avait recouvré le navire, ainsi que les Turcs et leurs propriétés qu'il portait, n'ayant à réclamer que trois cent cinquante piastres turques (233 fr. 33 c.), et n'exigeant rien de plus, la somme lui fut comptée. Ainsi fut réglée à

chure, des marais qu'on assainit par la culture du lin, des melons et des pastèques; ce sol fait la richesse des insulaires. Dans l'Apanomérie, ou partie haute, et jusque sur les escarpements de l'Oxomérie ', qui est la région la plus élevée, on trouve des sources et des ombrages 2. De toutes parts croissent les amandiers, les abricotiers, la vigne rampante qui étale ses pampres sur des coteaux schisteux à côté des figuiers, des mûriers et des grenadiers. Partout règnent des mœurs douces, un long printemps, et des arbres sur lesquels les hivers multiplient en vain les années'. C'est là aussi qu'on reconnaît encore les restes de ce temple, regardé comme un des plus anciens asiles de la Grèce, qui fut tour à tour consacre à Apollon, à Neptune, et que les habitants actuels ont remplacé par l'église Saint-Nicolas, auquel ils attribuent les mêmes prérogatives qu'au dieu détrôné. Il a donné son nom au port le plus fréquenté de leur ile : mais il a résigné la faculté qu'il avait de guérir les maladies, à la Sainte-Vierge, toujours propice à ceux qui s'abstiennent de manger des figues jusqu'au 15 août, chose facile à concevoir : car leur crudité expose, avant ce temps, aux fièvres intermittentes. Quant au pouvoir d'Apollon Sauroctone “, il est maintenant dévolu à saint Jean Prodrome, exterminateur des serpents, dont il est aussi grand ennemi que sainte Ursule l'est des carmagnols ou mulots devastateurs des moissons; ce puissant protecteur a donné son nom au seul port tenable de l'île, qui est appelé Saint-Jean. Ainsi les dénominations seules ont change; car il est probable que les habitants, dès le temps même où leur ile s'appelait Hydrussa, buvaient, en infusion theiforme, la sauge odoriférante de d'Oxomérie, que leurs enfants cueillent au mois de mai avec des ceremonies toutes païennes. Les villages d'Arnados et d'Hiochorion vantent toujours aussi les yeux de leurs paysannes oreades, dont la beauté fait le désespoir des familles restées à Tenos, après que Venise eut perdu cette colonie, pour y perpétuer l'exemple de la morgue et de l'indolence des castes patriciennes de Saint-Marc. Ces dernières, plus satisfaites de ramper sous le bâton des Turcs, que de vivre en rapports d'égalité avec les Grecs, furent, ainsi que les gens de Xinara, les seules qui virent avec aversion le commencement d'un nouvel ordre de choses.

1 Voyez, pour ces aspects, Phiu., lib. iv, cap. 12. Steph. Bysant. in voc. Trvos, Hesych.

Eustath. in Dionys. Perieg. v. 526. Tournefort, Voyage, tome 1, page 407.

* Strab., lib. x, page 487.

Tacit. Annal., lib. m, no 63.

Philochor. ap. Clem. Alexand. Cohort. ad gentes, page 26.

* Tueur de lézards. Strab., liv. x, page 487.

l'honneur du nom grec une affaire d'autant plus humiliante pour le pavillon autrichien, qu'il couvrait des Turcs expédiés de l'Anatolie pour exterminer les chrétiens du Péloponèse.

Ce procès terminé, l'archinavarque Tombasis, prenant la parole, exhorta les habitants à faire cause commune avec les insurgés, en leur donnant copie de la proclamation du sénat d'Hydra. Ceux-ci lui apprirent qu'ils avaient devancé ses vœux en arborant depuis deux jours le labarum, et qu'ils avaient formé un gouvernement provisoire composé de leur évêque assisté de quatre notables. Alors l'amiral, informé qu'une partie de l'île était habitée par des catholiques romains. invita l'évêque latin à adhérer au soulèvement; mais un des chefs de ce rit lui ayant représenté que les membres d'une église qui compte à peine douze mille âmes répandues dans les différentes îles et ports du Levant, ne prenaient aucune part aux affaires civiles, on se contenta de l'engagement qu'il contracta, au nom de ses coreligionnaires, de coopérer pécuniairement à la défense de la cause de la liberté.

Des salves d'artillerie suivirent cette décision; et l'évêque grec, assis à la poupe du vaisseau le Thémistocle, répandait des bénédictions sur les équipages et sur le peuple descendu en foule à la plage, quand un bâtiment de Spetzia, portant le pavillon de la croix en berne, parut au large.

L'inquiétude fait place à la joie, on se passe de main en main les lunettes d'approche; il avance, il aborde, et, poussant un cri de douleur, il annonce la mort du patriarche Grégoire, assassiné par ordre du sultan. Il en avait appris la nouvelle au mouillage d'Imbros, petite fle située à l'entrée de l'Hellespont, où il avait embarqué plusieurs fugitifs échappés aux massacres de Constantinople, qu'il apportait à Ténos. Ils débarquent, on les environne; ils pleurent, ils montrent les stigmates du martyre auquel ils ont échappé. Ils apprennent aux Hydriotes la perte de deux cents de leurs frères immolés sur les vaisseaux du Grand Seigneur qu'ils servaient avec fidélité! Un cri de fureur éclate parmi les équipages, le peuple exaspéré veut se porter à la maison de l'agent d'Autriche pour égorger les Turcs qu'il protége. On s'indigne de voir encore flotter le pavillon ottoman à Xinara, bourgade où les Latins se sont retirés avec l'aga mahométan, et il fallut tout l'ascendant de l'archinavarque Tombasis pour prévenir des malheurs, que les crimes de la Porte Ottomane ne pouvaient légitimer. Après avoir calmé l'indignation publique, l'escadre d'Hydra remit

en mer; et l'amiral ayant ouvert, en présence de son état-major, le pli cacheté qui lui avait été confié par l'amirauté, il y trouva une proclamation adressée aux habitants de Chios, pour les engager à embrasser la cause de l'insurrection, ainsi que plusieurs autres pièces que nous ferons connaître successivement. On venait de s'élever au vent de Mycone, île rocailleuse, quand l'escadre fut jointe par trois de ses bâtiments, qui avaient capturé un navire crétois venant de Constantinople, avec des affûts de canon destinés pour les places fortes de Rhétymos et de Candie; enfin, le 6 mai, à cinq heures du soir, l'escadre chrétienne laissa tomber l'ancre au port de Psara. L'archinavarque fit aussitôt connaître à l'amirauté l'adhésion à la grande épanastasie (insurrection), proclamée par l'île qu'il venait de quitter.

Psara avait prévenu ses vœux en proclamant la sainte épanastasie ! Cette île, située au nord-ouest de l'île de Chios, en face du cap Bolissa, que les modernes appellent San-Niccolo, renferme deux ports, dont le plus considérable est ouvert au sud-ouest. Autour de cet écueil sont groupés ceux d'Anti-Psara, de Pysargos et des Spalmadores. Les Psariens, jadis aussi pauvres que leur île, qui ne produisait pas même de vignobles, riches maintenant en vaisseaux', s'étant déclarés les premiers pour la cause de l'indépendance, furent dans l'enthousiasme en voyant apparaître l'escadre d'Hydra. Ils apprirent au navarque Tombasis que l'île d'Andros, qui n'est séparée de celle de Ténos que par un canal d'une demi-lieue, leur avait envoyé son adhésion. On se réunit en conseil pour en entendre la lecture; et, parmi les mesures principales qu'on discuta, il fut résolu d'engager Chios à faire cause commune avec toutes les autres îles qui s'étaient prononcées pour la révolte, à l'exception de Scyros, où il suffisait que les orthodoxes eussent adopté un parti, pour que les catholiques le réprouvassent. Déjà les habitants de Volissos, village chiote, habité par une race d'hommes agrestes, et conséquemment étrangers aux mœurs de leurs compatriotes, leur avaient envoyé une députation. Ils engageaient les insurgés à faire un débarquement du côté de leur hameau, en leur offrant des secours; mais, disait le chef du conseil de Psara, une hirondelle ne fait pas le printemps. Les Chioles, endormis dans la mollesse, ne se réuniront que quand on les agitera violemment.

1 Voyez tome V, ch. 137, de mon Voyage dans la Grèce.

2 Andros, séparée de Ténos par un canal de douze stades. Scylax ap. Geograph. minores, tome I, page 55.

Avant d'en venir à cette extrémité, on résolut de consulter deax des principaux habitants qui se trouvaient à Psara, auxquels on représenta la nécessité de se déclarer contre l'ennemi commun des chrétiens. Leur répugnance à entrer dans ce parti fut invincible; et on aurait compati aux raisons qu'ils alléguèrent, dans l'idée de ménager les capitalistes de Chios, qui fournissaient des fonds à la navigation des Grecs, si l'intérêt général n'avait prévalu dans le conseil. Quoique la proposition de faire un débarquement dans cette île, ne fût pas l'opinion des Chiotes, les Psariens, résolus d'obéir au vœu de la majorité, joignirent à l'escadre d'Hydra dix de leurs bâtiments, dont ils donnèrent le commandement au capitaine Nicolas Apostolos. Ils remirent en même temps à Tombasis des lettres pour les notables de Chios, par lesquelles ils les engagaient à ne pas rester oisifs dans un danger qui ne serait fatal qu'aux indifférents.

Tandis que ces résolutions s'agitaient dans le conseil de Psara, les Hydriotes avaient attaqué un vaisseau turc, chargé de munitions de guerre, destiné pour Candie, en le poursuivant depuis les îles OEnusses jusque sous la forteresse de Chios, où ils le coulèrent à fond sous les yeux des mahométans. Dans le même temps un brick de Psara s'emparait d'un autre bâtiment ennemi, monté par quatre-vingt-dix Turcs, chargés d'escorter cent cinquante pèlerins et plusieurs femmes qui se rendaient à la Mecque. Les soldats mahométans se firent tuer jusqu'au dernier, et on envoya les pèlerins, hommes et femmes, dans le Magne, pour y être vendus comme esclaves aux Eleuthero-Lacons; telles furent les premières représailles exercées pour répondre au massacres de Constantinople.

Le 8 mai, l'escadre combinée, s'étant dirigée vers Chios, aborda le lendemain à l'atterrage qu'on nomme la Fontaine du Pacha. Il fut aussitôt décidé de soulever les villages. L'Ionie se trouvait compromise; l'alarme était répandue dans l'Asie mineure; des Francs, plus ennemis des Grecs que les Turcs, fortifiaient le château de Smyrne: le sang chrétien coulait dans cette ville; les Chiotes, d'après ce qui se passait, ne devaient plus balancer à arborer l'étendard de la croix. Tandis que les campagnes insurgées envelopperaient la ville par terre, l'escadre allait l'attaquer par mer, et la garnison turque, surprise, serait enlevée ou réduite à capituler. On dépêcha, en conséquence, dans les campagnes, un matelot du bâtiment du capitaine Apostolos, avec la proclamation suivante, qui faisait partie des

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