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ièces remises par le sénat d'Hydra à son archinavarque Tombasis. «Habitants de Chios, la nation grecque vient de s'armer pour la cause de la liberté. Le mouvement est général, et appuyé sur des bases inébranlables. Le Péloponèse a relancé et renfermé ses tyrans dans leurs places fortes, où ils se sont retirés épouvantés et sans approvisionnements. Les villes de Corinthe, de Monembasie, de Tripolitza, de Thèbes, d'Athènes, de Livadie, de Salone, ainsi que les îles d'Égine et de Paros, sont bloquées. La Hellade et les Cyclades ont arboré le pavillon de l'indépendance: il flotte aux mâts des escadres combinées d'Hydra, de Spetzia et de Psara. Une > partie de nos vaisseaux croise à l'entrée des Dardanelles pour fermer › à nos tyrans l'entrée de la mer Égée; d'autres ont fait voile pour > attaquer les places maritimes du Péloponèse, ou pour veiller dans les mers de l'Archipel. Armés à nos dépens, les navires des îles unies, qui tiennent la mer, ont besoin de votre généreuse assistance; et nos frères ne pourraient, sans impiété, nous abandonner dans la lutte sacrée que nous avons engagée. Chios, plus opulente » qu'aucune des autres fles, doit venir à notre secours. Elle a donné » l'exemple de son amour pour la patrie, en répandant les lumières » dans la Hellade, et elle ne peut être étrangère aux sentiments d'un » noble affranchissement. Elle a connu, comme nous, l'injure, l'op» probre, l'humiliation. Comme nous, ses enfants sont traités d'es>> claves et d'infidèles! Ces insultes ne sont-elles comptées pour rien, » quand la liberté se présente spontanément à côté de tant de siècles » d'outrages? La liberté, notre liberté est écrite au ciel et sur la » terre, le jour de gloire est arrivé. S'il y avait parmi vous quelque >> crainte, contemplez notre flotte, réunissez vos efforts au courage >> de ses nautoniers. Voudriez-vous rester l'éternelle proie de la ty>> rannie, quand les Hellènes vous convient de les assister propor>>tionnellement à l'étendue de vos moyens? Moins foulés que les >> habitants des autres îles, en êtes-vous pour cela moins méprisés >> des barbares? Comptez les sommes qu'on vous arrache pour vivre >> tranquilles sous le joug. Comparez-les à ce que nous demandons » de vous pour acquérir l'indépendance. Réunissez-vous donc promp>>tement sous nos drapeaux. Nos biens, notre vie, nos richesses, > nous les sacrifions pour votre affranchissement; la force, nous la

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Précis des opérations de la flotte grecque, appendice, no x1.

» déploicrons, même sans votre concours. Alors, craignez l'ana>> thème et le mépris de la Grèce et de la postérité. Mais non, vous >> allez vous rendre aux vœux de vos frères, qui vous saluent et vous >> embrassent en Jésus-Christ. >>

A peine l'émissaire envoyé dans les campagnes était parti avec cette proclamation, qu'on reçut la nouvelle de la prise faite par le capitaine Anastase Bulgaris, d'un bâtiment turc, chargé de bois de construction, destiné pour la Canée. Six Turcs, qui se trouvaient à bord, avaient été jetés à la mer, et sept Grecs, du même équipage, envoyés à Hydra avec la prise. Le 10 mai, les capitaines Pinotzis et Sakturis s'emparèrent également d'un navire destiné pour Alexandrie, sur lequel se trouvaient un Mollah, plusieurs familles turques, et une quantité de pèlerins mahométans, qui furent envoyés, en présent, aux capitaines du Magne, pour travailler aux terres, tandis que ceux-ci combattaient pour la défense de la patrie. Le brick resta au pouvoir des Grecs, qui trouvèrent à bord douze candelabres en argent, six en or, trois miroirs, entourés de pierreries, de la vaisselle d'argent, des brillants, des diamants et des perles, montant à une somme considérable. Il n'en fallait pas davantage pour faire tourner la tête à des hommes jusqu'alors accoutumés à des bénéfices modérés ; et le désordre qui s'ensuivit contribua à empêcher l'entreprise formée pour la délivrance de Chios.

Les capitaines qui se trouvaient au village de Thymiana durent revenir à bord pour rétablir l'ordre. On ne tarda pas ensuite à apprendre, par diverses voies, que les archontes de la ville de Chios venaient de livrer des otages au pacha, qui avait laissé cent trente Turcs asiatiques à la garde de la citadelle, tandis que les autres couraient les campagnes pour en désarmer les habitants. Enfin, le 11 mai au matin, l'émissaire expédié par l'archinavarque Tombasis ayant rapporté qu'il n'avait trouvé qu'une centaine d'hommes de bonne ! volonté au village de Lanyadèz, et rien ne répondant aux vœux de l'escadre, on résolut de retourner à Hydra.

Le temps n'avait pas encore donné aux Grecs la maturité nécessaire ! pour régulariser de grandes entreprises. Dès que leur armée navale avait paru à l'entrée du golfe Herméen, Smyrne, où les Crétois mahométans exercent la profession de boucher, devint le théâtre de leurs exploits sanguinaires. Chaque jour était signalé par les assassinats qu'ils commettaient; et les janissaires, sous prétexte de s'y

opposer, s'associèrent à leurs crimes, en faisant revivre un privilége par lequel la ville devait passer sous leur protection en cas de danger. Le gouverneur ayant consenti à cette demande, la place, livrée à une milice aussi cupide que féroce, fut en proie à leurs fureurs.

Jusque-là, les mesures étaient sages, les victimes étaient des raïas; et les créoles levantins, en les voyant périr, disaient: Heureusement ce n'est qu'un Grec. Mais, dans la nuit du 10 au 11 mai, cinq pêcheurs francs, protégés par des consuls qui n'en ont pas plus le droit que d'accorder des pavillons à des bâtiments étrangers, ayant été assassinés, la peur, ordinaire à l'égoïsme, obtint ce que l'humanité avait inutilement réclamé. Les consuls demandèrent satisfaction. La colonic européenne, composée en grande partie d'étrangers, établis sous le beau ciel d'Ionie, cria à la violation du droit public; on s'agita, on fit des notes officielles, et on respira en apprenant l'arrivée de je ne sais quel pacha de Césarée, chargé du rétablissement de l'ordre. Il était précédé, suivant l'usage, d'une grande réputation de sévérité, ce qui signifiait, en d'autres termes, qu'il aimait l'argent. Effectivement, après avoir destitué quelques subalternes, il finit par s'entendre avec les pillards, sans réprimer une anarchie funeste aux Grecs, espèce destinée, depuis la conquête de Constantinople, baigner de son sang les arènes du peuple antichrétien.

Chios, qui se glorifiait anciennement d'une période de sept cents ans pendant laquelle aucune de ses familles n'avait manqué à l'honneur; Chios, amollie par les richesses, était à peu près dans la même position que Smyrne. Le diacre Bambas et l'hétériste Thémélis avaient prêché dans le désert, en y parlant de patrie et d'indépendance. Les Chiotes, doux comme l'air suave qu'ils respirent, chérissaient l'indolence du despotisme. Ainsi, peu rassurés par le sacrifice qu'ils avaient fait de leurs armes, ils décidèrent de se remettre entièrement à la discrétion des Turcs. A la demande de leur archevêque Platon, et des notables de l'île, ils arrêtèrent qu'afin de se prémunir contre toutes les tentatives d'insurrection, on demanderait à la Sublime Porte un renfort de troupes pour mettre la citadelle à l'abri d'une entreprise, et tenir les campagnes sous le joug de l'obéissance.

'Nous nous servons ici des expressions du Spectateur oriental, journal pareil à l'Observateur autrichien, son écho, qui se constituèrent les apologistes des assassins des chrétiens.

On nomma ensuite une députation chargée d'aller porter au sultan cette expression de l'humble servitude des insulaires, qui se qualifiaient d'esclaves du harem impérial et du chef des eunuques noirs.

Elle partit; et les otages, les corvées, les réquisitions, qu'on exigeai bientôt, annoncèrent aux Chiotes les maux qui leur étaient réservés, s'ils avaient réfléchi sur la nature de ces présages, signes avant-coureurs de la vengeance du despotisme. Ainsi, ils tombèrent dans la faute de leurs aïeux, restés sourds aux avis des dieux', lorsque ayant envoyé à Delphes un choeur de cent adolescents, chargés de demander à l'oracle quel parti on devait embrasser, de celui de Xerxès ou des Athéniens, la peste moissonna les théores, à l'exception de deux des députés qui revinrent dans leur patrie. Le doute entre la cause de la patrie et celle de l'étranger avait été puni comme la démarche imprudente des Chiotes le fut plus cruellement encore. Apollon avait épargné deux des suppliants; le despotisme retint tous ceux de la moderne Chios dans les fers. Aucun d'entre eux ne revint annoncer à ses compatriotes que tout peuple désarmé est à la merci de ses tyrans, que l'occupation militaire emporte avec soi une tache d'infamie, quand elle est provoquée, et que l'étendard de la croix, arboré dans une partie de la Grèce, imposait à tous ses enfants le devoir impérieux de faire cause commune. Le grand otage du christianisme, Grégoire et ses hiérarques pendus en public, permettaient-ils à l'archevêque Platon de se flatter de sauver son église ? Les princes du Phanal, égorgés comme les familles arméniennes des Douch Oglou l'avaient été en 1816, à cause de leurs richesses, ne disaient-ils pas assez aux maisons opulentes de Chios que leur fortune ne leur appartenait plus que pour s'enfuir ou pour défendre leur pays? Ainsi raisonnaient les insurgés repoussés des rivages de Chios; mais n'anticipons pas sur le récit

'Hérodote, Érato, ch. 27.

2 Les ennemis des Grecs ont attribué aux Phanariotes les malheurs de la famille des Douch Oglou, parce qu'ils étaient catholiques : l'accusation est calomnieuse.

Le sultan avait accordé à la compagnie des Douch Oglou la régie des monnaies sous la présidence d'Abduraman, qui fut promu au poste de kiaya-bey ou ministre de l'intérieur. Son successeur, s'étant fait représenter les livres de compte, et ayant trouvé un déficit de dix millions, fit arrêter et emprisonner Douch Oglou. On découvrit, indépendamment de ce fait, qu'on avait frappé des pièces de monnaie à un titre inférieur à celui des ordonnances. Le kiaya-bey fut décapité, ainsi que les Douch Oglou, les frères Serkis et leur cousin Migriditsch, non parce qu'ils étaient coupables et dénoncés par les Grecs, mais pour s'emparer de leurs biens.

d'événements qui seront une source de larmes éternelles pour la Grèce entière, et le texte de reproches mérités contre les ministres des rois de la Sainte-Alliance.

Les Hellènes, électrisés au moment de l'insurrection, exaspérés lorsqu'ils apprirent le supplice ignominieux du chef de leur église, qui avait prié, en mourant, pour ses bourreaux, loin d'imiter l'exemple qu'il leur avait légué, de vaincre et de pardonner, ne comptaient plus leurs jours que par d'affreuses représailles contre l'ennemi de la croix. Le 13 mai, ils coulèrent à fond un bâtiment turc qui avait osé leur résister. Le 16, ils en forcèrent un autre à s'échouer au-dessous du village de Cardamya; et quelques juifs, embarqués sur un brick chargé de goudron dont les Grecs s'emparèrent, furent pendus, pour se venger des impiétés de leurs compatriotes de Constantinople. Le 19, l'escadre mit à la voile; les Psariens manœuvrant vers leur île, qu'il était urgent de mettre en état de défense, et les Hydriotes dans la direction de Lesbos. Arrivés à cette hauteur, ils y apprirent. par une barque venant du mont Athos, qu'un corsaire Psarien s'était emparé de deux leuces ou tartanes chargées de soldats albanais, qui se rendaient de Salonique en Morée, et ils lui remirent des proclamations pour les répandre dans les îles. Enfin, dans la nuit du 21 au 22, l'escadre opéra son retour à Hydra, où l'on ne tarda pas à voir entrer une multitude de prises faites sur les infidèles, surpris et accablés par une conspiration que l'impolitique de leur gouvernement avait rendue générale.

L'Archipel était en feu. La division navale de l'armée grecque, en croisière au milieu des Cyclades, qui forment une couronne d'îles autour de Délos, écueil maintenant solitaire, informée qu'une corvette de trente-deux canons, et un brick de la marine impériale du sultan, se trouvaient à Mélos, portant aussitôt le cap du côté de ce port, le plus spacieux de l'Archipel, surprit l'ennemi au moment où une partie de ses équipages se trouvait à terre. Les officiers, qui passaient joyeusement leurs loisirs aux dépens des insulaires, n'eurent pas le temps de revenir de leur étonnement. Attaqués à coups de pierres par les Méliens, ils se pressent vers la plage, où tout ce qui était Turc, pris entre deux feux, devint la victime de la fureur des Grecs.

L'insurrection fut aussitôt proclamée par une population de douze à quinze cents individus renommés jusqu'alors par leur apathie. Pas

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