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de ses diacres au quartier général de Khourchid. Là, après s'être saisi des présents qu'il portait, mais sans daigner lire les lettres patentes du sultan, qui l'autorisaient à exercer ses fonctions, Pachô-bey ayant insisté sur la nécessité de suivre l'exemple de la capitale, l'évêque ainsi que son diacre furent attachés aux fourches patibulaires dressées devant la tente du sérasquier.

Les jours suivants, on pendit à côté des deux martyrs trois hégoumènes ou prieurs des plus riches abbayes de l'éparchie de Janina, quatre religieux, deux ermites, plusieurs prêtres séculiers, et une foule de laïques qui tenaient un rang distingué dans l'Eglise.

On mit ensuite à la chaîne l'archevêque Gabriel, qu'on renferma dans le cachot réservé aux assassins, et on remplit les prisons de tous les prélats de la Romélie, qu'on se proposait de faire passer successvement par la main du bourreau. Enfin, pour récompenser l'auteur de ces conseils, on nomma le fils d'Ismaël Pachô-bey, qui était âgé de dix-huit ans, pacha de Prévésa, et son père reçut l'aigrette d'or qu'on décernait autrefois aux braves, mais qui n'est plus, de nos jours, que le prix de la perversité chez les musulmans dégénérés.

Le début de l'extirpation du christianisme dans la Grèce s'annonçait ainsi, quand le sérasquier, de l'Épire, qui aurait dû s'occuper, avan tout, de réduire Ali Tébélen, résolut d'attaquer les armatolis. Son projet était vaste. Les capitaines de la Hellade comptaient à peu près dix mille hommes sous leurs drapeaux; mais, répandus sur différents points de la Macédoine, de la Thessalie, de l'Étolie et de l'Acarnanie, comme ils ne présentaient aucun ensemble, ils pouvaient être assaillis avec succès par des masses dirigées contre leurs bandes isolées. Ils étaient jusqu'alors restés tranquilles, surtout dans l'Etolie et l'Acarnanie, malgré les suggestions des émissaires d'Ali-pacha, de Diacos, de Ger manos; et il fallait profiter de leur irrésolution pour les détruire, en feignant de travailler au maintien de l'ordre public dans leur pays.

On fit, en conséquence, partir pour le Xéromeros' un officier qualifié de gouverneur, qui, étant arrivé à l'Arta, écrivit aux premiers Etoliens que, son intention étant de se rendre à Vrachori, il les in vitait à lui préparer des logements pour trois cent cinquante hommes, chargés de veiller conjointement avec eux à la paix de leurs foyers. Le ton de sa lettre était paternel; la réponse des primats fut de le

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prier d'amener le moins possible de troupes dans un pays étranger à toute influence ennemie; et il consentit à ne garder que cent cinquante soldats, avec lesquels il se rendit au chef-lieu de son gouvernement où il fut bien accueilli.

Les douleurs de la patrie n'étaient encore qu'un songe pour les Etoliens des vallées, dont le beau côté ne fut jamais l'amour de la Grèce. Les montagnards, au contraire, qualifiés de brigands par les historiens de Rome, parce que la liberté fut toujours leur idole chérie, voyaient avec horreur l'apparition des Turcs, qui venaient d'égorger le patriarche ainsi que les prêtres que Khourchid avait fait pendre à Janina. Trois ou quatre capitaines d'armatolis, chargés des pouvoirs de leurs frères, se présentèrent seulement à la tête de quatre cents hommes pour saluer le toparque, qui n'osa pas, tant leur attitude était ferme, parler de l'ordre de déposer les armes, qu'il était chargé de leur notifier au nom du Grand Seigneur. Ainsi, ils retournèrent immédiatement dans les montagnes, et le gouverneur turc ne trouva bientôt de sûreté qu'en s'entourant d'un corps de huit cents hommes d'élite, qu'il fit venir en hâte.

Ce surcroît de troupes, au lieu d'améliorer sa position, ne tarda pas à la rendre plus embarrassante. Le peuple, aux dépens de qui les Turcs vivaient, commença à se plaindre; et les primats, ayant fait des réclamations qu'on ne daigna pas écouter, furent vus de mauvais œil de la part des mahométans et des Grecs. De leur côté, les armatolis, voyant grossir le noyau de l'armée musulmane qui s'organisait à Vrachori, se mirent sur une défensive si ombrageuse, que le gouverneur aposté pour les attaquer en traître, n'espérant plus y réussir, dut renoncer à toute espèce de stratagème. Chaque jour les bourgeois et les habitants de la plaine, excédés des mauvais traitements de ses soldats, fuyaient dans les montagnes et dans les bois. Des villages étaient abandonnés, et la désertion qu'il attribuait aux insinuations des armatolis, tandis qu'elle était le résultat de l'indiscipline de sa troupe, s'engagea à informer le sérasquier de ce qui se passait. A la suite de l'exposé des faits, il priait Khourchid de lui envoyer promptement trois ou quatre mille hommes, afin d'empêcher une insurrection qui prenait la marche de celles de la Livadie et de la Morée, qu'on pourrait, disait-il, prévenir, si on faisait de suite main basse sur les Grecs.

Cette proposition étant venue à la connaissance des armatolis, qui interceptèrent le courrier du toparque au gué de Stratos, les décida à

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persévérer de plus en plus dans leur système de défensive, sans donner aux infidèles le moindre prétexte d'une agression quelconque contre eux. Une semblable résolution fut regardée par les Turcs comme l'effet de la terreur inspirée par leur supériorité ; et au lieu d'attendre les renforts que leur commandant sollicitait, ils attaquèrent les armatolis. Alors, ceux-ci s'étant réunis en conseil de guerre, dans les escarpements de l'Apoclèistra1 lieu témoin, à différentes époques, des dé faites des Gaulois, des Romains, des Scytho-Slaves et des Turcs, il fut décidé de repousser la force par la force. On convint en même temps, pour rejeter l'odieux de l'agression sur l'ennemi, de ne pas le poursuivre au delà de la limite des montagnes, où le feu sacré de la liberté s'est conservé de toute antiquité parmi les belliqueux Etoliens de l'Agraïde. Tant de prudence, jointe à la bravoure connue des montagnards étoliens, ne pouvait que leur mériter des succès. La témérité des Turcs les portait à croire que les secours que ceux-ci attendaient ne devaient pas être éloignés, quand le chef qui conduisait les barbares prit soin lui-même d'éclairer les armatolis sur sa marche.

Une pareille inconséquence ne pouvait sortir que de la tête pleine de jactance d'un mahométan. C'était Ismaël Piassa, né dans les montagnes de l'Illyrie macédonienne, au voisinage du lac Lychnides, qui à peine descendu à l'Arta s'était empressé de donner connaissance aux Acarnaniens de l'approche de la division qu'il commandait. Il adressait aux primats l'ordre et le journal de sa direction jusqu'à Vrachori, où il comptait arriver avec quinze cents hommes.

Cette révélation ayant mis les capitaines grecs dans la confidence des plans de l'ennemi, George Varnakiotis, que le sérasquier Khourchid n'avait pas voulu prendre à son service, brûlant plutôt de se venger d'une injure personnelle que de servir la cause publique, marcha incontinent à la rencontre d'Ismaël Piassa. Il était accompagné de ceat

'Apoclèistra. Les Grees n'ont apprécié l'importance de cette position qu'en 1821 C'est une partie entièrement isolée du mont Callidrome, située entre les cantons de Cravari, d'Apocoro et de Carpenitzé. Sa position au milieu des précipices compresi | une étendue de cinq milles de développement. On y trouve des eaux vives qui almentent des moulins; un seul sentier, défendu par un fort, maintenant garni d'ar-¦ tillerie, y donne accès, et on y a établi un magasin de vivres. Enfin, pendant les invasions des Turcs, on y a donné asile à plus de cinq mille femmes et enfants, ains qu'à dix mille bestiaux, qui y ont trouvé des pâturages. Le commandant de ce poste inexpugnable est actuellement un nommé George Lelis, sur la fidélité duquel le gouvernement hellénique peut compter.

vingt-cinq palicares, avec lesquels il s'embusqua dans une forte position du Macryn Oros, en faisant dire aux armatolis d'Agrapha de se mettre en mesure de le soutenir. Cela fait, il attendit l'ennemi qui, s'étant imprudemment avancé, fut attaqué et contraint de se replier en désordre sur l'Arta, en laissant trois cent soixante et dix morts dans le défilé où il s'était fourvoyé.

Tel fut le premier succès que les Acarnaniens obtinrent avant d'avoir arboré l'étendard de la croix ; mais il n'était pas assez décisif pour refroidir le zèle d'Ismaël Piassa. Les armatolis, qui l'avaient connu dans les camps d'Ali Tébélen, honorèrent assez sa valeur pour lui opposer, dans une seconde entreprise qu'il forma, sept cents. hommes qu'ils envoyèrent au secours de Varnakiotis, sous la conduite de Cara Hyscos et de Stournaris, capitaines issus des races doriennes de l'Agraïde, si l'on peut ajouter foi aux traditions des Grecs indigènes. Ce renfort portant le bataillon de Varnakiotis à huit cents. soldats, ils ne firent pas difficulté de présenter le combat à Ismaël Piassa, dont le corps d'armée se montait à deux mille cinq cents hommes. Ils le battirent, et, prenant aussitôt l'offensive, ils le poursuivirent jusqu'à l'Arta, où ils eurent la gloire de le tenir bloqué pendant plus d'un mois, ainsi que trois vizirs qui accoururent à son secours.

Le sérasquier Khourchid, qui n'avait calculé que sur la victoire, était sorti des règles de sa sagesse ordinaire, en prenant une trop grande échelle d'opération, dans un pays qu'il ne connaissait qu'imparfaitement. Il avait été entraîné par les ordres de Khalet-effendi, qui lui écrivait sans cesse d'agir, de frapper, d'exterminer et de répandre la terreur, seul moyen de tenir les peuples courbés sous le joug de l'obéissance.

C'était aussi son inclination; mais, né Géorgien, quoique musulman dès l'enfance, il n'abhorrait pas les chrétiens avec la haine des fanatiques, dont la fureur ne le cède qu'au faux zèle des hypocrites qui se couvrent du manteau de la religion pour réussir à la cour des sultans. Ainsi, dès qu'il eut connaissance de l'insurrection de l'Acarnanie, il saisit cette occasion pour reculer sans honte, en faisant élargir les archevêques et les évêques qu'on avait entassés dans les prisons de Janina. Ils en furent quittes pour des avanies pécuniaires, tout Turc étant inflexible sur l'article de l'argent, au moyen duquel on ferait baptiser muftis et califes; mais il ne lui était plus possible de rappeler Omer Brionès, qui s'avançait vers les Thermopyles.

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Celui-ci s'était réuni, au delà du Pinde, à Méhémet, nouveau vizir, in partibus, de Morée, qui avait deux mille cinq cents hommes de milices irrégulières sous ses drapeaux. Ces forces, jointes à plusieurs contingents venus de la Macédoine transaxienne, lui composaient une division de huit mille soldats, avec lesquels il aurait pu, à cette époque où les Grecs tremblaient encore au seul nom des Turcs, obtenir des avantages considérables, s'il avait su modérer la fougue de son caractère. Mais, brave, impétueux, superbe, et féroce, Omer, qui aspirait à se signaler par le carnage, voulait avoir à lui seul la gloire d'écraser les rebelles de la Livadie. Il connaissait personnellement Diacos et Odyssée, qui avaient été, ainsi que lui, dans la haute domesticité d'Ali Tébélen. Il les détestait avec toute la cordialité d'un homme de vieille souche, indigné que des raïas osassent aspirer à une émancipation glorieuse. Ils avaient arboré l'étendard de la croix, signe de l'abolition de l'esclavage sur la terre! Cette idée le faisait écumer de rage. Jamais sang de renégat (car Omer descend des Brionès Paléologues, barons du Musaché, au temps de Roger, roi de Sicile et d'Épire) n'avait bouilli avec plus de violence dans les veines d'un

mécréant.

Laissant donc à Méhémet, pacha de Morée, le soin d'observer les mouvements de Jean Gouras et de Dyovounitis, chefs des insurgés du mont Othryx, il se dirigea du côté du Trachys. Arrivé à Thaumacos, il détacha neuf cents hommes auxquels il enjoignit de passer la Hellade six lieues au-dessus du pont qui porte son nom. Ils devaient s'enfoncer ensuite dans les forêts du mont Catavothra, et se trouver, à jour fixe, à Amblani, pour tomber sur les chrétiens, lorsqu'il les attaquerait de front, au passage ordinaire du fleuve, qu'ils s'étaient mis en mesure de lui disputer.

En effet, Diacos, informé de la marche d'Omer Brionès, l'attendait à la rive droite du Sperchius ou Hellada avec les cinq cents braves qui avaient conquis la Béotie. L'Hiérophante de l'antre de Tropho nius leur avait promis la victoire; ils étaient campés en vue da terrain jadis illustré par le beau trépas de Léonidas. Le Sperchius coulait devant eux; deux milles et demi vers le midi, ils étaient converts par le Dyras; et le pas des Thermopyles pouvait, en cas de revers, leur offrir une retraite dans laquelle ils se trouveraient en mesure de faire tête à l'ennemi.

On avait discuté ces chances, lorsque le combat commença entre

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