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les Turcs, cinq fois supérieurs en nombre, et les chrétiens qui résistaient depuis plusieurs heures, quand les barbares descendus du mont Catavothra les attaquèrent en flanc. Il n'y avait plus de retraite que du côté des marais qui environnent l'embouchure de la Hellada : alors les Grecs, se précipitant au milieu des ennemis avant qu'Omer Brionès eût pu franchir le pont, se firent jour en abandonnant soixante morts ou blessés, au nombre desquels se trouvait l'intrépide Diacos, appuyé sur le tronçon de son sabre, qui fut pris et empalé. Fuyant ensuite à travers les bois, ils arrivèrent, hors d'haleine, jusque dans les ressauts du Parnasse, où ils apprirent à Odyssée leur défaite et la perte de son ami. Celui-ci jura de le venger; et son esprit, fécond en ressources, ne tarda pas à trouver le moyen d'humilier Omer Brionès.

Au lieu de poursuivre les Grecs, Omer-pacha, qui avait perdu six cents hommes au passage du Sperchius, passa son temps à leur rendre les derniers devoirs, en ordonnant de laisser en proie aux bêtes féroces les cadavres des chrétiens tombés sous les coups de ses soldats. Puis, ayant mis garnison dans le kan de Hellada, il se rendit à Bodonitza, où il séjourna pendant une semaine entière, afin de donner le loisir d'arriver aux divisions qui manœuvraient, à ce qu'il croyait, de concert avec lui; et il s'avança ensuite vers le Céphise, en prenant une direction moyenne entre Salonne et la ville de Livadie.

Odyssée, qui suivait du haut du mont Parnasse ses mouvements, informé de la défaite d'Ismaël Piassa et des embarras de Méhémetpacha, que les bandes du mont Othryx avaient repoussé jusque dans les plaines de Pharsale, descendit aussitôt sur le plateau de la Béotie. Parti le 20 mai, au coucher du soleil, des hauteurs du mont Lycorée, il vint s'embusquer au kan de Gravia, non loin de l'emplacement de Panopée sur le Céphise, avec sept cents Phocidiens. Son but était de surprendre Omer Brionès, au passage de ce fleuve; et celui-ci, s'étant avancé le 21 au matin, fut attaqué avec une telle fureur par les Grecs, qu'il ne parvint qu'avec peine à les débusquer de la position qu'ils occupaient. Alors Odyssée qui voulait, à tout prix, couvrir la position de Livadie, fit un mouvement du côté de Chéronée ou Capournia, qu'il dut abandonner avec perte, après avoir soutenu le combat jusqu'à la nuit. Il fut battu, et les Hellènes, qui s'étaient couverts de gloire dans cette journée malheureuse, firent retentir les forêts de la Phocide du refrain de cette lamentation antique : O Chéronée, village fatal, ne publie jamais notre défaite! Héros,

gémissez dans vos tombeaux, nous avons été vaincus près de Platée !!

Les combats de Gravia et de Capournia avaient coûté la vie à sept cents Turcs et à cent soixante et douze Grecs. Omer Brionès, qui avait reçu quinze cents hommes de renfort, tirés des bourgades de la Béotie où il se trouvait des mahométans, s'avançait vers Livadie quand Odyssée, qui avait réuni les palicares de Diacos, deux cents Grecs d'Amphise, cent montagnards du Tithorée, aux levées en masse des chrétiens de Platée (Côcla), de Delphes (Castri) et d'Arachova, reparut à la tête de deux mille cinq cents hommes, en vue du champ de bataille qu'il avait perdu l'avant-veille.

L'étendard de la croix flottait au milieu de ses bandes empressées de laver dans le sang des infidèles la honte de la défaite qu'ils avaient pleurée avec tant d'amertume. Il attaque brusquement les Turcs, étonnés de revoir ceux qu'ils croyaient dispersés. Ils poussent de longs hurlements, en faisant retentir les échos de leur cri de guerre: Il n'y a d'autre dieu que Dieu et Mahomet est son prophète ! Les Grecs y répondent par le Kyrie Eleison, signal ordinaire du danger, soit qu'ils marchent à l'ennemi ou qu'ils tombent sous ses coups; car le Seigneur est toujours présent à leur pensée. Odyssée se précipite, avec la rapidité de l'aigle, sur les Turcs, que leur chef, non moins intrépide, ramène vingt fois à la charge; mais ils doivent céder: la croix triomphe! Les infidèles sont repoussés au delà du Céphise; poursuivi l'épée dans les reins, Omer Brionès se trouve prévenu au passage de Tourco-Chori, village que les chrétiens avaient occupé sur ses derrières. Il prend le chemin de Talante, et celui qui s'était vanté de porter le fer et le feu jusqu'à Athènes, regagne pendant la nuit la petite forteresse de Bodonitza: le génie du mal lui réservait plus tard les succès barbares qu'il lui refusait dans cet instant.

Odyssée, content de tenir Omer Brionès bloqué dans le château de Bodonitza par un millier de paysans auxquels il laissa le soin de lui couper les vivres, se porta aussitôt vers la Phocide.

Aux premiers bruits de l'insurrection du Péloponèse, les musulmans exaspérés avaient fait main basse sur les chrétiens de Salone et de sa banlieue. Les cantons de Lidoriki et de Malandrino étaient ouverts à leurs incursions, jusqu'aux confins de la Locride hespé

Vid. Dionys. Miles, apud Philostrat., lib. I.

* Bâtie en 1208, par le sire Guillaume de Champagne.

rienne, qui n'attendait qu'un signal pour arborer le labarum de l'indépendance. Les familles grecques réfugiées au milieu des glaciers du Parnasse et du mont Tithorée invoquaient le secours d'un libérateur. Il était aussi urgent de les sauver que politique de compléter l'insurrection de cette province.

Odyssée, ayant conduit au voisinage de la fontaine Castalie son armée qui était de cinq mille hommes depuis ses succès, s'empara du château d'Arachova, que les mahométans avaient restauré depuis quelques mois. Les Phocidiens abhorraient trop les beys qui ont succédé, dans la possession de cette place, aux nobles sires de Saint-Omer et de la Trémouille, pour ne pas exercer de sanglantes représailles contre ces meurtriers de leurs familles. Cent cinquante Turcs furent passés au fil de l'épée, au milieu des ruines d'Arachova, château de tout temps exposé aux coups des conquérants qui ont envahi la fertile Livadie. On se porta incontinent vers Salone; et en passant à Crissa, contrée autrefois dépendante du temple de Delphes, possédée dans les temps modernes par la famille française de Néville, comme on y apprit que les Turcs avaient assassiné l'évêque de cette éparchie, on jura de venger sa mort. Les barbares s'étaient réfugiés dans l'acropole d'Amphise, et les Grecs, commandés par un nommé Panorias 2, l'ayant emportée après douze jours de siége, exterminèrent tous les mahométans, à l'exception d'un bey qui se fit chrétien avec sa famille.

Comme un incendie qui, après avoir dévoré les moissons, embrase les forêts, le récit des exploits d'Odyssée et de Panorias, volant de bouche en bouche, fit éclater l'insurrection jusque parmi les peuplades des plateaux supérieurs du Parnasse et du mont OEta. Le même jour, sans aucune de ces hésitations qui décèlent la crainte de se compromettre, les habitants des cantons de Padradgik où fleurit Hypate, ceux de Cravari, de Lidoriki, de Malandrino, de Venetico, qui formaient anciennement la Doride, la Locride hespérienne, et l'ÉtolieÉpictète, secouèrent le joug de leurs oppresseurs. Des éphores, nom

Arachova. Bourgade située au pied du mont Parnasse, 4 milles E. de Delphes. On y compte quatre églises dédiées à la Vierge, à saint George, saint Démétrius, et saint Nicolas. Sa population est de 1500 habitants chrétiens.

? C'est le même qui répondit aux Turcs, dont une des conditions pour se rendre était de conserver leurs armes : Eh! infidèles, c'est pour ces misérables ferrailles que je me bats. Mém. de M. Voutier, page 194.

oublié dans la Grèce, remplacèrent les codja-bachis; le bonnet de raïa fut foulé aux pieds et le croissant renversé dans tous les lieux où il existait des mosquées. Une nouvelle ère commença pour l'Étolie.

On l'inaugurait quand, l'avant-garde de l'armée navale d'Hydra déployant la bannière de la croix, le 7 juin, à la hauteur du promontoire Araxe, Missolonghi, Anatolico s'insurgèrent, et les Turcs furent bientôt cernés à Vrachori. Ainsi la Hellade, depuis les Thermopyles jusqu'au golfe Ambracique, se trouva sous les armes et victorieuse des deux divisions turques, qui s'étaient flattées de porter un coup mortel à la rébellion.

Khourchid-pacha comprit, en homme accoutumé aux vicissitudes de la fortune, qu'il devait tirer de sa position le moyen de ressaisir des avantages qui dépendaient de la célérité qu'il mettrait à terminer le siége des châteaux de Janina. Il n'avait jamais compté sur l'assistance de la Porte, qu'il connaissait trop bien pour se fier aux promesses de ses ministres, et il devait espérer moins que jamais qu'elle le soutiendrait. Les secours en hommes et en vivres, que Moustaïpacha lui promettait depuis trois mois, n'arrivaient pas. Il avait réussi à déloger les Souliotes du kan des Cinq-Puits; mais à peine était-il dégagé de ce côté, que l'insurrection de l'Acarnanie l'avait obligé de renforcer la garnison de Calaritès, dans le Pinde, où les armatolis d'Agrapha pouvaient se porter. L'impolitique de Pachô-bey avait éventé trop tôt les projets du divan contre les armatolis, avec lesquels il n'y avait plus aucun moyen de rapprochement. En vain Tchellacova, primat de l'Agraïde, était resté fidèle, tous les villages de l'Achélous étaient armés. Il fallait donc encore tenter une diversion du côté de l'Acarnanie, et le sérasquier envoya l'ordre à Békir Dgiocador, gouverneur de Prévésa, de se porter à Vonitza, afin de tomber sur les derrières de Varnakiotis qui bloquait Arta, et de l'obliger à faire un mouvement rétrograde. Pour lui, il se prépara à emporter le château de Litharitza, dont la possession, jointe à celle de l'île où il avait fait élever des redoutes, le mettrait à même de battre la forteresse du lac et d'accabler Ali-pacha.

D'après ce plan, on ouvrit, le 5 juin, un feu continuel contre le front méridional du château de Litharitza; et la brèche étant praticable dans une étendue de sept toises environ, on se décida à donner l'assaut le 8 au matin. Les troupes marchèrent hardiment dès que le sérasquier eut donné le signal d'aborder le rempart; elles firent des

prodiges de valeur; mais au bout d'une heure de combat, Ali Tébélen, porté sur un brancard à cause qu'il était tourmenté de la goutte, ayant fait une sortie, les assiégeants, forcés de céder, regagnèrent précipitamment leurs lignes, en laissant au pied du rempart trois cents morts. L'Ours du Pinde, fit dire le vieux satrape Ali-pacha à Khourchid, vit encore; tu peux envoyer prendre tes morts pour les enterrer; je te les rends sans rançon, et j'en userai toujours de même, quand tu m'attaqueras en brave. Puis rentré dans sa forteresse aux acclamations de ses soldats, il dit en apprenant l'insurrection de la Hellade et des fles de l'Archipel : Deux hommes ont perdu la Turquie; c'en est fait ! En vain on voulut tirer de lui l'explication de cette sentence prophétique, il garda le silence, et se retira dans sa casemate auprès de l'ange consolateur de sa vieillesse et de ses douleurs.

Ali n'avait point témoigné cette allégresse qu'il manifestait après ses succès; et dès qu'il se trouva seul avec Vasiliki, il lui apprit, en pleurant, la mort de Chaïnitza. Une apoplexie foudroyante avait frappé cette sœur chérie, l'âme de ses conseils funestes, dans son palais de Liboôvo, où elle avait vécu respectée jusqu'à son heure suprême. Elle avait été redevable de cette faveur insigne à ses richesses et à la recommandation de son neveu Dgéladin, pacha d'Ochrida, que le sort réservait à clore la pompe funèbre de la race criminelle de Tébélen. La garnison fut informée, le jour suivant, de cet événement, qui lui expliqua le motif de l'indifférence de son vizir pour une victoire qu'il ne regardait peut-être déjà plus que comme un sursis à son arrêt fatal. Quelques mois après, Ibrahim, pacha de Bérat, mourut empoisonné; c'était la dernière victime que Chaïnitza avait demandée depuis longtemps à son frère.

Le sérasquier Khourchid, qui avait transmis à Ali la nouvelle de la mort de sa sœur, avec des ménagements dignes d'éloge, éprouvait des chagrins non moins réels. Indépendamment de ce qui se passait en Grèce, où sa famille entière, qu'il avait laissée à Tripolitza, se trouvait bloquée, il venait d'apprendre que Békir Dgiocador avait échoué dans la tentative de diversion qu'il lui avait prescrite. Les habitants de Vonitza, informés qu'on avait assassiné sans motif leurs otages, s'étaient enfuis, à son approche, dans les forêts du mont Berganti. Il avait été battu en voulant les poursuivre, et après avoir en quelque sorte vu prendre sous ses yeux, par les Grecs acarnaniens, les forts de Playa et du Tekè, qui sont situés au bord du Nérite de Leu

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