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trente-deux canons à lui opposer, elle prend la fuite vers les Dardanelles de Lépante.

Le consul de France, abandonné à lui seul, se rend à bord de la frégate l'Ariège, d'où il voit les deux navires grecs braver le feu des châteaux, franchir, sans daigner leur répondre, le détroit et attaquer les Turcs sous le canon de Lépante. A sept heures du soir on découvre seize navires chretiens; à neuf heures ils mouillent en rade, en laissant la frégate française entre eux et la volée du château de Patras. Le capitaine de Leuil ayant alors hélé le brick amiral, celui-ci lui répond: Nous sommes Grecs; nous venons d'Hydra pour secourir nos frères! Nous savons que vous êtes Français, nous sommes vos amis !

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Nous sommes Grecs! A ces mots la ligue achéenne sembla sortir de ses tombéaux héroïques. Nous sommes Grecs aussi, répondirent les insurgés aux dauphins des mers en allumant une multitude de feux sur les hauteurs du mont Panachaïcos. La nuit fut ensuite employée à veiller, à prier l'Éternel de compatir aux efforts d'un peuple malheureux, et une heure avant le jour les Hydriotes, vermeils comme l'aurore qui commençait à colorer les coupoles aériennes du Parnasse, appareillèrent. C'était la première escadre, voguant sous le pavillon de la croix, que la mer de Lépante s'enorgueillissait de porter, depuis l'immortelle victoire de don Juan d'Autriche, qui confondit l'orgueil du croissant. Au lever du soleil, elle avait engagé une vive canonnade avec les châteaux de Morée, qu'elle dépassa à six heures du matin, sans recevoir aucun dommage. A sept heures on apercevait les vaisseaux grecs combattant en groupe devant le château du cap Antirrhion, tandis qu'une autre partie cinglait à l'orient.

Épouvanté du bruit de la canonnade, Jousouf-pacha envoya demander des nouvelles au consul de France qui était revenu à terre; il lui fit ensuite notifier à deux heures après midi, ainsi qu'à ceux d'Angleterre, d'Autriche et d'Espagne, qu'il cessait de répondre de leur sûreté et qu'il était décidé à incendier leurs demeures. Ils durent alors se retirer non sans danger, et la frégate l'Ariège reçut sous le pavillon du roi, qui avait sauvé tant de victimes, les légations consulaires des monarques chrétiens. A cinq heures du soir une nouvelle escadre grecque était en vue, avec une flottille de barques chargées de soldats, qui s'avançaient en présentant à la brise leurs voiles aussi

'Surnom des Hydriotes; je l'ai déjà dit ailleurs.

blanches que le plumage des cygnes qu'on voyait autrefois voguer sur l'Eurotas. Ils entouraient divisés par peuplades les bricks qui se ralliaient à leur vaisseau amiral, au mât duquel flottait l'étendard auguste du roi des rois. Le cortége belliqueux s'étant approché de la plage, le combat que les chrétiens commencèrent avec les infidèles ne prit fin qu'avec la nuit, qui ne laissa plus voir que les flammes des métairies de Patras, auxquelles les Schypetars guègues avaient mis le feu avant de céder le terrain aux Grecs.

A une heure après minuit, M. de Leuil, capitaine de l'Ariège, mit à la voile, en convoyant trois bâtiments autrichiens, deux anglais et un espagnol. A l'aube, les consuls revirent leurs pavillons, qu'ils avaient laissés à la garde de quelques agents. Celui de France avait été confié au révérend Antipa, ecclésiastique vénérable, que les per sécutions du général Campbell avaient frappé, en 1809, d'un décret de proscription; ne pouvant rentrer dans sa patrie, il avait demandé à mourir sous le pavillon de France! A mesure que le jour croissait on découvrait de nouveaux vaisseaux, qui apparaissaient comme ces étoiles qu'on voit pendant la nuit s'éteindre à l'occident, tandis que d'autres surgissent à l'orient pour repeupler les cieux.

En perdant de vue l'escadre masquée par le cap Taphias, où les anciens plaçaient le tombeau de Nessus, on retrouvait la tête de la ligne qui formait un cercle depuis l'embouchure de l'Événus, en se prolongeant à travers les pêcheries de Missolonghi jusqu'aux Oxyes, Laertia regna. Elle passait de là sous le vent de Céphalonie et de Zante pour aboutir au promontoire de Cyllène. Cette chaîne navale qui communiquait entre elle par des signaux retombait, en longeant le rivage de Dyme, sur le cap Araxe, pour former le blocus de l'Achaïe, où l'ennemi réduit à l'acropole de Patras ne devait pas tarder à succomber. Déjà sa reddition prochaine était annoncée à Salone et à Corinthe par les Hydriotes maîtres de la navigation du golfe de Lépante. Des courriers ayant traversé l'isthme jusqu'à Cenchrée, en portèrent la nouvelle aux croiseurs de Psara qui se trouvaient dans le golfe de Saros. A quatre heures après midi, la frégate l'Ariège donna fonds à Zante, où les Ioniens l'accueillirent ainsi que le consul du roi avec une cordialité, que la réserve qu'ils étaient forcés de garder, ne leur permit pas de manifester par des transports d'allégresse.

Sur ces entrefaites la révolution qui avait éclaté à Missolonghi et à Anatolico, lors de l'apparition des premiers vaisseaux sortis d'Hydra,

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s'étant grossie de tous les paysans de la campagne de Lélante et des montagnes de Calydon, les Grecs réunis au nombre de six mille franchirent le mont Aracynthe. Furieux d'apprendre le massacre des prêtres de plusieurs villages qu'ils traversèrent, ils mirent le feu au quartier turc, ainsi qu'aux mosquées, en entrant à Vrachori, et les infidèles épouvantés par ces représailles inattendues, se retranchèrent dans la maison du vaivode, où, bloqués, et après avoir épuisé leurs provisions de blé, ils demandèrent à capituler pour eux et pour les juifs leurs auxiliaires.

On leur accorde la vie sauve, sans autre stipulation, et les sectateurs de Moïse ainsi que ceux du prophète, se trouvant prisonniers à discrétion, furent déclarés raïas, et conduits coiffés d'un bonnet de coton dans l'île d'Anatolico, où on les employa à différents travaux publics. Enfin les mahométans de Zapandi, bourgade voisine de Vrachori, s'étant soumis aux mêmes conditions, l'affranchissement de l'Etolie fut accompli.

Les Hydriotes, informés de ces succès, conseillèrent alors aux habitants de Galaxidi d'abandonner le golfe de Crissa, et de se transporter à Missolonghi. Ils insistaient sur le danger de leur position dans une mer close par des forteresses qui pouvaient leur en fermer la sortie. « Alors, leur écrivaient-ils, vous vous trouverez à la merci » de la première escadre turque qui voudra vous brûler. Nous » sommes aujourd'hui maîtres de la mer; mais sa possession entre » des mains plus puissantes que les nôtres est incertaine. Chargez >> donc vos familles et vos meubles sur vos vaisseaux. Emportez les >> images et les reliques de notre culte. Nous vous frayerons le che» min de la retraite, et, arrivés à Missolonghi, votre marine s'unira à » la nôtre pour combattre l'ennemi commun, tandis que votre popu»lation ajoutera de nouveaux défenseurs à une place maritime, qui

doit devenir le centre de nos opérations. » Ces conseils n'étaient pas de nature à être compris par les marins égoïstes de la Locride Ozole. Ils se flattaient d'être respectés en restant neutres, et ils s'obstinèrent à demeurer tranquilles, sans penser à fortifier l'entrée d'un des plus beaux ports creusés par la nature.

Indépendamment de ces funestes considérations, les Galaxidiotes étaient entretenus dans leur aveuglement par le mauvais état des affaires des Turcs patréens, qui tentèrent inutilement de repousser les Grecs, dans les journées des 7 et 8 juin. Après ce double échec,

la division avait éclaté parmi la garnison de Jousouf-pacha. Les Schypetars, race turbulente, s'étaient mutinés en demandant leur paye et du pain, et on n'était parvenu à les calmer qu'en leur promettant, dans un bref délai, argent, munitions et secours, choses qui ne pouvaient venir que de l'étranger auquel on s'était adressé. Cependant le moment pressait, car les Hydriotes, après avoir coulé deux bricks turcs, avaient débarqué du canon, et ils serraient le château de Patras de manière à couper bientôt ses communications. On y manquait de vivres depuis deux jours, lorsque Jousouf prit le parti de détacher huit cents hommes commandés par Ismaël-bey d'Avlone, neveu du malheureux Ibrahim-pacha de Bérat, qui fit une trouée jusqu'à Lépante et parvint à ravitailler la place pour trois semaines.

Je ne puis, dit Hérodote 1, dans des circonstances pareilles à celles que je rapporte, donner pour certain, ni l'envoi d'un héraut de Xerxès à Argos, ni ce qu'il fut chargé de dire, mais ce qui est hors de doute, c'est qu'indépendamment de ce qu'on tramait contre les Grecs dans les îles Ioniennes, ils avaient été condamnés d'avance par l'implacable politique de l'Autriche. En dénaturant la sainteté de leur cause, on avait voulu décider les rois à les abandonner, et aucune voix généreuse, pareille à celle qu'Artaban, fils d'Hystaspe2, éleva jadis dans le conseil de Suze, ne fit entendre dans le conseil des souverains ces paroles adressées à Mardonius, ministre du grand roi, qui nous ont été transmises par le père de l'histoire : « Ne parlez pas avec tant de » mépris des Grecs; la calomnie est ce qu'il y a de plus odieux. Elle >> rend toujours deux personnes coupables d'une grande injustice, et >> malheureuse une troisième sur qui retombe une double injure. Car >> le calomniateur, en accusant celui qui n'est point présent pour se » défendre, est coupable, aussi bien que celui qui croit l'accusation » avant de s'être convaincu qu'elle est vraie; et, en même temps, » celui qui est l'objet de la calomnie reçoit des deux autres une égale » injure de l'un qui le calomnie, et de l'autre qui croit le mal sur » la foi du délateur qui l'a débité. »

En effet, certains publicistes salariés s'étaient acharnés à frapper les Hellènes d'une affreuse réprobation! Leur insurrection était un crime de lèse-majesté, disaient-ils, sans se rappeler qu'aux temps

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qu'il plaît à notre orgueil de qualifier de gothiques, des rois s'honorèrent de soutenir les efforts généreux des Suisses et des Pays-Bas, dont l'injure n'était pas aussi motivée que celle des Grecs. Mais tel était l'aveuglement de l'esprit de parti, qu'on ne voulut pas considérer indépendamment de cela, que l'Europe ne s'est pas trouvée compromise par l'émancipation de l'Helvétie et de la Hollande, et que, pour cesser d'être régies arbitrairement, ces contrées ne tiennent pas un rang inquiétant au milieu des sociétés civilisées. Ces réflexions. faites par des juges impartiaux auraient suffi pour laisser entrevoir que les Grecs essentiellement commerçants, ne reparaîtraient sur la scène de leur patrie que pour y relever les autels du vrai dieu, à côté du foyer des sciences et des ateliers de l'industrie qui distinguèrent leurs ancêtres.

Ces considérations n'échappaient pas à l'œil pénétrant des Anglais; mais persuadés que le mouvement général des Grecs avait reçu son impulsion de la Russie, ils s'étaient prononcés contre leur affranchissement. Jusque-là cependant, leur animadversion n'avait été dirigée que par des intrigues particulières, qui donnèrent lieu à une mesure funeste aux insurgés.

Les Hydriotes qui croisaient devant Patras, afin de protéger l'armée de terre qu'ils avaient débarquée, ayant visité deux barques Zantiotes appartenant au consul anglais Green, acquirent la preuve de ses intelligences avec Jousouf-pacha. Une lettre criminelle, renfermée dans le manche d'un aviron, fut saisie par l'amiral grec, et l'émissaire chargé de jouer le rôle d'espion de son armée ayant été pendu, on resta sur le qui-vive. On avait en main la preuve que les Anglais étaient des ennemis déclarés ; qu'ils allaient arriver en rade de Patras, et il fallut retirer l'escadre qui croisait dans le golfe de Corinthe.

On rappela les bricks qui y étaient engagés, et on vit en conséquence, le 27 et le 28 juin, passer en vue de Zante, deux divisions navales grecques qui faisaient voile pour le Levant, au moment où le vaisseau de S. M. B. le Cambrian appareillait pour se rendre à Patras. On disait publiquement qu'il allait châtier les Grecs qui s'étaient permis de faire pendre un espion privilégié, et de visiter deux barques couvertes du pavillon britannique. Le consul anglais s'embarqua à bord; sa tendresse intéressée pour les Turcs, la haine qu'il portait aux Hellènes et aux Russes, n'annonçait rien que de

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