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sinistre, à moins que le capitaine du Cambrian ne fût supérieur à ses ressentiments, qu'il sut effectivement tempérer, en empêchant l'effo sion du sang.

On s'abstint ainsi de tirer des Grecs une vengeance inique, mais on leur fit presque autant de mal en leur arrachant le prix de la victoire qu'ils étaient au moment d'obtenir. Le Cambrian fut reçu en ami par les châteaux qui défendent l'entrée du golfe de Corinthe, quoique l'accès en fût interdit à toute espèce de bâtiment de guerre étranger. Cette circonstance fut regardée par les chrétiens comme le signe d'une alliance entre la Grande-Bretagne et la Porte Ottomane. Pouvait-on en douter lorsqu'on le vit visiter le port de Galaxidi, et débloquer la division navale turque que les chrétiens étaient sur le point de capturer? Enfin la chose parut évidente quand deux transports, qui avaient navigué sous son convoi, introduisirent dans le château de Patras cent soixante et seize barils de poudre, de vivres, et, dit-on, même des artilleurs. Non content de rendre ce service aux infidèles, le capitaine de la marine royale d'Angleterre reparut le 3 juillet sur la rade de Zante, avec les vaisseaux turcs qui jetèrent l'ancre à ses côtés, en présence de tout un peuple justement irrité d'une partialité aussi révoltante. Ainsi débarrassé, Jousoufpacha n'eut pas plutôt vu les Grecs se réfugier, pour la seconde fois, dans les montagnes, qu'il conçut le projet de ravitailler l'Acroco rinthe, et de secourir les Laliotes du mont Pholoé.

Cette détermination nous oblige de mettre sous les yeux du leɛteur l'état de la Morée à cette époque, afin qu'il puisse juger de l'étendue des maux que l'expédition du vaisseau le Cambrian fit à la cause des chrétiens, et les moyens que ceux-ci mirent en œuvre, pour ressaisir une partie des avantages qu'ils venaient de perdre.

Dès le commencement d'avril, les Turcs surpris par une insurreetion, qui était le résultat des fureurs de la Porte et de leurs déprédations, avaient été réduits à se renfermer dans les forteresses de la Morée sans approvisionnements de siége. Ils devaient succomber, et les premiers qui demandèrent à capituler furent ceux d'Arcadia, place fortifiée, bâtie au couronnement des montagnes qui dominent la plage inabritée du golfe cyparisien. Ceux des barbares qui n'avaient pu se sauver à Navarin, obtinrent la faculté de se retirer à Tripolitza, sous l'escorte de deux cents Grecs soulimiotes du mont Evan. Philatra et Gargaliano, situés sur la rive messénienne qui fait face à

la mer de Libye, furent immédiatement occupés par les insurgés, dont les bandes se dirigèrent ensuite vers Navarin, qu'elles bloquèrent.

Idris-bey, qui commandait cette forteresse, entraîné par le fanatisme de ses conseillers, s'était mis dans l'impossibilité de traiter avec les Grecs, en faisant pendre plusieurs ecclésiastiques de la ville et des environs. Il songea donc à se défendre, et les insurgés ayant coupé les aqueducs qui conduisent l'eau depuis la source de Pylos jusqu'à la ville, la garnison se trouva bientôt réduite à boire l'eau saumâtre de quelques puits, qu'elle creusa dans l'enceinte de la place.

Au même instant, les chrétiens du faubourg de Modon qui ne se trouvaient pas en forces suffisantes pour résister à leurs maîtres, conduits par leur évêque, prirent le parti de se joindre aux Grecs campés devant Navarin. Les villages de la contrée appelée l'Olivaie s'étant réunis, se mirent à leur tour en mesure de surveiller les mouvements des Turcs de Coron, race superbe et farouche, qui ne quitta la campagne qu'à l'approche des Eleuthero-Lacons du Magne.

Les bandes de ces montagnards, composées en grande partie des pirates de Nèzapos et des Cacovouniotes, se laissèrent bientôt battre par les Turcs, à qui il suffisait de faire sortir cinquante hommes pour les mettre en fuite. Elles prirent alors la résolution de se payer par leurs mains des frais de leur expédition : « afin, » disaient-elles, a de ne pas laisser au pouvoir des infidèles les biens de leurs frères, » il était naturel qu'ils se les appropriassent? » Ainsi les papas du Magne qui n'ont, comme leurs ouailles, conservé des préceptes de l'antiquité que l'esprit du brigandage, ayant permis le pillage, les Maniates, venus pour combattre les Turcs, firent, au préalable, main basse sur le quartier grec, d'où ils emportèrent meubles, fenêtres, portes, planchers, et jusqu'aux tuiles des maisons. Ils chargèrent plusieurs barques de ces dépouilles, avec lesquelles ils se retirèrent dans leurs montagnes, en déclarant aux insurgés qu'étant libres depuis longtemps ils vivraient à leur guise et ne prendraient part à l'émancipation de la Grèce qu'autant qu'on payerait leurs services. Vainement on leur parla de religion, de patrie, et de l'injustice qu'il y avait à voler leurs coreligionnaires; ils furent sourds à ces considérations, et ils s'éloignèrent en se moquant des foudres spirituelles de l'évêque de Christianopolis, auquel ils répondirent « que, s'il les >> excommuniait, ils trouveraient chez eux des évêques qui les relè¬

>> veraient, à bon compte, de toute espèce d'anathème passé, présent » et à venir. >>

Cette conduite des peuplades anarchiques du Magne était loin d'être conforme aux résolutions d'un sénat ou gérousie provisoire, qui venait de s'organiser à Calamate, sous la présidence de Pierre Mavromichalis-bey, bagou du Magne.

Un port majestueux, pareil à celui des races héroïques; de beaux traits, animés par le coloris que donnent les habitudes des montagnards qui vivent dans les régions méridionales; un son de voix écla tant, auraient annoncé, en le voyant, que Pierre Mavromichalis était le monarque de l'Eleuthéro-Laconie, si ses manières n'avaient averti qu'il était le premier entre ses pairs, comme sa bravoure prouvait qu'il n'était que le frère d'armes de tous les Lacons belliqueux. Descendu à Calamate dès que le cri de liberté eut retenti dans le Péloponèse, il avait hésité pendant quelque temps à compromettre le salut de la république militaire du Magne, dont les franchises étaient reconnues par la Porte-Ottomane. Il avait fait preuve de sa fidélité au sultan, en ordonnant l'enrôlement de plusieurs compagnies franches, que le capitan-bey avait embarquées pour servir contre Ali-pacha. Il venait récemment de donner d'autres gages au vizir de Tripolitza, en remettant entre ses mains plusieurs enfants des principales familles de la Laconie, et en conseillant à quelques évêques d'obéir à la sommation qui leur avait été faite, de se rendre à Tripolitza. Ainsi, d'accord avec les chefs aux yeux noirs 1 de Calamé, du Stényclaros, d'Armyros et d'OEtylos, il avait cherché à ouvrir des négociations amicales auprès du kiaya de Khourchid-pacha.

Il lui redemandait les otages du Magne et de la Messénie, pour prix de sa neutralité. Rien n'était plus légitime, puisqu'il n'aspirait qu'au maintien de la paix, et ce ne fut qu'après avoir été informé qu'on les avait chargés de fers, qu'il souleva les capitaineries des vallées orientales de l'Eleuthéro-Laconie. Elles exercèrent de cruelles représailles contre les Turcs qui habitaient dans la vallée de l'Eurotas, et depuis cette époque les Maniates, informés de la mort du patriarche Grégoire, avaient juré guerre éternelle aux Turcs, en arborant le labarum dans la partie du Taygète qu'on appelle Pente

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Małpa dμμária; c'est le rom générique qu'on donne aux Grecs de Calamate. Voyez tome V de mon Voyage.

1

Dactylon. On y avait relevé les autels consacrés au prophète Élie, dont le culte a remplacé partout celui de Phébus Apollon, et l'évêque de Cariopolis avait excommunié, avec les cierges noirs (symboles du grand anathème), quiconque parlerait désormais de rapprochement avec les mahométans, quand on vit arriver à Calamate les députés de l'Achaïe.

L'archevêque Germanos avait résigné le commandement de l'armée à Colocotroni, pour remplir des fonctions plus analogues à son ministère que le métier de la guerre dans lequel il n'avait eu d'autre guide que la nécessité de porter les Grecs à la défense de la religion et de la patrie. Il amenait avec lui, au congrès de Calamate, les primats de Patras et ceux de l'Arcadie, avec Coletti de Syraco dans le Pinde.

Le prince Démétrius Hypsilantis, que son frère Alexandre avait si souvent annoncé aux Valaques comme devant arriver à leur secours, venait de débarquer à Hydra. C'était, disait-on, un homme sage, brave de sa personne, auquel il ne manquait que d'avoir un autre extérieur pour en faire un chef convenable aux Grecs. Il annonça les désastres des provinces ultra-danubiennes; la trahison de Sava, que les Turcs avaient poursuivi jusque sur le territoire autrichien, où il s'était réfugié en se sauvant dans la ville d'Hermanstadt. Il leur apprit en même temps que le brave George l'Olympien s'était dévoué au salut de la patrie, en faisant une guerre de partisan dans les montagnes de la Moldavie, où il espérait occuper les Turcs assez longtemps pour donner le moyen à l'insurrection de la Grèce de se consolider. Il ne leur dit rien de l'assistance de la Russie 2, malgré toutes les apparences d'une rupture, et il tâcha de leur faire comprendre qu'un peuple qui aspire à s'affranchir doit en puiser les moyens dans son patriotisme; car sans cela il ne fait que changer de maître, sans jamais parvenir à remonter au rang des nations. Il aurait pu leur citer l'exemple de la Pologne, en opposition avec la conduite de la Suisse et de la Hollande, auxquelles on peut comparer la Grèce hérissée de montagnes, coupée par des golfes profonds, entourée des îles de l'Archipel, qui lui assurent le domaine de la mer,

1 Voyez tome IV, page 461, de mon Voyage dans la Grèce.

2 Ce fut plus tard que D. Hypsilantis se donna aux Grecs comme un personnage très-important à la cour de Russie, mais il ne tint ce langage qu'après son débarquement dans le Péloponèse.

et une supériorité décidée sur leurs oppresseurs. Il fit palpiter leurs cœurs aux souvenirs glorieux de leurs ancêtres; il amenait plusieurs officiers allemands qui demandaient à partager leurs dangers; il leur apportait des armes, des munitions et 300,000 francs, provenant de la dot de sa sœur Marie, qui offrait ainsi l'espoir de son établissement en hommage aux Grecs! Il fut reçu avec enthousiasme. Son nom était cher aux chrétiens, et ils se réjouirent en croyant retrouver un descendant de leurs familles impériales dans la personne d'un Gra qui l'accompagnait.

Cet individu, qu'on appelait Aphendoulief, mais dont le vrai nom était Michel Comnène, né d'un père grec à Nizna, ville de Russie, avait été admis dans le collége des cadets de Pétersbourg. Il était entré, au sortir de ses études, dans la carrière de la diplomatie; et k titre qu'il portait, dans un pays où tout ce qui appartient au gouvernement est assimilé à un grade militaire, n'en faisait pas un soldat. Qualifié de major, il avait été successivement attaché aux légations de Russie en Espagne et en Portugal. Il avait visité l'Angleterre; & si ses qualités avaient seulement égalé le peu de connaissances qu'ï possédait, il eût été une acquisition précieuse pour les insurgés.

On promit de le pourvoir d'un emploi militaire qu'il désirait ; car le propre de la médiocrité est toujours de vouloir paraître ce qu'elle n'est pas; et on convint qu'il se rendrait, avec D. Hypsilantis, à l'armée grecque qui se trouvait devant Tripolitza. On voulait en resserrer le blocus, et empêcher cette ville d'avoir aucune connaissance des événements du dehors: mesure qui porte, plus qu'on ne pense, le découragement dans une place assiégée.

L'arrivée de D. Hypsilantis, qui avait été annoncée dès le commencement de l'insurrection, fut bientôt suivie de celle de Cantacuzène. Il s'était embarqué à Trieste avec une trentaine d'officiers allemands enthousiastes des temps héroïques de la Grèce. Ils apportaient des armes, des munitions de guerre, et l'annonce qu'une foule d'étudiants de diverses universités d'Allemagne se préparaient à les suivre, pour servir la cause des Grecs.

Noble Germanie! c'était alors qu'un de tes enfants écrivait, en abordant aux plages de la Messénie : « Je veux, en combattant et en >> mourant, s'il le faut, pour les Grecs, leur témoigner ma reconnais

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