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Ce n'était pas sans avoir éprouvé de grandes difficultés, qu'il était parvenu à se faire suivre d'une milice, qui trouvait plus convenable de dévaster la Morée que de combattre les mahométans. Malgré leur goût pour ce genre de guerre, Mavromichalis les avait rassemblés: mais, comme ils avaient pillé des chrétiens, les Maniates, qui sont aussi superstitieux que brigands, voulurent se mettre en état de gråce avant d'entrer en campagne. Il ne leur fut pas difficile de composer avec leurs caloyers; et tout aurait été arrangé, si ceux-ci avaient pu obtenir des évêques l'absolution de l'absolution qu'ils leur avaient donnée. Mais les prélats insistaient sur les restitutions à faire aux chrétiens de Coron, et les caloyers parlaient de rétracter leur eulogisme, de sorte que l'expédition aurait manqué si un casuiste n'eût représenté « que Thémistocle, en pareil cas, avait volé les chèvres > des habitants de l'île d'Eubée et dévalisé leurs maisons, quand il >> vit qu'il ne pouvait les protéger contre les Perses qui allaient s'em> parer de leurs biens. » Il citait Hérodote à l'appui de son assertion; et les évêques du Magne, croyant que c'était quelque Père de l'Église, déclarèrent bonne et valable la rémission des vols de l'armée laconienne.

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Qu'on me pardonne d'avoir rapporté ces faits caractéristiques d'un peuple et d'une époque qui offrira plus d'un trait de ressemblance avec les croisés dont parle Albert d'Aix ; j'aurai assez de douleurs à raconter, pour faire excuser cette digression. De cruels revers devaient bientôt forcer les Grecs à prendre une attitude plus prononcée devant des ennemis qui ne leur laissaient que le choix de vaincre ou de mourir. Cette sentence fatale avait été prononcée par Jousouf-pacha, qui, se voyant débloqué, grâce à l'assistance des

Un voyageur anglais, ayant obtenu l'hospitalité dans la demeure d'un Maniate, se servit, pour souper, d'un nécessaire qui renfermait quelques couverts en argent. A la vue de ces objets, une vieille Spartiate se prit à pleurer. Sur quoi l'étranger l'ayant conjurée de lui dire le sujet de ses larmes, elle lui répondit naïvement : Hélas! seigneur, je pleure de ce que mon fils n'est pas ici pour voler d'aussi belles choses.

Eulogisme, absolution.

* Qu'on juge, par ce qui suit, de la superstition de l'armée des croisés, partie de Mayence et de Cologne, qui avait choisi pour guides anserem quem divino spiritu asserebant aflatum, et capellam non minùs eodem repletam, et has sibi duces hujus secundæ fecerant expeditionis in Jerusalem, quas et nimiùm venerabantur, ac bestiali more his intendebant ex totâ animi attentione. — Albert., lib. 1, Hist. in gest. Dei per Francos, page 196.

Anglais, et maître de la navigation du golfe, résolut de secourir les Turcs que les insurgés tenaient assiégés dans l'Acrocorinthe.

Il fit embarquer douze cents hommes dont il prit le commandement; et, après avoir navigué pendant un jour entier, il aborda, le lendemain matin, au Lèché, sous le pavillon de la croix, qu'il avait fait hisser aux antennes de ses barques. Quoique les assiégeants fussent informés de la retraite des Hydriotes, ils crurent, à l'aspect de la bannière amie, qu'il leur arrivait des secours, sans réfléchir qu'on les aurait expédiés sans contourner la Morée, soit par Argos, soit par le port voisin de Cenchrée, où la marine grecque tenait une station. Ils se portèrent vers le rivage, dont ils défendirent, malgré leur surprise, l'approche assez longtemps pour permettre à leur corps d'armée d'incendier le palais de Kyamil-bey et une partie de la ville basse de Corinthe. Après ce coup de désespoir les insurgés, aussi rapides à la course que les chevaux les plus agiles, n'ayant ni artillerie ni bagages à emporter, se sauvèrent dans les montagnes de l'isthme, asile que les Turcs n'avaient ni les moyens ni la volonté d'attaquer.

Huit jours après ce coup de main, qu'on annonça à Constantinople et à Vienne comme une victoire fatale aux chrétiens, Jousouf-pacha apprit en rentrant à Patras la triste situation des Schypetars mahométans de Lâla, ville du mont Pholoé, bâtie par quartiers isolés, comme l'était Sparte au temps des Dioscures. Colocotroni la tenait bloquée depuis le commencement de l'insurrection, avec les palicares les plus déterminés du Péloponèse, lorsqu'il vit arriver à son secours le comte André Métaxas de Céphalonie, que les Anglais déclarèrent banni et déchu de ses propriétés, dès qu'ils surent que ce noble chevalier avait embrassé la cause des chrétiens. Il amenait avec lui trois cent cinquante Céphaloniens, quatre petites pièces de canon de montagne, et son nom attira bientôt sous son drapeau plus de quinze cents bannis de Zante, d'Ithaque et des fles. Ils avaient été chassés par les

Voyez mon Voyage dans la Grèce, tome IV, pages 233, 284, 318, 323 et 324. 1 M. Max. Raybaud, dans ses prétendus Mémoires, a brodé toute une fable sur les affaires de Lâla, qui eurent lieu avant son arrivée en Morée. On voit évidemment qu'il ne connaît ni les lieux, ni le pays, ni la langue des Grecs qu'il se permet de juger, non plus que les faits dont il parle. Il n'y a point de ruisseau appelé Lála, la position de cette ville, que nous avons visitée en 1816, en compagnie de M. Cartwright, consul de S. M. B., est sur un plateau très-découvert, d'où l'on découvre l'Élide et l'embouchure de l'Alphée.

agents britanniques, qui, comme les cadis turcs, trouvaient plus commode d'étouffer arbitrairement les procès que de les juger suivant les formes légales. Ils furent suivis, dans peu de temps, d'une multitude de Grecs de l'heptarchie ionienne, qui avaient à se venger d'une longue série d'insultes, d'avanies et de coups de bâton, dont les Laliotes, seigneurs suzerains et propriétaires de la sainte Élide, les régalaient en signe de bon voisinage, chaque fois que le cabotage, indispensable à leur existence, les conduisait dans les ports de cette province. Quelques-uns même de ces Ioniens avaient en ligne de compte, du sang entre eux et les Laliotes, qui ne pouvait se payer que par du sang.

Ils leur faisaient, d'après cela, une guerre de chasseurs avides de saisir une proie qu'ils convoitent depuis longtemps; et les défilés étaient gardés avec tant d'exactitude, que les Laliotes ne parvinrent qu'à force de ruses à informer Jousouf-pacha de leur détresse. Ils lui annonçaient, « en le conjurant au nom d'Allah et du prophète, de » les secourir; qu'ils étaient décidés à abandonner une ville entou»rée de forces déjà supérieures qui augmentaient chaque jour, et de » se retirer avec leurs familles sur Patras. Le métropolitain d'Olé» nos, et Procope, évêque de Calavrita, s'opposaient à toute espèce » de capitulation, qui serait d'ailleurs, dès qu'elle aurait été jurée, > enfreinte par les Grecs de l'Élide et des Sept-Iles. >>

Cette lettre portait la date du 18 juin, et le 19, le comte André Métaxas, ayant réuni ses troupes, livra un combat si terrible contre les Turcs, que l'Arcadie en fut ébranlée.

Au bruit du canon répété par les échos, les habitants des vallées du Ladon et de l'Alphée se portent en foule aux églises, les cloches et les simandres sonnent. Les prêtres, formant des litanies ou processions, entraînent les peuplades sur leurs pas. Ils entonnent le psaume des batailles, en demandant au dieu des armées « de dissiper les barbares, >> de confondre l'espérance des Assyriens, et d'accorder les palmes de » la victoire à ses enfants.» Les femmes suspendent leurs couronnes nuptiales aux autels de la Vierge mère, en se déclarant veuves, si par une lâche conduite leurs époux fuyaient devant les infidèles. Les filles déposent leurs plus beaux vêtements, les broderies, ouvrages de leurs

'Simandra, plaque en fer usitée dans la Grèce, à défaut de cloches, pour appeler les fidèles à l'église.

mains, leurs fuseaux et leurs quenouilles devant les images des saints, comme autant de dons votifs, pour qu'ils daignent protéger leurs frères et leurs amis. Les vieillards, prosternés sur les hauteurs, fatiguent le ciel de leurs prières; les enfants versent des pleurs en demandant des armes; et les voeux, les prières, les larmes ne cessent qu'avec le coucher du soleil qui ramène le calme, sans dissiper les incertitudes sur l'issue des événements de cette journée 1.

André Métaxas et les siens s'étaient retirés sans savoir qu'ils étaient victorieux, et les mahométans seuls connaissaient leur propre défaite, lorsque, peu de jours après avoir reçu la lettre qu'ils lui écrivaient, Jousouf-pacha, étant sorti de Patras avec deux mille hommes, parvint malgré les obstacles que lui opposèrent les chrétiens, à pénétrer dans la ville de Lâla. Les combats recommencèrent aussitôt; et le 29 juin les Schypetars, qui avaient fait tous leurs préparatifs de départ, ayant réussi à éloigner les insurgés, s'acheminèrent vers Patras après avoir mis le feu dans tous les quartiers de leur ville. La distance que l'on avait à parcourir était de vingt-quatre heures de marche en montagnes.

Le vizir Jousouf, ayant pris le commandement de l'avant-garde, fit placer au centre les femmes, les enfants, les bêtes de charge et les troupeaux, car on voulait tout emmener. L'arrière-garde fut composée de l'élite des Laliotes, qui marchèrent en faisant éclairer leurs flancs par une foule de tireurs alertes. Il fallut se battre à l'entrée des premiers défilés, qu'on aborda le 30 juin; le 1er juillet, on eut à soutenir de vives escarmouches; une Laliote, fille d'un maréchal ferrant, apercevant un Grec blessé, sauta de son cheval et courut sur le moribond, auquel elle trancha la tête, qu'elle présenta au vizir Jousouf. Elle était belle; et le pacha ne put mieux lui prouver sa reconnaissance qu'en l'épousant dès qu'il fut de retour à Patras. C'était la troisième femme à laquelle il donnait aussi libéralement sa main, depuis qu'il ensanglantait la terre de Pélops. Enfin, après six jours de marches, de privations et de combats, dans lesquels ils éprouvèrent des pertes considérables, les Laliotes, suivis de leurs familles et de plus de huit mille bêtes à cornes, entrèrent à Patras 2.

' Ces détails sont tirés de la correspondance de M. H. Pouqueville, qui se trouvait en Morée, et des lettres du comte Métaxas à un de ses amis à Zante.

Extrait du Journal de M. Hugues Pouqueville.

Ils avaient recueilli des sacs de têtes et d'oreilles, pris trente paysans zantiotes vaquant paisiblement à leurs affaires, qu'ils se firent un plaisir d'empaler vifs, sous les fenêtres du consul de S. M. B., et à la vue du frère de cet agent, qui avait cru devoir retourner à Patras, fort des services que ses compatriotes avaient rendus aux infidèles. La politesse qu'on lui faisait répondait dignement à tant d'égards; comme ce n'étaient que des Grecs sur qui retombait un pareil châtiment, le gouvernement protecteur de l'heptarchie ionienne, ainsi que le consul de S. M. B., étaient trop conséquents dans leurs principes, pour se plaindre, non du fait en lui-même, mais du simple manque de procédés du vizir Jousouf-pacha.

Celui-ci n'eut pas lieu d'être aussi indifférent à la conduite des Laliotes, qui, ne trouvant rien à piller à leur arrivée, lâchèrent leurs bestiaux dans les vignes. Elles étaient en plein rapport, et elles promettaient dans six semaines une récolte abondante de raisins de Corinthe, que son altesse avait vendus par anticipation à des gens plus attentifs, en tout temps, à leurs intérêts particuliers qu'à remplir leurs devoirs. Ceux-ci, qui avaient donné des arrhes, firent des représentations à leur illustre vendeur; mais il voulait en vain réprimer les Schypetars. Ils battirent ses gardes champêtres, en disant que leurs troupeaux devaient manger pour les nourrir euxmêmes.

Cette altercation en amena une autre. Les Laliotes demandèrent des logements; et comme la ville n'existait plus, on les hébergea dans la citadelle, d'où ils chassèrent aussitôt les Turcs patréens, qu'ils dépouillèrent avant de les laisser passer à Lépante; enfin Jousouf-pacha lui-même fut trop content de gagner sain et sauf le château des Dardanelles, situé sur le cap Rhion.

Ce fut ainsi que les Albanais de Lâla s'emparèrent de l'acropole de Patras, résolus de s'ensevelir sous ses ruines, et de s'y fixer, dans le cas où ils sortiraient vainqueurs de la guerre de l'insurrection, en renonçant pour jamais à relever leur ville. Ils se constituèrent, de cette manière, en révolte, entre le vizir Jousouf et les Grecs insurgés, qui, les ayant suivis de près, enlevèrent leurs troupeaux, les battirent et les bloquèrent étroitement dans la forteresse dont ils s'étaient emparés.

Cette lutte orageuse formait un contraste frappant avec le calme des îles Ioniennes, comprimées par le gouvernement britannique. Sa police, organisée sur le modèle de celle de Venise, embrassait jusqu'à

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