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les chrétiens. Une pareille conduite était-elle autorisée par la religion; fondée sur la morale; conforme à la charité; en harmonie avec la propagation des lumières préconisée par la société biblique; rigoureuse en simple justice; d'accord avec la philanthropie négrophile; exacte aux yeux de la probité?

Persuadé que le courrier, auquel on avait donné mille piastres pour se rendre à Constantinople, allait provoquer la vindicte du sultan contre le Péloponèse, les Patréens, qui se trouvaient en première ligne, accusant d'avance les agents britanniques de leurs infortunes, ne songèrent qu'à leur sûreté. Les plus riches familles se réfugièrent à Zante, d'autres s'embarquèrent sur les navires mouillés en rade; tandis que trois mille vieillards, femmes, enfants, avec la majeure partie des richesses de la ville, se précipitaient dans la maison consulaire de France, à l'abri du pavillon, que des jours de carnage virent bientôt flotter avec tant de gloire.

Le danger était imminent. Déjà les Turcs, qui se retiraient chaque soir dans la forteresse, annonçaient de cruelles vengeances. Ils savaient qu'un nouveau vizir, sorti de l'île d'Eubée, entrait dans la Phocide à la tête de trois mille soldats, qu'il conduisait à l'armée de Khourchidpacha. Il pouvait, dans moins de quatre jours, les secourir; mais, à l'exemple de Pehlevan et de Baltadgi, il était plus occupé à satisfaire sa cupidité qu'à saisir l'occasion de servir son souverain. Il avait livré la Béotie au pillage, afin de forcer les chrétiens à se racheter; mais pressé de marcher en avant par le chemin de la Thessalie, il dut laisser à Lébadée un mousselim, chargé d'exiger tout l'argent qu'il pourrait arracher aux chrétiens.

En conséquence de cette latitude, son délégué avait fait mettre aux fers les primats grecs qu'il menaçait chaque jour du gibet! Les paysans, n'ayant plus alors d'autre moyen de sauver leurs chefs que d'opposer la résistance à l'abus du pouvoir, coururent se ranger sous les ordres d'un montagnard nommé George Diacos, qui venait de réunir trois cents armatolis du mont OEta.

C'était de cette manière que les Turcs, à force d'excès, préparaient et fomentaient l'insurrection de la Grèce. Tout esprit de modération avait disparu de leurs conseils ; et les Souliotes appelés à Prévésa en étaient repartis le 26 mars, avec une réponse bien différente de l'autonomie qui devait servir de base aux capitulations qu'on leur avait fait espérer. L'ultimatum de vice-amiral portait « qu'on leur accordait le

>> pardon et la grâce d'être, comme les insulaires de la mer Blanche, >> raïas du sultan, sous la dépendance du capitan-pacha, et que si » dans le délai de quatre jours ils ne livraient pas vingt otages pour » garants de leur soumission, les hostilités recommenceraient. >>

Ali-pacha avait reçu à son tour, pour dernière réponse à ses propositions, le commandement impératif « de mettre bas les armes ; » de se rendre sous vingt-quatre heures au seuil de la tente du sé>> rasquier Khourchid-pacha, qui s'engageait (sans autre garantie) à » le faire conduire honorablement à Constantinople, où il serait » admis à se justifier devant la majesté éblouissante du glorieux >> sultan. » Ainsi s'évanouit toute espèce de rapprochement, et le satrape, qui n'attendait pas d'autres résultats de ses démarches, ayant riposté, à coups de canon, à la déclaration du sérasquier, s'empressa d'adresser la lettre suivante au polémarque et aux chefs de la Selléide.

MOI, ALI TÉBÉLEN.

« Chers Souliotes, recevez le doux salut de l'amitié.

>> Si je ne vous ai pas remis jusqu'à présent le château de Kiapha, » que je m'étais engagé à vous livrer, n'en accusez que l'impossi»bilité où je me suis trouvé d'en retirer une foule d'objets précieux » que j'y tiens renfermés. Mais enfin, puisque vos palicares (que

j'aime comme mes propres enfants) le demandent avec tant d'in>> stance, j'écris à mon commandant de vous en faire la consignation. » Il se retirera, après cela, dans une des tours, avec une garde de >> trente hommes, pour veiller à la conservation des objets que je ne >> saurais encore pour le moment faire déménager, et que je m'en»gage à retirer en temps opportun.

>> J'ai annoncé à ceux de vos enfants qui se trouvent ici (en otage), » qu'on allait vous consigner Kiapha. Ils en ont ressenti une joie >> telle, qu'ils ont fait serment que, si quelqu'un de leurs pères ou » de leurs parents manquait aux engagements qu'ils ont contractés >> envers moi, ils se tueraient en ma présence, de leurs propres mains, » pour venger une aussi cruelle injure.

>> Faites attention, mes enfants (et veuillez avoir égard à ma >> prière), d'entrer avec ordre et discipline dans le château de Kiapha, >> afin qu'il ne s'ensuive ni pillage ni dilapidation des choses qu'il » renferme. Que, le premier jour, il y soit introduit une phara » (tribu); le second, une autre ; et lorsque la quatrième y sera entrée,

>> alors vous ferez tirer cent coups de canon, en signe d'allégresse, » et en témoignage de l'inviolable union établie entre nous.

>> Chers Souliotes, mes bien-aimés, avec la forteresse que je vous >> abandonne, je vous fais présent des munitions de guerre et des >> provisions de bouche qui s'y trouvent. Je place en même temps >> sous votre sauvegarde mon petit-fils, en vous priant de le traiter » avec la même affection que je traiterai vos enfants qui sont mes » otages. »

» Janina, 20 mars (V. S.) 1821. »

Au reçu de cette lettre, dès que les Souliotes eurent pris possession de la forteresse de Kiapha, les échos de la Thesprotie, ébranlés par le bruit de l'artillerie, apprirent aux Grecs que les combats allaient recommencer dans l'Épire.

L'horizon, chargé de nuages sinistres, annonçait une crise épouvantable. Chacun frémissait; et, tels que les troupeaux timides qui fuient aux approches de l'orage, tandis que les animaux carnassiers font retentir les vallons de leurs hurlements, les chrétiens, réfugiés de toutes parts dans les montagnes, n'attendirent plus que l'apparition du signe auguste de la croix, pour fondre sur les Turcs, qui vaguaient en dévastateurs au milieu des campagnes désolées de la Hellade.

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Chant religieux. Révolution de l'Éleuthero-Laconie.

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-

fait insurger la Laconie. Chasse les Turcs de Londari. Insurrection de l'Arcadie, de la Messénie. - Sénat de Calamate. - Les Grecs entrent à Patras. - Manifeste. Désordres. — Réfugiés. — L'évêque Procope se rend en Élide.— Jousouf-pacha arrive en Etolie. Intrigues des agents anglais. - Siége du Nouvelles d'Ali-pacha. - Il annonce les insurrections qu'il a provoquées. Contre-révolution de Patras. - Les Grecs encombrent le consulat de France. Incendie dévorant.

château de Patras.

Tourments.

Massacres.

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Supplices. Pals.

Fuite des insurgés. Ruisseaux de feu et de sang. Révolte

contre le consul de France. Il empêche le pillage des dépôts qui lui sont confiés. Chrétiens prosternés au pied du pavillon de France. - Ioniens accourus au secours de leurs frères.- Entrevue du consul avec le pacha vainqueur. — Il refuse une garde de sûreté. Réponse qu'il fait à ce sujet.

Patras, 4 avril 1821, 9 heures du soir 1.

« Le cri de liberté se fait entendre; le feu est à la ville. Les Turcs, >> avant de se renfermer au château avec leurs familles, ont incendié » la maison d'un des primats grecs, nommé Papa-Diamantopoulos. » Le vent qui pousse les flammes nous menace d'une conflagration » générale !..... Le soleil est descendu sous l'horizon, au milieu » d'un voile de fumées rougeâtres..... Le fracas des maisons qui s'é>> croulent; les coups redoublés du canon de la forteresse; le siffle>>ment et l'explosion de quelques bombes; les cris des femmes et des >> enfants, au nombre de plus de quinze cents, réfugiés, avec la ma

jeure partie des richesses de la ville, dans le consulat de France, » m'épouvantent. Le ciel, pareil à une voûte de feu, nous éclaire » d'une lumière livide. La mer agitée semble rouler des flots de sang.

» 5 avril. A une nuit épouvantable succède un jour que je n'es>> pérais pas revoir. Il est impossible d'exprimer ce que j'ai souffert, » consolant les uns, rassurant les autres, et donnant à tous des espé>>rances que j'étais loin de partager. Le feu continue et s'approche.

'Extrait du Journal de M. Hugues Pouqueville, consul de France à Patras.

» Je prends la résolution de faire démolir quelques maisons grecques, » voisines de l'hôtel de France, afin de m'isoler. Le château tire à >> volée perdue; une fusillade soutenue est engagée de toutes parts..... >> J'apprends, pendant une courte suspension du combat, que tous » les consuls, à l'exception de celui d'Espagne, se sont retirés à bord >> des vaisseaux qui se trouvent en rade.

>> J'ai expédié, cette nuit, un bateau à Missolonghi, en requérant, » au nom du roi, le capitaine d'un bâtiment marchand français qui » s'y trouve en chargement, de se rendre ici, pour prêter assistance » à notre commerce; il s'y refuse. Il met, dit-il, à la voile pour » Marseille, en offrant de se charger de ma correspondance. Si un >> pareil homme est susceptible de remords, il sera assez puni en se >> rappelant un jour qu'il a manqué au premier devoir d'un marin >> français; il peut naviguer en paix, je ne le poursuivrai ni ne le >> nommerai jamais.

» La fatigue et l'affaissement l'ont emporté sur la crainte; les >> réfugiés dorment au milieu du fracas des armes; les vieillards >> seuls n'ont pu fermer la paupière. Une chaleur dévorante, mêlée » à l'ardeur du soleil, et au souffle du vent de siroc, suffiraient pour >> nous anéantir, si le danger de chaque minute ne nous donnait une >> énergie surnaturelle. L'incendie mugit; à chaque instant on en>> tend des explosions; parfois je crois sentir la terre s'agiter sous » mes pieds; des poutres, des pans de murs qui tombent au milieu » des foyers de l'embrasement, font jaillir des colonnes de flamme. » Des cris, des voix confuses, des hurlements qui se confondent, une » ville de vingt mille âmes qui s'anéantit.... Grand Dieu! que ceux » qui suscitent des révolutions sont coupables!.... Ces lignes, que »je trace en désordre, périront-elles avec moi? Un gentleman » anglais, qui me quitta hier en promettant de se charger de ma > correspondance pour Corfou, a disparu.

» A midi, un corps d'hommes armés, commandé par le frère du >> consul d'Angleterre, vint me chercher pour me conduire à bord >> d'un vaisseau. Je profite de leur offre, pour sauver mes janissaires. » Je sors en les plaçant au milieu de l'escorte. Nous marchons vers la » marine; chemin faisant, je vois égorger deux négresses; mes cris >> ni mes prières n'ont pu les sauver. Des bandes entières de fuyards » se précipitent vers le port; mes janissaires sont embarqués. Je re> tourne au consulat. Les Grecs, pour se venger, ont mis le feu au

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