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sérasquier envoya à son tour lui offrir une garde. « Il savait, disait-il, » que des scélérats avaient voulu attenter à sa vie, et il le priait d'ac>cepter le secours de ses cahouas1, en lui demandant où se trou>> vaient les propriétés françaises, afin de faire veiller à leurs >> conservation. >>

Le consul, qui connaissait le prix d'un pareil intérêt, fit répondre au pacha «que Patras, qu'il lui avait promis de sauver, étant réduit >> en cendres, aucune propriété n'existait plus, et que, par conséquent, >> toute explication était inutile; que, pour ce qui le concernait, il >>se croyait plus fort avec le pavillon de son roi, que lui avec son ar» mée; qu'il fft son devoir, et qu'on jugerait ensuite, qui du pacha, » ou du consul de France, avait rempli le sien. >>

Jousouf, qui n'avait demandé à connaître les propriétés des Francs que pour les piller, étonné de cette réponse, éprouva un embarras remarquable. Il tremblait d'être dénoncé au sultan ou au divan, qui permettent volontiers le brigandage, pourvu qu'il leur soit profitable; et comme, en pareil cas, celui auquel on demande compte se trouve toujours en déficit devant le tribunal de l'avidité, il craignait la publicité.

Déjà aussi quelques feux allumés sur le mont Panachaïcos annonçaient que les insurgés, qui avaient perdu peu de monde, car les massacres avaient porté sur les innocents Patréens, se ralliaient. Les soldats turcs baissaient le ton, ils n'ignoraient pas que Germanos avait établi son quartier général à Nézéro, et qu'il pouvait fondre inopinément sur leurs têtes. Enfin, on n'avait pu leur cacher qu'une insurrection qui venait d'éclater sur les confins de la Phocide ne permettait pas au lieutenant du pacha de Négrepont, de leur envoyer les secours qu'ils lui avaient demandés.

Huissiers à verge ou bâtonniers.

CHAPITRE VI.

Insurrection de la Béotie.

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· Diacos délivre les archontes;

passe les Turcs au fil de l'épée. - Oracle moderne de Trophonius. - Chants populaires. — Hymne de Confédérations des Béotiens. L'évêque Procope soulève l'Élide.

Rigas.

Ses discours prophétiques.

Détails.

Martyre d'Anastasie. - Fermeté de

Christodoulos. -- Suite des affaires de Moldavie et de Valachie.

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Déprédations

de Vladimiresco et de Sava. - Arrivée des Hétéristes. - Entrée de Vladimiresco à Bukarest. Insurgés désavoués. Perfidie des boyards. Leurs malheurs. -Incertitudes d'Hypsilantis. Il arrive à Kolentina. Ses craintes.- Défiances Scission de Vladimiresco. Lâcheté des Moldaves.

entre les chefs hétéristes.

- Trahison de leurs boyards.

Nous avons raconté dans un des chapitres précédents, comment le troisième satrape de l'île d'Eubée, sorti de Négrepont pour se rendre au camp impérial de Janina, avait mis à exécution militaire la Béotie saccagée par Pehlevan et Baltadgi, pachas, et y avait laissé son kiaya, afin de percevoir l'impôt concussionnaire qu'il n'avait pu lever. A peine cet exacteur, qui tenait les primats grecs à la chaîne depuis plus d'un mois, eut-il appris l'insurrection de Patras, qu'il fut informé qu'un nommé Diacos, protopalicare d'Odyssée, s'avançait à la tête de trois cents hommes, résolus de se venger des dévastateurs de la fertile Livadie. Le désespoir les avait armés ! Effrayé de cette nouvelle, et ne se croyant pas en force pour résister, quoiqu'il fût maître du château de Livadie, qui suffisait pour tenir les chrétiens en respect, il se hâta de faire partir son frère avec les trésors pour Négrepont. Puis à la manière de ceux qui croient épouvanter, par des mesures atroces, ceux qu'ils ont outragés, il fit publier l'ordre du désarmement général des chrétiens, qu'il désignait aux poignards des Turcs, et mit à prix la tête du palicare, dont le nom seul le faisait trembler.

Diacos, jugeant de l'impuissance du caïmacan de Négrepont, par ses menaces, et surtout d'après sa conduite, s'était embusqué sur la route de Thèbes, où il arriva assez à temps pour attaquer le frère de celui qui l'avait proscrit, qu'il fit prisonnier avec une partie de son

escorte et ses bagages, qu'il conduisit dans les forêts du Parnasse. Ce coup audacieux étant connu à Livadie, les Turcs irrités assassinèrent plusieurs Grecs. Leur lieutenant tirant les primats du cachot, les menaça de les faire pendre, s'ils n'écrivaient pas à Diacos qu'il eût à relâcher son frère. Ils s'empressèrent de satisfaire à ce commandement, mais de manière à laisser entrevoir le nécessité à laquelle ils étaient réduits.

Au reçu de leur lettre, Diacos, jugeant à propos de les séparer de sa cause, répondit au gouverneur de Livadie: « qu'il le rendait per>>sonnellement responsable de ce qui arriverait de fàcheux aux >> chrétiens; qu'il consentirait à lui rendre son frère, ainsi que les >> autres esclaves turcs, pourvu qu'il s'engageât de son côté à élargir >> les primats, qui seraient conduits à Daulis, lieu désigné pour l'é» change, et qu'il sortit ensuite de la ville de Livadie1. >>

Le ton de cette lettre ayant donné à penser au caïmacan, il consentit à tout, et Daulis aux belles forêts fut témoin du premier triomphe que les Grecs obtinrent sur les barbares.

A peine cet échange, qui mettait en liberté les archontes de Livadie, était consommé, que le caïmacan songea à quitter une place qu'il ne pouvait plus conserver. Cependant avant d'en sortir il fit mettre à mort plusieurs chrétiens; et, satisfait d'avoir exercé la vengeance des lâches, il fuyait, lorsque Diacos, instruit de sa perfidie, l'ayant devancé au pont du Permesse, rivière qui coule du mont Cithéron dans le lac Copaïs, l'attaque, le taille en pièces, ainsi que son frère, et cent et trente cavaliers turcs. Rétrogradant aussitôt vers Livadie, les primats grecs qui venaient d'être délivrés entraînent, au nom de la religion et de la liberté, tous les Béotiens qu'ils rencontrent. Ils les animent en leur racontant les événements de Patras, et, parvenus à réunir quelques milliers de pâtres et de laboureurs, ils marchent, ils se précipitent, ils enlèvent Livadie, son château et font un massacre général de tous les mahométans qui en étaient restés maîtres. Affreuses représailles, que des siècles d'outrages, et des meurtres récents, rendaient inévitables dans l'état d'exaspération où les Grecs avaient été réduits; ce fut ainsi que commença, au milieu du canarge et de l'incendie, une époque qui sera, pour la postérité, une des plus étonnantes des temps modernes.

Anciennement Lébadée.

2 Célèbre par les malheurs de Philomèle, fils de Pandion, roi d'Athènes.

La Béotie avait été le premier théâtre des excès des Turcs, et elle devait être, la première, témoin du châtiment qu'ils méritaient. Deux mille mahométans passés au fil de l'épée, l'étentard de la croix arboré au faîte du château de Lébadée, enfin un succès aussi inespéré ne semblait pas être l'ouvrage d'un homme.

Diacos prétendait qu'il avait été poussé à cette entrepise par l'inspiration d'une vierge miraculeuse cachée dans un endroit de l'antre de Trophonius, qu'il indiquait; et un caloyer de Chéronée, qu'on chargea de vérifier le fait, ne manqua pas de trouver la sainte image. On cria au prodige; et la caverne mystique, à l'entrée de laquelle on lit encore de nos jours le mot redoutable des initiations, CHIBOLET, gravé sur le rocher; restaurée dans son antique prérogative, devint l'oracle des chrétiens. On ne parla plus que de miracles; et la crédule Béotie, couverte autrefois de moins de sanctuaires prophétiques qu'elle ne l'est maintenant de monastères, vit tous ses moines, devenus autant d'Hiérophantes, guider les descendants des guerriers d'Epaminondas, aux combats entrepris pour l'autel et la patrie.

Au bout de quinze jours, il ne restait plus un seul mahométan dans la Livadie, lorsqu'on entendit le cri de l'épervier du mont OEta!.... Odyssée venait de soulever des peuplades grecques de la Doride et de la vallée du Sperchius, tandis que l'archimandrite Grégoire Dikaios arrivait secrètement dans la Mégaride, et que son confrère l'archimandrite Anthème Gazès exhortait les habitants du mont Pélion à prendre les armes.

Séparés de leurs oppresseurs, les Grecs, ne reconnaissant plus d'autre maître que le Rédempteur, ne virent désormais que sa main divine étendue sur leurs têtes. Le sacrifice non sanglant de l'agneau n'était plus offert par ses ministres, qu'au Dieu des armées; et le clergé, jusqu'alors consolateur timide des opprimés, se trouva, sans y penser, à la tête de l'émancipation de la Hellade. Des croix furent plantées à l'entrée de tous les défilés, aux sommets des montagnes ; et les Phocidiens, accordant leurs lyres belliqueuses sur le mode dorien, conservé parmi eux, firent retentir les échos du Parnasse et du Cithéron des strophes terribles du Thessalien Rigas, qui semblaient improvisées de la veille, pour les événements nouveaux'.

Je me contente de traduire dans cette histoire quelques passages de ce dithy

<< Jusques à quand, Palicares, vivrons-nous seuls, pareils aux lions >> relancés dans les escarpements des montagnes, errant au milieu » des forêts, dormant au fond des antres, étrangers au monde, >> pour nous soustraire à l'esclavage?

» A l'esclavage! aux armes ! sacrifions, s'il le faut, familles, enfants, >> amis; plutôt une heure de liberté, que des siècles d'esclavage! >> qu'importe la vie à ceux qui sont dans les fers? Voyez comme ils >> l'empoisonnent, notre vie, ces vizirs, ces oppresseurs! Travailler et >> souffrir, tel est notre partage, tandis qu'ils s'engraissent! Levons>> nous, et, s'il faut succomber, mourons avec la patrie!

>> La voyez-vous? abaissez vos regards vers la plaine? contemplez >> ces vizirs, ces pachas, leurs gibets, leurs pals, leurs bûchers ardents, » vos frères à leurs pieds, vos frères au milieu des bourreaux, vos » frères traçant de pénibles sillons pour nourrir leur indolence!

>> Leur indolence, ô ciel! que dis-je ! leur rage impie! ils ont >> immolé vos soutiens généreux, Soutzos, Morousis, Pétrakis, Sca»> navès, Ghykas, Mavrogenis, vos héroïques capitaines, vos prêtres, >> vos bienfaiteurs !

>> Levez-vous, honorables conjurés; la loi de Dieu, sa sainte égalité, >> voilà nos chefs; accourez, et jurez sur la croix de briser le joug >> infâme qui pèse sur nos têtes. >>>

Puis, appelant par leurs noms les différents peuples chrétiens de la Turquie, ils sécriaient : «Souliotes, et vous, Maniates! sortez de » vos repaires, léopards du Monténégro, aigles de l'Olympe, vautours » d'Agrapha; chrétiens de la Save et du Danube; intrépides Macé>> doniens, courez aux armes, que votre sang s'embrase d'une noble >> ardeur.

» Dauphins des mers, alcyons d'Hydra, de Psara et des Cyclades, >> entendez-vous la voix de la patrie? Montez sur vos vaisseaux, sai>> sissez le feu du ciel; la foudre est entre vos mains; brûlez, jusque » dans sa racine, l'arbre de la tyrannie! Déployez vos bannières, et » que la croix victorieuse annonce au monde étonné son triomphe » et votre liberté. »

rambe, qui est plus propre à figurer dans un recueil lyrique qu'au milieu des pages d'une histoire. Ils serviront à faire connaître l'enthousiasme des montagnards grecs, et on sera peut-être étonné d'apprendre que Rigas composa cet hymne en 1797; ainsi la révolution des Hellènes n'a pas été improvisée. Cette pièce fut traduite en vers par M. Népomucène Lemercier.

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