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reconnaissent, en effet, que « chez les véritables monomanes, la volonté se trouve tout entière sous l'empire des hallucinations. spéciales, et qu'il est rare de la voir lutter contre elles avec avantage; que la réalité de cette aliénation mentale ne saurait plus être douteuse qu'aux yeux des hommes entièrement étrangers à l'art de guérir; qu'il est des circonstances fatales où tel sujet, ayant jusqu'alors paru sain d'esprit, peut, sans cause connue bien appréciable pour les gens du monde, se trouver affecté d'une monomanie funeste dont l'idée dominante le conduit au meurtre, au suicide; que la monomanie homicide peut reconnaître pour cause le spectacle de la mort violente d'un homme, le récit d'un assassinat, la publicité qu'il doit aux débats judiciaires, etc. »

<< Jamais, dit Géorget, il n'est venu à ma connaissance autant de faits de monomanie homicide que depuis que les journaux répètent sans cesse les détails des dernières affaires, où il a été question de cette maladie, et en particulier de celle de H. Cornier. »

M. Barbier, d'Amiens, cite une femme observée par lui-même, et qui, en apprenant ces tristes détails, fut possédée par l'envie de tuer son propre enfant, qu'elle aimait beaucoup.

M. Serres parle d'une autre femme qui, sous la même influence, éprouva, pendant quelques semaines, une violente impulsion au meurtre de son enfant : « elle entendait une voix qui lui comman- ' dait cet attentat!... »

Si l'on pouvait connaître les douloureux et redoutables combats qui se passent alors, dans l'âme des malheureux monomaniaques, entre les aveugles sollicitations de l'instinct aux plus épouvantables crimes et les résistances d'une raison mal affermie, toujours sur le point de succomber, on plaindrait leurs cruelles souffrances, on les garantirait avec plus de soin, plus de précautions contre eux-mêmes, contre les dangers qu'ils font alors souvent courir à ceux qui vivent dans leur intimité; mais dans le cas d'un attentat, même grave, on ne les frapperait assurément pas d'une peine afflictive, infamante!

Nous terminerons ces importantes, mais bien tristes considérations, par un fait qui montrera mieux encore les profonds regrets.

que, dans les condamnations de cette nature, l'excessive rigueur de l'action pénale ne manquerait jamais de laisser après soi.

Il s'agit d'une mère de famille arrivée à cette époque de la vie que, pour la femme, on nomme l'âge critique; d'une belle et forte constitution; distinguée par son rang, ses habitudes, ses manières, le développement de son esprit, l'amabilité de son caractère, la bienveillance de ses relations amicales, sa tendre affection pour sa famille, son mari, ses enfants; dès lors, sans aucun des caractères qui peuvent annoncer ou faire pressentir au médecin le développement d'une funeste monomanie; si l'on excepte cependant un peu de cette condition morale qu'on nomme originalité.

Au milieu de la consultation, en faisant l'exposé des souffrances qu'elle endure, cette malheureuse mère s'arrête, comme devant un fatal obstacle qu'elle n'ose franchir; puis, après un pénible effort, nous consterne par cet affligeant récit, dont nous reproduisons textuellement les expressions :

<< Apprenez l'affreux état de mon âme, les dangers auxquels moi, les miens, sommes, à chaque minute, exposés : j'aime avec tendresse mes enfants, je donnerais ma vie pour eux, eh bien! je n'aperçois jamais un couteau tranchant, acéré, sans éprouver la criminelle tentation de les en frapper; il me semble, alors, que je verrais avec délices l'effusion de leur sang, les dernières convulsions de leur agonie!... Déjà plusieurs fois j'ai saisi l'instrument fatal, et toujours, heureusement, je l'ai rejeté loin de moi avec horreur!... Dire ce qui me poussait au meurtre, ce qui m'arrêtait, je n'en sais absolument rien car ma raison n'existait plus, et ma volonté suivait des impulsions qu'il m'est impossible d'expliquer : tout cela n'est-il pas épouvantable?... De grâce, prenez pitié de moi !... » Des sanglots mirent fin à cette affreuse révélation.

Des soins appropriés et suffisants prévinrent les fatales conséquences de cette monomanie homicide, mais sans en détruire complétement les retours.

Nous le demandons actuellement avec anxiété si la raison, la volonté libre avaient succombé dans cette lutte périlleuse, et que cette malheureuse mère eût mortellement frappé l'un de ses enfants,

la justice humaine l'eût-elle acquittée? C'est, nous le croyons, au point de vue borné de nos institutions légales, un bien dangereux problème à poser; tandis que ce n'est pas même une question au point de vue de la justice divine, dont les investigations pénètrent jusqu'au fond de la conscience.

Des faits semblables, et qui remplissent les archives de la médecine légale, démontrent que si, d'une part, les magistrats ont à se tenir en garde contre les dangereux abus que la défense pourrait faire d'un tel moyen, ils doivent, de l'autre, lorsque la science médicale bien interprétée vient leur signaler une monomanie véritable, redouter aussi des préventions sans motif, et les abus encore plus dangereux de l'accusation.

Un dernier fait, de la plus haute importance, doit encore frapper ici les esprits justes, servir puissamment, dans les cas douteux, à l'élucidation de ce grave et difficile problème dans presque tous les grands méfaits des monomaniaques, l'action de voler, l'incendie, le meurtre, etc., sont LE BUT; alors qu'ils deviennent ordinairement LES MOYENS chez les criminels doués de raison et de libre volonté.

Nous ajouterons, toutefois, en concluant, que les monomanies qui ne présentent pas des caractères assez positifs, assez constants pour frapper d'évidence, ne devront jamais entraver la marche de l'action judiciaire dans les inculpations graves, parce qu'il est alors indispensable pour les magistrats de s'éclairer par l'information, par les débats de la cause, et de formuler une décision qui, dans le cas même d'acquittement d'un monomane reconnu comme ayant agi sans raison, sans volonté libre, le fasse au moins placer dans un lieu propre à garantir la société contre les dangers de ses nouvelles atteintes.

III. MANIE, † μavía, de parvópai, je deviens furieux; insania. Nous désignons, sous ce terme, le genre d'altération mentale caractérisé par un délire général, permanent ou périodique, avec hallucinations, illusions des sens, absence de raison dans l'appréciation des choses, des hommes, des événements, de la moralité des actions; aliénation de la volonté surtout lors des accès de fureur auxquels

se livre très-fréquemment le sujet, et pendant lesquels il chante, crie, menace et frappe d'une manière d'autant plus dangereuse que cette fureur est aveugle et que les forces physiques du sujet se trouvent alors notablement augmentées.

<< La manie, dit Orfila, est le genre de folie où l'on observe le plus l'agitation, les emportements, la fureur : les malades ont souvent besoin d'être contenus pour être mis hors d'état de commettre des actes répréhensibles, de briser, de maltraiter, de tuer; leur volonté est maîtrisée par des illusions des sens, par des erreurs du jugement, et c'est pour échapper à des dangers, ou pour se venger de prétendues offenses, qu'ils prennent ces déterminations violentes. >>

Ici le doute n'existe plus au même degré que pour la monomanie. La privation de raison, de volonté, est bien plus facile à constater. Lorsque la manie est permanente et démontrée, ce n'est plus une action judiciaire que les magistrats doivent exercer, mais la réclusion dans une maison d'aliénés qu'ils sont en droit d'obtenir dans l'intérêt commun des garanties particulières et de la sécurité publique.

Pour les cas de manie périodique, cette action judiciaire doit avoir son cours, afin d'établir, d'après le texte même de la loi : « si le prévenu était en démence au temps de l'action. » Il est souvent même nécessaire d'en venir aux débats pour décider en connaissance de cause, dans ces conditions alors moins bien déterminées, si l'accusé est un maniaque ou bien un criminel.

IV. DÉMENCE, паρappoσúvη, de яарappové, j'ai perdu la raison; dementia. On nomme ainsi le genre de folie qui consiste particulièrement dans une perversion plus ou moins complète et permanente des facultés intellectuelles et des sentiments affectifs. Le malade ne reconnaît plus personne, ou prend ses parents, ses amis. pour des étrangers, les étrangers pour ses amis et ses parents; il est imprévoyant, crédule, ou bien indifférent; il fixe avec peine son attention, ne peut s'élever à des idées complexes ni suivre aucun raisonnement sain et prolongé. Il articule imparfaitement des mots sans liaison et sans portée; rit, pleure, se désole ou se fâche sans

motif; s'amuse avec des jouets d'enfants; résiste avec entêtement, ou suit avec soumission et docilité les impulsions qu'on lui communique; il peut se livrer à des extravagances; commettre même des vols, des incendies et des meurtres, sans conscience et sans liberté; mais en général, dans les cas ordinaires, il est beaucoup moins à craindre et moins dangereux que le sujet affecté de manie. Du reste, les règles et les applications sont ici les mêmes que dans ce genre d'aliénation mentale.

En résumant tout ce qui vient se rapporter à la folie prise au point de vue des influences qu'elle doit exercer dans l'action judiciaire pour amener l'acquittement ou l'allégement des peines prononcées, nous ajouterons que l'on a conseillé de se tenir d'autant mieux sur ses gardes, que rien n'était aussi facile qu'une imitation plus ou moins trompeuse de ces différentes altérations du sens moral et de l'intelligence.

Rien n'est plus faux que ce principe; rien n'est plus dangereux en bonne et consciencieuse action judiciaire, par les préventions sans fondement qu'il peut faire naître et surtout accréditer dans l'esprit des magistrats. A moins d'avoir fait une étude longue, approfondie, sérieuse, des habitudes et des conditions particulières des aliénés, il est impossible, même par une habile imitation, de soutenir assez complétement ce rôle embarrassant pour ne pas laisser échapper des indices qui ne permettront jamais au médecin attentif, expérimenté, de prendre assez le change, dans le cours d'un examen suffisant, pour devenir la dupe de l'accusé qui voudrait ainsi le tromper.

<< Je ne crois pas, dit Orfila, qu'un individu qui n'aurait point étudié les fous, pût simuler la folie au point de tromper un médecin qui connaîtrait bien cette maladie. Comme on se fait dans le monde une idée très-fausse des aliénés, celui qui fera le fou, d'après cette idée, fera à chaque instant des actes contradictoires et nullement vrais. >>

La réalité de ces considérations pratiques est, du reste, aujourd'hui tellement bien démontrée par les faits, qu'il suffit de lire quel ques interrogatoires de ces prétendus aliénés pour la mettre en

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