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devint tellement gracieux et condescendant avec un chacun, qu'il se fit tout à tous pour les gagner tous. Saint Jérôme ayant raconté que sainte Paule, sa chère fille, était non-seulement excessive, mais opiniâtre en l'exercice des mortifications corporelles, jusqu'à ne vouloir point céder à l'avis contraire que saint Epiphane, son évêque, lui avait donné pour ce regard, et qu'outre cela, elle se laissait tellement emporter au regret de la mort des siens, que toujours elle en était en danger de mourir, enfin il conclut en cette sorte: On dira qu'au lieu d'écrire des louanges pour cette sainte, j'en écris des blâmes et vitupères; j'atteste JÉSUS, auquel elle a servi et auquel je désire servir, que je ne mens ni d'un côté ni de l'autre, mais produis naïvement ce qui est d'elle, comme chrétien d'une chrétienne, c'est-à-dire j'en écris l'histoire, non pas un panégyrique, et que ses vices sont les vertus des autres. Il faut dire que les déchets et défauts de sainte Paule eussent tenu lieu de vertu en une âme moins parfaite, comme, à la vérité, il y a des actions qui sont estimées imperfections en ceux qui sont parfaits, lesquelles seraient néanmoins tenues pour grandes perfections en ceux qui sont imparfaits. C'est bon signe en un malade quand, au sortir de sa maladie, les jambes lui enflent, car cela dénote que la nature, déjà renforcée, rejette les

humeurs superflues; mais ce même signe serait mauvais en celui qui ne serait pas malade, car il ferait connaître que la nature n'a pas assez de force pour dissiper et résoudre les humeurs. Mais, Philothée, il faut avoir bonne opinion de ceux auxquels nous voyons la pratique des vertus, quoique avec imperfection, puisque les Saints mêmes les ont souvent pratiquées en cette sorte. Et, quant à nous, il nous faut avoir soin de nous y exercer, non-seulement fidèlement, mais prudemment; à cet effet, observer étroitement l'avis. du Sage, de ne point nous appuyer sur notre propre prudence, mais sur celle de ceux que Dieu nous a donnés pour conducteurs.

Il y a certaines choses que plusieurs estiment vertus et qui ne le sont aucunement, desquelles il faut que je vous dise un mot: ce sont les extases ou ravissements, les insensibilités, impassibilités, unions déifiques, élévations, transformations, et autres telles perfections, desquelles certains livres traitent, qui promettent d'élever l'âme jusqu'à la contemplation purement intellectuelle, à l'application essentielle de l'esprit et vie super-éminente. Voyez-vous, Philothée, ces perfections ne sont pas vertus, ce sont plutôt des récompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encore plutôt des échantillons des félicités de la vie future, qui

quelquefois sont présentés aux hommes pour leur faire désirer les pièces tout entières qui sont làhaut en paradis. Mais, pour tout cela, il ne faut pas prétendre à telles grâces, puisqu'elles ne sont nullement nécessaires pour bien servir et aimer Dieu, qui doit être notre unique prétention. Aussi, bien souvent ne sont-ce pas des grâces qui puissent être acquises par le travail et industrie, puisque ce sont plutôt des passions que des actions, lesquelles nous pouvons recevoir, mais non pas faire en nous; j'ajoute que nous n'avons pas entrepris de nous rendre sinon gens de bien, gens de dévotion, hommes pieux, femmes pieuses. C'est pourquoi il nous faut bien employer à cela; que s'il plaît à Dieu de nous élever jusqu'à ces perfections angéliques, nous serons aussi des bons Anges; mais, en attendant, exerçons-nous simplement, humblement et dévotement aux petites vertus, la conquête desquelles Notre-Seigneur a exposée à notre soin et travail, comme la patience, la débonnaireté, la mortification de cœur, l'humilité, l'obéissance, la pauvreté, la chasteté, la tendreté envers le prochain, le support de ses imperfections, la diligence et sainte ferveur. Laissons volontiers les sur-éminences aux âmes sur-élevées; nous ne méritons pas un rang aussi haut au service de Dieu; trop heureux serons-nous

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de le servir en sa cuisine, en sa paneterie, d'être ses laquais, portefaix, garçons de chambre ; c'est à lui, par après, si bon lui semble, de nous retirer en son cabinet et conseil privé. Oui, Philothée, car ce Roi de gloire ne récompense pas ses serviteurs selon la dignité des offices qu'ils exercent, mais selon l'amour et l'humilité avec laquelle ils les exercent. Saul, cherchant les ânes de son père, trouva le royaume d'Israël; Rébecca, abreuvant les chameaux d'Abraham, devint épouse de son fils; Ruth, glanant après les moissonneurs de Booz et se couchant à ses pieds, fut tirée à son côté et rendue son épouse. Certes, les prétentions si hautes et élevées des choses extraordinaires sont grandement sujettes aux illusions, tromperies et faussetés; et il arrive quelquefois que ceux qui pensent être des anges ne sont pas seulement bons hommes, et qu'en leur fait il y a plus de grandeur dans les paroles et termes dont ils usent, qu'au sentiment et en l'œuvre. Il ne faut pourtant rien mépriser ni censurer témérairement; mais en bénissant Dieu de la sur-éminence des autres, arrêtons-nous humblement en notre voie plus basse, mais plus assurée, moins excellente, mais, plus sortable à notre insuffisance et petitesse, en laquelle, si nous conversons humblement et fidèlement, Dieu nous élèvera à des grandeurs bien grandes.

CHAPITRE III.

De la patience.

VOUS

́ous avez besoin de patience, afin faisant que la volonté de Dieu, vous en rapportiez la promesse, » dit l'Apôtre; oui, car comme avait prononcé le Sauveur, « en votre patience vous << posséderez vos âmes. » C'est le grand bonheur de l'homme, Philothée, que de posséder son âme; et, à mesure que la patience est plus parfaite, nous possédons plus parfaitement nos âmes. Il nous faut donc perfectionner en cette vertu ressouvenez-vous souvent que Notre-Seigneur nous a sauvés en souffrant et endurant, et que, de même, nous devons faire notre salut par les souffrances et afflictions, endurant les injures, contradictions et déplaisirs avec le plus de douceur qu'il nous sera possible.

Ne bornez point votre patience à telle ou telle sorte d'injures et d'afflictions, mais étendez-la universellement à toutes celles que Dieu vous enverraet permettra vous arriver.

Il y en a qui ne veulent souffrir sinon les tribulations qui sont honorables, comme, par exemple, d'être blessés à la guerre, d'être prisonniers de

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