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dale qu'il en reçoit, la charité requiert et l'humilité agrée que nous la désirions et conservions précieusement.

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Outre cela, comme les feuilles des arbres, qui d'elles-mêmes ne sont pas beaucoup prisables, · servent néanmoins de beaucoup, non-seulement pour les embellir, mais aussi pour conserver les fruits tandis qu'ils sont encore tendres; ainsi, la bonne renommée, qui de soi-même n'est pas une chose fort désirable, ne laisse pas d'être très-utile, non-seulement pour l'ornement de notre vie mais aussi pour la conservation de nos vertus, et principalement des vertus encore tendres et faibles. L'obligation de maintenir notre réputation et d'être tels que l'on nous estime force un courage généreux d'une puissante et douce violence. Conservons nos vertus, ma chère Philothée, parce qu'elles sont agréables à Dieu, grand et souverain objet de toutes nos actions. Mais, comme ceux qui veulent garder les fruits ne se contentent pas de les confire, mais les mettent dans des vases propres à la conservation de ceux-ci, de même, bien que l'amour divin soit le principal conservateur de nos vertus, si est-ce que nous pouvons encore employer la bonne renommée, comme fort propre et utile à cela.

Il ne faut pas pourtant que nous soyons trop

ardents, exacts et pointilleux à cette conservation, car ceux qui sont si douillets et sensibles pour leur réputation ressemblent à ceux qui, pour toutes sortes de petites incommodités, prennent des médecines; car ceux-ci, pensant conserver leur santé, la gâtent tout à fait; et ceux-là, voulant maintenir si délicatement leur réputation, la perdent entièrement; car, par cette tendreté, ils se rendent bizarres, mutins, insupportables, et provoquent la malice des médisants.

La dissimulation et mépris de l'injure et calomnie est pour l'ordinaire un remède beaucoup plus salutaire que le ressentiment, la conteste et la vengeance, le mépris les fait évanouir; si on s'en courrouce, il semble qu'on les avoue. Les crocodiles n'endommagent que ceux qui les craignent; ni certes la médisance, sinon ceux qui s'en mettent en peine.

La crainte excessive de perdre la renommée témoigne une grande défiance du fondement de celle-ci, qui est la vérité d'une bonne vie. Les villes qui ont des ponts de bois sur de grands fleuves craignent qu'ils ne soient emportés à toutes sortes de débordements; mais celles qui les ont de pierres n'en sont en peine que pour des inondations extraordinaires ; ainsi, ceux qui ont une âme solidement chrétienne méprisent ordinairement

les débordements des langues injurieuses; mais ceux qui se sentent faibles s'inquiètent à tout propos. Certes, Philothée, qui veut avoir réputation envers tous la perd envers tous, et celui mérite de perdre l'honneur, qui le veut prendre de ceux que les vices rendent vraiment infâmes et désho

norés.

La réputation n'est que comme une enseigne, qui fait connaître où la vertu loge; la vertu doit donc être en tout et par tout préférée. C'est pourquoi si l'on dit : Vous êtes un hypocrite, parce que vous vous rangez à la dévotion; si l'on vous tient pour homme de bas courage, parce que vous avez pardonné l'injure, moquez-vous de tout cela. Car, outre que tels jugements se font par des niaises et sottes gens, quand on devrait perdre la renommée, il ne faudrait pas quitter la vertu, ni se détourner du chemin de celle-ci, d'autant qu'il faut préférer le fruit aux feuilles, c'est-à-dire, le bien intérieur et spirituel à tous les biens extérieurs. Il faut être jaloux, mais non pas idolâtre de notre renommée, et comme il ne faut offenser l'œil des bons, aussi ne faut-il pas vouloir contenter celui des malins. La barbe est un ornement au visage de l'homme, et les cheveux à celui de la femme si on arrache du tout le poil du menton et les cheveux de la tête, malaisément pourra-t-il

jamais revenir; mais si on le coupe seulement, voire qu'on le rase, il recroîtra bientôt après et reviendra plus fort et touffu; ainsi, bien que la renommée soit coupée, ou même tout à fait rasée par la langue des médisants, qui est, dit David, comme unrasoir affilé, il ne se faut point inquiéter, car bientôt elle renaîtra, non-seulement aussi belle qu'elle était, mais encore plus solide. Mais si nos vices, nos lâchetés, notre mauvaise vie nous ótent la réputation, il sera malaisé que jamais elle revienne, parce que la racine en est arrachée. Or, la racine de la renommée, c'est la bonté et la probité, laquelle, tandis qu'elle est en nous, peut toujours reproduire l'honneur qui lui est dû.

Il faut quitter cette vaine conversation, cette inutile pratique, cette amitié frivole, cette hantise folâtre, si cela nuit à la renommée; car la renommée vaut mieux que toutes sortes de vains contentements. Mais si pour l'exercice de piété, pour l'avancement en la dévotion et acheminement au bien éternel, on murmure, on gronde, on calomnie, laissons aboyer les mâtins contre la lune. Car, s'ils peuvent exciter quelque mauvaise opinion contre notre réputation, et, par ainsi, couper et raser les cheveux et la barbe de notre renommée, bientôt elle renaîtra, et le rasoir de la médisance

servira à notre honneur, comme la serpe à la vigne, qu'elle fait abonder et multiplier en fruits.

Ayons toujours les yeux sur Jésus-Christ crucifié, marchons en son service avec confiance et simplicité, mais sagement et discrètement; il sera le protecteur de notre renommée, et s'il permet qu'elle nous soit ôtée, ce sera pour nous en rendre une meilleure, ou pour nous faire profiter en la sainte humilité, de laquelle une seule once vaut mieux que mille livres d'honneurs. Si on nous blâme injustement, opposons paisiblement la vérité à la calomnie; si elle persévère, persévérons à nous humilier, remettant ainsi notre réputation avec notre âme dans les mains de Dieu : nous ne saurions la mieux assurer. Servons Dieu par la bonne et mauvaise renommée, à l'exemple de saint Paul, afin que nous puissions dire avec David: « O mon Dieu, c'est par vous que j'ai supporté l'opprobre et que la confusion a couvert << mon visage. »

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J'excepte néanmoins certains crimes, si atroces et infâmes que nul n'en doit souffrir la calomnie, quand il s'en peut justement décharger, et certaines personnes, de la bonne réputation desquelles dépend l'édification de plusieurs; car, en ce cas, il faut tranquillement poursuivre la réparation du tort reçu, suivant l'avis des théologiens.

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