ment épris, elle me la donnera en mariage éternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinée pour être son épouse, recevant de sa part des pendants d'oreilles et des bracelets d'or. Ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu, que, conduisant ses chères brebis aux eaux salutaires de la dévotion, il rendra mon âme son épouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son saint amour, et en mes bras la force de les bien exécuter, en quoi gît l'essence de la vraie dévotion, que je supplie la divine Majesté me vouloir octroyer, et à tous les enfants de son Église, Eglise à laquelle je veux à jamais soumettre mes écrits, mes actions, mes paroles, mes volontés et mes pensées. A Annecy, le jour sainte Madeleine, 1608. A LA VIE DÉVOTE PREMIERE PARTIE Contenant les avis et exercices requis pour conduire l'âme, dès son premier désir de la vie dévote, jusqu'à une entière résolution de l'embrasser. CHAPITRE Ier. Description de la vraie dévotion. ous aspirez à la dévotion, très-chère Philothée, parce qu'étant chrétienne vous savez que c'est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté; mais, d'autant que les petites fautes que l'on commet au commen cement de quelque affaire s'agrandissent infiniment au progrès, et sont presque irréparables à la fin, il faut, avant toutes choses, que vous sachiez ce que c'est que la vertu de dévotion; car, d'autant qu'il n'y en a qu'une vraie, et qu'il y en a grande quantité de fausses et vaines, si vous ne connaissez quelle est la vraie, vous pourriez vous tromper et vous amuser à suivre quelque dévotion impertinente et superstitieuse. Arelius peignait toutes les faces des images qu'il faisait, à l'air et ressemblance des femmes qu'il aimait; et chacun peint la dévotion selon sa passion et fantaisie. Celui qui est adonné au jeûne se tiendra pour bien dévot, pourvu qu'il jeûne, quoique son cœur soit plein de rancune, et, n'osant point tremper sa langue dedans le vin, ni même dans l'eau par sobriété, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain, par la médisance et calomnie. Un autre s'estimera dévot, parce qu'il dit une grande multitude d'Oraisons tous les jours, quoiqu'après cela sa langue se fonde en toutes paroles fâcheuses, arrogantes et injurieuses parmi ses domestiques et voisins. L'autre tire fort volontiers l'aumône de sa bourse pour la donner aux pauvres; mais il ne peut tirer la douceur de son cœur pour pardonner à ses ennemis; l'autre pardonnera à ses ennemis, mais tenir raison à ses créanciers, jamais, qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là sont vulgairement tenus pour dévots, et ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchaient David en sa maison: Michol ayant mis une statue dedans un lit, et l'ayant couverte des habillements de David, leur fit accroire que c'était David même qui dormait malade. Ainsi, beaucoup de personnes se couvrent de certaines actions extérieures appartenantes à la sainte dévotion, et le monde croit que ce sont gens vraiment dévots et spirituels; mais, en vérité, ce ne sont que des statues et fantômes de dévotion. La vraie et vivante dévotion, ô Philothée, présuppose l'amour de Dieu; mais elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu; non pas, toutefois, un amour tel quel; car, en tant que l'amour divin embellit notre âme, il s'appelle grâce, nous rendant agréables à sa divine Majesté ; en tant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est parvenu jusqu'au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, mais nous fait opérer soigneusement, fréquemment et promptement, alors il s'appelle dévotion. Les autruches ne volent jamais, les poules volent, pesamment toutefois, bassement et rarement; mais les aigles, les colombes et les aron delles (1) volent souvent, vitement et hautement : ainsi, les pécheurs ne volent point en Dieu, mais font toutes leurs courses en la terre et pour la terre. Les gens de bien qui n'ont pas encore atteint à la dévotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment; les personnes dévotes volent en Dieu, fréquemment, promptement et hautement. Bref, la dévotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelles, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle, promptement et affectionnément; et, comme il appartient à la charité de nous faire pratiquer généralement et universellement tous les commandements de Dieu, il appartient aussi à la dévotion de nous les faire faire promptement et diligemment. C'est pourquoi celui qui n'observe tous les commandements de Dieu, ne peut être estimé ni bon ni dévot, puisque, pour être bon, il faut avoir la charité, et, pour être dévot, il faut avoir, outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables. Et, d'autant que la dévotion gît en certain degré d'excellente charité, non-seulement elle nous rend prompts, actifs et diligents à l'observation de tous (1) Hirondelles. |