esprits, qui pour cela sont plus tendres aux amorces déshonnêtes... Et de vrai, tandis que les fruits sont bien entiers, ils peuvent être conservés, les uns sur la paille, les autres dans le sable, et les autres en leur propre feuillage; mais étant une fois entamés, il est presque impossible de les garder que par le miel et le sucre en confiture. Ainsi, la chasteté qui n'est point encore blessée ni violée peut être gardée en plusieurs sortes; mais étant une fois entamée, rien ne la peut conserver, qu'une excellente dévotion, laquelle, comme j'ai souvent dit, est le vrai miel et sucre des esprits. Les vierges ont besoin d'une chasteté extrêmement simple et douillette, pour bannir de leur cœur toutes sortes de curieuses pensées, et mépriser d'un mépris absolu toutes sortes de plaisirs immondes, qui, à la vérité, ne méritent pas d'être désirés par les hommes, puisque les ânes et les pourceaux en sont plus capables qu'eux. Que donc ces âmes pures se gardent bien de jamais révoquer en doute que la chasteté ne soit incomparablement meilleure que tout ce qui lui est incompatible; car, comme dit le grand saint Jérôme, l'ennemi presse violemment les vierges au désir de l'essai des voluptés, les leur représentant infiniment plus plaisantes et délicieuses qu'elles ne sont, ce qui souvent les trouble bien fort, tan dis, dit ce saint Père, qu'elles estiment plus doux ce qu'elles ignorent. Car, comme le petit papillon voyant la flamme va curieusement voletant autour de celle-ci, pour essayer si elle est aussi douce que belle, et, pressé de cette fantaisie, ne cesse pas qu'il ne se perde au premier essai; ainsi, les jeunes gens bien souvent se laissent tellement saisir de la fausse et sotte estime qu'ils ont du plaisir des flammes voluptueuses, qu'après plusieurs curieuses pensées, ils s'y vont en fin finale ruiner et perdre, plus sots en cela que les papillons; d'autant que ceux-ci ont quelque occasion de cuider que le feu est délicieux, puisqu'il est si beau, où ceux-là, sachant que ce qu'ils recherchent est extrêmement déshonnête, ne laissent pas pour cela d'en sur-estimer la folle et brutale délectation. Mais quant à ceux qui sont mariés, ils sont obligés de pratiquer la chasteté selon leur état. C'est pourquoi sainte Catherine de Sienne vit entre les damnés plusieurs âmes grandement tourmentées pour avoir violé la sainteté du mariage. Vous voyez donc que la chasteté est nécessaire à toutes sortes de gens. « Suivez la paix avec tous, << dit l'Apôtre, et la sainteté, sans laquelle aucun « ne verra Dieu. » Or, par la sainteté, il entend la chasteté, comme saint Jérôme et saint Chrysostome l'ont remarqué. Non, Philothée, nul ne verra Dieu sans la chasteté, nul n'habitera en son saint tabernacle, qui ne soit net de cœur. Et comme dit le Sauveur même, « les chiens et les impu diques en seront bannis; et bien heureux sont « les nets de cœur, car ils verront Dieu. » CHAPITRE XIII. Avis pour conserver la chasteté OYEZ extrêmement prompte à vous détourner SOVE de tous les acheminements et de toutes les amorces de la lubricité; car ce mal agit insensiblement, et par de petits commencements fait progrès à de grands accidents. Il est toujours plus aisé à fuir qu'à guérir. Les corps humains ressemblent à des verres, qui ne peuvent être portés les uns avec les autres, en se touchant, sans courir fortune de se rompre; et aux fruits, lesquels, quoique entiers et bien assaisonnés, reçoivent de la tare, s'entretouchant les uns les autres. L'eau même, pour fraîche qu'elle soit dans un vase, étant touchée de quelque animal terrestre, ne peut longuement conserver sa fraîcheur. Ne permettez jamais, Philothée, qu'au cun vous touche incivilement, ni par manière de folâtrerie, ni par manière de faveur. Car, bien qu'à l'aventure la chasteté puisse être conservée parmi ces actions, plutôt légères que malicieuses, si est-ce que la fraîcheur et fleur de la chasteté en reçoit toujours du détriment et de la perte; mais de se laisser toucher déshonnêtement, c'est la ruine entière de la chasteté. La chasteté dépend du cœur comme de son origine, mais elle regarde le corps comme sa matière. C'est pourquoi elle se perd par tous les sens extérieurs du corps et par les cogitations et désirs du cœur. C'est impudicité de regarder, d'ouïr, de parler, d'odorer, de toucher des choses déshonnêtes, quand le cœur s'y amuse et y prend plaisir. Saint Paul dit tout court: Que la fornication ne soit pas mêmement nommée entre vous. Les abeilles, non-seulement ne veulent pas toucher les charognes, mais fuient et haïssent extrêmement toutes sortes de puanteurs qui en provien nent. L'Épouse sacrée, au Cantique des cantiques, a ses mains qui distillent la myrrhe, liqueur préservatrice de la corruption; ses lèvres sont bandées d'un ruban vermeil, marque de la pudeur des paroles; ses yeux sont de colombe, à raison de leur netteté ; ses oreilles ont des pendants d'or, enseigne de pureté; son nez est parmi les cèdres du Liban, bois incorruptible: telle doit être l'âme dévote, chaste, nette et honnête, de mains, de lèvres, d'oreilles, d'yeux et de tout son corps..... Ne hantez nullement les personnes impudiques, principalement si elles sont encore impudentes, comme elles le sont presque toujours; car, comme les boucs touchant de la langue les amandiers doux les font devenir amers, ainsi ces âmes puantes et cœurs infects ne parlent guère à personne, ni de même sexe, ni de divers sexes, qu'elles ne les fassent aucunement déchoir de la pudicité; elles ont le venin aux yeux et en l'haleine, comme les basilics. Au contraire, hantez les gens chastes et vertueux; pensez et lisez souvent aux choses sacrées ; car la parole de Dieu est chaste et rend ceux qui s'y plaisent chastes; ce qui fait que David la compare au topaze, pierre précieuse, laquelle, par sa propriété, amortit l'ardeur de la concupis cence. Tenez-vous toujours proche de Jésus-Christ crucifié, et spirituellement par la méditation, et réellement par la sainte communion. Car tout ainsi que ceux qui couchent sur l'herbe nommée Agnus castus deviennent chastes et pudiques, de même, reposant votre cœur sur Notre-Seigneur, |