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CHAPITRE XX.

Avis et remèdes contre les mauvaises amitiés.

M

AIS quels remèdes contre cette engeance et fourmilière de folles amours, folâtreries, impuretés? Soudain que vous en aurez les premiers ressentiments, tournez-vous court de l'autre côté, et avec une détestation absolue de cette vanité, courez à la croix du Sauveur et prenez sa couronne d'épines pour en environner votre cœur, afin que ces petits renardeaux n'en approchent. Gardez bien de venir à aucune sorte de composition avec cet ennemi; ne dites pas : Je l'écouterai, mais je ne ferai rien de ce qu'il me dira; je lui prêterai l'oreille, mais je lui refuserai le cœur. O ma Philothée! pour Dieu, soyez rigoureuse en telles occasions; le cœur et l'oreille s'entretiennent l'un à l'autre, et comme il est impossible d'empêcher un torrent qui a pris sa descente par le penchant d'une montagne, aussi est-il difficile d'empêcher que l'amour qui est tombé en l'oreille ne fasse soudain sa chute dans le cœur. Les chèvres, selon Alcméon, haleinent par les oreilles et non par les naseaux. Il

est vrai qu'Aristote le nie; or, je ne sais ce qu'il en est, mais je sais pourtant que notre cœur haleine par l'oreille, et comme il aspire et exhale ses pensées par la langue, il respire aussi par l'oreille, par laquelle il reçoit les pensées des autres. Gardons donc soigneusement nos oreilles de l'air des folles paroles; car autrement, soudain notre cœur en serait empesté. N'écoutez nulle sorte de proposition, sous quelque prétexte que ce soit; en ce seul cas il n'y a pas de danger d'être incivile et agreste.

Ressouvenez-vous que vous avez voué votre cœur à Dieu, et que votre amour lui étant sacrifié, ce serait un sacrilége de lui en ôter un seul brin; sacrifiez-le-lui plutôt derechef par mille résolutions et protestations, et, vous tenant entre celles-ci comme un cerf dans son fort, réclamez Dieu : il vous secourera, et son amour prendra le vôtre en sa protection afin qu'il vive uniquement pour lui.

Que si vous êtes déjà prise dans les filets de ces folles amours, oh Dieu! quelle difficulté de vous en déprendre. Mettez-vous devant sa divine Majesté, connaissez en sa présence la grandeur de votre misère, votre faiblesse et vanité; puis, avec le plus grand effort de cœur qu'il vous sera possible, détestez ces amours commencées, abjurez la

vaine profession que vous en avez faite, renoncez à toutes les promesses reçues, et, d'une grande et très-absolue volonté, arrêtez en votre cœur et vous résolvez de ne jamais plus rentrer en ces jeux et entretiens d'amour.

Si vous vous pouvez éloigner de l'objet, je l'approuverais infiniment, car, comme ceux qui ont été mordus des serpents ne peuvent pas aisément guérir en la présence de ceux qui ont été autrefois blessés de la même morsure, aussi la personne qui est piquée d'amour guérira difficilement de cette passion, tandis qu'elle sera proche de l'autre qui aura été atteinte de la même piqûre. Le changement de lieu sert extrêmement pour apaiser les ardeurs et inquiétudes, soit de la douleur, soit de l'amour. Le garçon duquel parle saint Ambroise, au livre second de la Pénitence, ayant fait un long voyage, revint entièrement délivré des folles amours qu'il avait exercées, et tellement changé, que sa sotte amoureuse le rencontrant et lui disant:

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Ne me connais-tu pas? je suis bien moi-même. - Oui-da, répondit-il, mais moi je ne suis pas moi-même. L'absence lui avait apporté cette heureuse mutation. Et saint Augustin témoigne que, pour alléger la douleur qu'il eut en la mort de son ami, il s'ôta de Tagaste, où celui-ci était mort, et s'en alla à Carthage.

Mais qui ne peut s'éloigner, que doit-il faire? Il faut absolument retrancher toute conversation particulière, tout entretien secret, toute douceur des yeux, tout sourire, et généralement toutes sortes de communications et amorces qui peuvent nourrir ce feu puant et fumeux. Ou, pour le plus, s'il est forcé de parler au complice, que ce soit pour déclarer par une hardie, courte et sévère protestation, le divorce éternel que l'on a juré. Je crie tout haut à quiconque est tombé dans ces piéges d'amourettes Taillez, tranchez, rompez; il les faut déchirer; il n'en faut pas dénouer les liaisons, il les faut rompre ou couper; aussi bien, les cordons et les liens n'en valent rien. Il ne faut point ménager pour un amour qui est si contraire à l'amour de Dieu.

Mais après que j'aurai ainsi rompu les chaînes de cet infâme esclavage, encore m'en restera-t-il quelque ressentiment, et les marques et traces des fers en demeureront encore imprimées en mes pieds, c'est-à-dire, en mes affections. Non feront, Philothée, si vous avez conçu autant de détestation de votre mal comme il mérite; car, si cela est, vous ne serez plus agitée d'aucun mouvement que de celui d'une extrême horreur de cet infâme amour et de tout ce qui en dépend, et demeurerez quitte de toute autre affection envers l'objet aban

donné, que de celle d'une très-pure charité pour Dieu. Mais si, pour l'imperfection de votre repentir, il vous reste encore quelques mauvaises inclinations, procurez pour votre âme une solitude mentale, selon ce que je vous ai enseigné ci-devant, retirez-vous-y le plus que vous pourrez, et, par mille réitérés élancements d'esprit, renoncez à toutes vos inclinations; reniez-les de toutes vos forces; lisez plus qu'à l'ordinaire de saints livres; confessez-vous plus souvent que de coutume et vous communiez; conférez humblement et naïvement de toutes les suggestions et tentations qui vous arriveront pour ce regard, avec votre directeur, si vous pouvez, ou au moins avec quelque âme fidèle et prudente. Et ne doutez point que Dieu ne vous affranchisse de toutes passions, pourvu que vous continuiez fidèlement en ces exercices.

Ah! me direz-vous, mais ne sera-ce point une ingratitude de rompre si impiteusement une amitié? Oh! que bienheureuse est l'ingratitude qui nous rend agréables à Dieu! Non, de par Dieu, Philothée, ce ne sera pas une ingratitude, mais un grand bénéfice que vous ferez à l'amant; car en rompant vos liens, vous romprez les siens, puisqu'ils vous étaient communs, et, bien que pour l'heure il ne s'aperçoive pas de son bonheur, il le

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