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quoi, chère Philothée, j'ai voulu, avant toutes choses, graver et inscrire sur votre cœur ce mot saint et sacré : VIVE JÉSUS! assuré que je suis, qu'après cela votre vie, laquelle vient de votre cœur, comme un amandier de son noyau, produira toutes ses actions, qui sont ses fruits, écrites et gravées du même mot de salut, et que, comme ce doux Jésus vivra dedans votre cœur, il vivra aussi en tous vos déportements, et paraîtra en vos yeux, en votre bouche, en vos mains, voire même en vos cheveux, et pourrez saintement dire à l'imitation de saint Paul : « Je vis, mais non plus moi, mais « Jésus-Christ qui vit en moi. » Bref, qui a gagné le cœur de l'homme, a gagné tout l'homme. Mais ce cœur même, par lequel nous voulons commencer, requiert qu'on l'instruise comme il doit former son train et maintien extérieur, afin que non-seulement on y voie la sainte dévotion, mais aussi une grande sagesse et discrétion. Pour cela, je vous vais brièvement donner plusieurs avis.

Si vous pouvez supporter le jeûne, vous ferez bien de jeûner quelques jours, outre les jeûnes que l'Église nous commande; car, outre l'effet ordinaire du jeûne, d'élever l'esprit, réprimer la chair, pratiquer la vertu et acquérir une plus grande récompense au Ciel, c'est un grand bien de se maintenir en la possession de gourmander la

gourmandise même, et tenir l'appétit sensuel et le corps sujet à la loi de l'esprit. Et bien qu'on ne jeûne pas beaucoup, l'ennemi, néanmoins, nous craint davantage quand il connaît que nous savons jeûner. Les mercredis, vendredis et samedis sont les jours auxquels les anciens chrétiens s'exerçaient le plus à l'abstinence. Prenez-en donc de ceux-là pour jeûner autant que votre dévotion et la discrétion de votre directeur vous le conseilleront.

Je dirais volontiers comme saint Jérôme dit à la bonne dame Léta : « Les jeûnes longs et immodérés me déplaisent bien fort, surtout en ceux qui sont en âge encore tendre. J'ai appris par expérience que le petit ânon, étant las en chemin, cherche de s'écarter; » c'est-à-dire, les jeunes gens portés à des infirmités par l'excès des jeûnes se convertissent aisément aux délicatesses. Les cerfs courent mal en deux temps : quand ils sont trop chargés de venaison, et quand ils sont trop maigres. Nous sommes grandement exposés aux tentations, quand notre corps est trop nourri et quand il est trop abattu; car l'un le rend insolent en son aise, et l'autre le rend désespéré en son malaise. Et comme nous ne le pouvons porter quand il est trop gras, aussi ne nous peut-il porter quand il est trop maigre. Le défaut de cette modération dans les jeûnes, disciplines, haires et âpretés, rend

inutiles au service de la charité les meilleures années de plusieurs, comme il fit même à saint Bernard, qui se repentit d'avoir usé de trop d'austérité; et d'autant qu'ils l'ont maltraité au commencement, ils sont contraints de le flatter à la fin. N'eussent-ils pas mieux fait de lui faire un traitement égal et proportionné aux offices et travaux auxquels leurs conditions les obligeaient?

Le jeûne et le travail matent et abattent la chair. Si le travail que vous ferez vous est nécessaire ou fort utile à la gloire de Dieu, j'aime mieux que vous souffriez la peine du travail que celle du jeûne. C'est le sentiment de l'Eglise, laquelle, pour les travaux utiles au service de Dieu et du prochain, décharge ceux qui les font du jeûne même commandé. L'un a de la peine à jeûner, l'autre en a à servir les malades, visiter les prisonniers, confesser, prêcher, assister les désolés, prier et semblables exercices; cette peine vaut mieux que celle-là. Car, outre qu'elle mate également, elle a des fruits beaucoup plus désirables; et partant, généralement il est mieux de garder plus de forces corporelles qu'il n'est requis, que d'en ruiner plus qu'il ne faut; car on peut toujours les abattre quand on veut, mais on ne les peut pas réparer toujours quand on veut.

Il me semble que nous devons avoir en grande

révérence la parole que notre Sauveur dit à ses disciples: << Mangez ce qui sera mis devant vous. >> C'est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce qu'on vous présente, et en même ordre qu'on vous le présente, ou qu'il soit à votre goût, ou qu'il ne le soit pas, que de choisir toujours le pire. Car, encore que cette dernière façon de vivre semble plus austère, l'autre, néanmoins, a plus de résignation; car, par celle-ci, on ne renonce pas seulement à son goût, mais encore à son choix, et si ce n'est pas une petite austérité de tourner son goût à toute main et le tenir sujet aux rencontres; joint que cette sorte de mortification ne paraît point, n'incommode personne, et est uniquement propre pour la vie civile. Reculer une viande pour en prendre une autre, pincer et racler toutes choses, ne trouver jamais rien de bien apprêté ni de bien net, faire des mystères à chaque morceau, cela ressent un cœur mol et attentif aux plats et aux écuelles. J'estime plus que saint Bernard but de l'huile pour de l'eau ou du vin, que s'il eût bu de l'eau d'absinthe avec attention; car c'était signe qu'il ne pensait pas à ce qu'il buvait. Et en cette nonchalance de ce qu'on doit manger et qu'on boit, gît la perfection de la pratique de ce mot sacré: «< Mangez ce qui sera mis devant vous. »> J'excepte, néanmoins, les viandes qui nuisent à la

santé, ou qui même incommodent l'esprit, comme font à plusieurs les viandes chaudes et épicées, fumeuses, venteuses, en certaines occasions auxquelles la nature a besoin d'être récréée et aidée pour pouvoir soutenir quelque travail à la gloire de Dieu. Une continuelle et modérée sobriété est meilleure que les abstinences violentes faites à diverses reprises et entremêlées de grands relâchements.

La discipline a une merveilleuse vertu pour réveiller l'appétit de la dévotion, étant prise modérément. La haire mate puissamment le corps; mais son usage n'est pas, pour l'ordinaire, propre ni aux gens mariés ni aux délicates complexions, ni à ceux qui ont à supporter d'autres grandes peines. Il est vrai qu'aux jours plus signalés de la pénitence, on la peut employer avec l'avis du discret confesseur.

Il faut prendre de la nuit, pour dormir, chacun selon sa complexion, autant qu'il est requis pour bien utilement veiller le jour. Et parce que l'Écriture sainte en cent façons, l'exemple des saints et les raisons naturelles nous recommandent grandement les matinées comme les meilleures et plus fructueuses pièces de nos jours, et que NotreSeigneur même est nommé Soleil levant, et NotreDame Aube du jour, je pense que c'est un soin

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