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et avec moins d'intérêt de ceux de qui on parle, en une autre occasion.

Outre cela, encore faut-il qu'il m'appartienne de parler sur ce sujet; comme quand je suis des premiers de la compagnie, et que, si je ne parle, il semblera que j'approuve le vice. Que si je suis des moindres, je ne dois pas entreprendre de faire la censure; mais surtout il faut que je sois exactement juste en mes paroles, pour ne dire pas un seul mot de trop. Par exemple, si je blâme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop indiscrète et périlleuse, oh Dieu! Philothée, il faut que je tienne la balance bien juste pour ne point agrandir la chose, pas d'un seul brin; s'il n'y a qu'une faible apparence, je ne dirai rien que cela; s'il n'y a qu'une simple imprudence, je ne dirai rien davantage; s'il n'y a ni imprudence ni vraie apparence de mal, mais seulement que quelque esprit malicieux en puisse tirer prétexte de médisance, ou je n'en dirai rien du tout, ou je dirai cela même. Ma langue, tandis que je juge le prochain, est en ma bouche comme un rasoir en la main du chirurgien qui veut trancher entre les nerfs et les tendons. Il faut que le coup que je donnerai soit si juste, que je ne dise ni plus ni moins que ce qui en est. Et enfin, il faut surtout observer, en blâmant le vice, d'épargner le

plus que vous pourrez la personne en laquelle il est.

Il est vrai que des pécheurs infâmes, publics et manifestes, on en peut parler librement, pourvu que ce soit avec esprit de charité et de compassion, et non point avec arrogance et présomption, ni pour se plaire au mal d'autrui; car, pour ce dernier, c'est le fait d'un cœur vil et abject. J'excepte, entre tous, les ennemis déclarés de Dieu et de son Église; car ceux-là il les faut décrier tant qu'on peut, comme sont les sectes des hérétiques et schismatiques, et les chefs de celles-ci. C'est charité de crier au loup quand il est entre les brebis, voire ou qu'il soit.

Chacun se donne liberté de juger et censurer les Princes, et de médire des nations tout entières, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroit. Philothée, ne faites pas cette faute; car, outre l'offense de Dieu, elle vous pourrait susciter mille sortes de querelles.

Quand vous oyez mal dire, rendez douteuse l'accusation, si vous pouvez le faire justement; si vous ne pouvez pas, excusez l'intention de l'accusé; que si cela ne se peut, témoignez de la compassion sur lui, écartez ce propos-là, vous ressouvenant et faisant ressouvenir la compagnie, que ceux qui ne tombent pas en faute en doivent toute

la grâce à Dieu. Rappelez à soi le médisant par quelque douce manière; dites quelques autres biens de la personne offensée, si vous le savez.

CHAPITRE XXIX.

Quelques autres avis touchant le parler.

UE notre langage soit doux, franc, sincère,

Qron

rond, naïf et fidèle. Gardez-vous des duplicités, artifices et feintises; car bien qu'il ne soit pas bon de dire toujours toutes sortes de vérités, si n'est-il jamais permis de contrevenir à la vérité. Accoutumez-vous à ne jamais mentir à votre escient, ni par excuse, ni autrement, vous ressouvenant que Dieu est le Dieu de vérité. Si vous en dites par mégarde et vous pouvez les corriger sur-le-champ, par quelque explication ou réparation, corrigez-les; une excuse véritable a bien plus de grâce et de force pour excuser que le

mensonge.

Bien que quelquefois on puisse discrètement et prudemment déguiser et couvrir la vérité par quelque artifice de parole, si ne faut-il pas pratiquer cela, sinon en chose d'importance, quand la

gloire et le service de Dieu le requièrent manifestement. Hors de là, les artifices sont dangereux; car, comme dit la sacrée parole, « le Saint-Esprit << n'habite point en un esprit feint et double. » Il n'y a nulle si bonne et désirable finesse que la simplicité. Les prudences mondaines et artifices charnels appartiennent aux enfants de ce siècle; mais les enfants de Dieu cheminent sans détour et ont le cœur sans replis. « Qui chemine simplement, << dit le Sage, chemine confidemment; » le mensonge, la duplicité, la simulation, témoignent toujours un esprit faible et vil.

Saint Augustin avait dit, au quatrième livre de ses Confessions, que son âme et celle de son ami n'étaient qu'une seule âme, et que cette vie lui était en horreur après le trépas de son ami, parce qu'il ne voulait pas vivre à moitié, et qu'aussi, pour cela même, il craignait à l'aventure de mourir, afin que son ami ne mourût du tout. Ces paroles lui semblèrent par après trop artificieuses et affectées; si bien qu'il les révoque au livre de ses rétractations, et les appelle une ineptie. Voyezvous, chère Philothée, combien cette sainte et belle âme est douillette au sentiment de l'afféterie des paroles. Certes, c'est un grand ornement de la vie chrétienne que la fidélité, rondeur et sincérité du langage. « J'ai dit : Je prendrai garde à mes

<< voies pour ne point pécher en ma langue. Hé, « Seigneur! mettez des gardes à ma bouche, et « une porte qui ferme mes lèvres, » disait David.

C'est un avis du roi saint Louis, de ne point dédire personne, sinon qu'il y eût péché ou grand dommage à consentir. C'est afin d'éviter toutes contestes et disputes. Or, quand il importe de contredire à quelqu'un, et d'opposer son opinion à celle d'un autre, il faut user de grande douceur et dextérité, sans vouloir violenter l'esprit d'autrui; car aussi bien ne gagne-t-on rien, prenant les choses âprement.

Le parler peu, tant recommandé par les anciens sages, ne s'entend pas qu'il faille dire peu de paroles, mais de n'en dire pas beaucoup d'inutiles; car, en matière de parler, on ne regarde pas à la quantité, mais à la qualité, et me semble qu'il faut fuir les deux extrémités; car, de faire trop l'entendu et le sévère, refusant de contribuer aux devis familiers qui se font dans les conversations, il semble qu'il y ait ou manquement de confiance, ou quelque sorte de dédain; de babiller aussi et cajoler toujours, sans donner ni loisir, ni commodité aux autres de parler à souhait, cela tient de l'éventé et du léger.

Saint Louis ne trouvait pas bon qu'étant en compagnie l'on parlât en secret et en conseil, et

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