CHAPITRE XV. Affections générales sur les considérations précédentes, et conclusion de l'exercice. CHÈRES résolutions! vous êtes le bel arbre de vie que Dieu a planté de sa main au milieu de mon cœur, que mon Sauveur veut arroser de son sang pour le faire fructifier. Plutôt mille morts que de permettre qu'aucun vent vous arrache. Non, ni la vanité, ni les délices, ni les richesses, ni les tribulations, ne m'arracheront jamais mon dessein. Hélas! Seigneur, mais vous l'avez planté, et avez dans votre sein paternel gardé éternellement ce bel arbre pour mon jardin. Hélas! combien y a-t-il d'âmes qui n'ont point été favorisées de cette façon, et comment donc pourrai-je jamais assez m'humilier sous votre miséricorde! O belles et saintes résolutions, si je vous conserve, vous me conserverez; si vous vivez en mon âme, mon âme vivra en vous. Vivez donc à jamais, ô résolutions, qui êtes éternelles en la miséricorde de Dieu; soyez et vivez éternellement en moi! que jamais je ne vous abandonne! Après ces affections, il faut que vous particularisiez les moyens requis pour maintenir ces chères résolutions et que vous protestiez de vous en vouloir fidèlement servir: la fréquence de l'oraison,. des Sacrements, des bonnes œuvres, l'amendement de vos fautes reconnues au second point, le retranchement des mauvaises occasions, la suite des avis qui vous seront donnés pour ce regard. Ce qu'étant fait, comme par une reprise d'haleine et de force, protestez mille fois que vous continuerez en vos résolutions; et comme si vous teniez votre cœur, votre âme et votre volonté en vos mains, déliez-la, consacrez-la, sacrifiez-la, et l'immolez à Dieu, protestant que vous ne la reprendrez plus, mais la laisserez en la main de sa divine Majesté, pour suivre en tout et partout ses ordonnances. Priez Dieu qu'il vous renouvelle toute, qu'il bénisse votre renouvellement de protestation et qu'il le fortifie. Invoquez la Vierge, votre Ange, les Saints, saint Louis et autres Saints. Allez en cette émotion de cœur aux pieds de votre père spirituel; accusez-vous des fautes principales que vous aurez remarqué d'avoir commises dès votre confession générale, et recevez l'absolution en la même façon que vous fites la première fois; prononcez devant lui la protesta tion, et la signez; et enfin, allez unir votre cœur renouvelé à son principe et Sauveur, au très-saint sacrement de l'Eucharistie. CHAPITRE XVI. Des ressentiments qu'il faut garder après cet exercice. C E jour que vous aurez fait ce renouvellement, et les autres suivants, vous devez fort souvent redire de cœur et de bouche ces ardentes paroles de saint Paul, de saint Augustin, de sainte Catherine de Gênes et autres: Non, je ne suis plus mienne; ou que je vive, ou que je meure, je suis à mon Sauveur; je n'ai plus de moi ni de mien; mon moi, c'est Jésus; mon mien, c'est d'être sienne. O monde, vous êtes toujours vous-même, et moi j'ai toujours été moi-même; mais dorénavant je ne serai plus moi-même. Non, nous ne serons plus nous-mêmes, car nous aurons le cœur changé ; et le monde qui nous a tant trompés sera trompé en nous; car ne s'apercevant de notre changement que petit à petit, il pensera que nous soyons toujours des Ésaü, et nous nous trouve rons des Jacob. Il faut que tous ces exercices reposent dans le cœur, et que, nous ôtant de la considération et méditation, nous allions tout bellement entre les affaires et conversations, de peur que la liqueur de nos résolutions ne s'épanche soudainement; car il faut qu'elle détrempe et pénètre bien par toutes les parties de l'âme; le tout, néanmoins, sans effort, ni d'esprit ni de corps. CHAPITRE XVII. Réponse à deux objections qui peuvent être faites sur cette Introduction. monde vous dira, ma Philothée, que ces Lexercices et ces avis sont en si grand nombre, que, qui voudra les observer, il ne faudra pas qu'il vaque à autre chose. Hélas! chère Philothée, quand nous ne ferions autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde. Mais ne voyez-vous pas la ruse? S'il fallait faire tous ces exercices tous les jours, à la vérité ils nous occuperaient du tout; mais il n'est pas requis de les faire, sinon en temps et lieu, chacun selon l'occurrence. Combien y a-t il de lois civiles au Digeste et au Code, lesquelles doivent être observées; mais cela s'entend selon les occurrences, et non pas qu'il les faille toutes pratiquer tous les jours. Au demeurant, David, roi plein d'affaires très-difficiles, pratiquait bien plus d'exercices que je ne vous en ai marqué. Saint Louis, roi admirable et pour la guerre et pour la paix, et qui, avec un soin non pareil, administrait la justice et maniait les affaires, oyait tous les jours deux messes, disait vêpres et complies avec son chapelain, faisait sa méditation, visitait les hôpitaux, tous les vendredis se confessait et prenait la discipline, entendait très-souvent des prédications, faisait fort souvent des conférences spirituelles, et avec tout cela ne perdait pas une seule occasion du bien public extérieur, qu'il ne fît et n'exécutât diligemment; et sa cour était plus belle et florissante qu'elle n'avait jamais été du temps de ses prédécesseurs. Faites donc hardiment ces exercices, selon que je vous les ai marqués, et Dieu vous donnera assez de loisir et de force de faire tout le reste de vos affaires; oui, quand il devrait arrêter le soleil, comme il fit du temps de Josué. Nous faisons toujours assez quand Dieu travaille avec nous. . Le monde dira que je suppose, presque partout, que ma Philothée ait le don de l'oraison mentale, |