CHAPITRE XI. Qu'il se faut purger des affections que l'on a aux péchés A véniels. mesure que le jour se fait, nous voyons plus clairement dans le miroir les taches et souillures de notre visage; ainsi, à mesure que la lumière intérieure du Saint-Esprit éclaire nos consciences, nous voyons plus distinctement et plus clairement les péchés, inclinations et imperfections qui nous peuvent empêcher d'atteindre à la vraie dévotion. Et la même lumière qui nous fait voir ces tares et déchets nous échauffe au désir de nous en nettoyer et purger. Vous découvrirez donc, ma chère Philothée, qu'outre les péchés mortels et les affections des péchés mortels, dont vous avez été purgée par les exercices marqués ci-devant, vous avez encore en votre âme plusieurs inclinations et affections aux péchés véniels. Je ne dis pas que vous découvrirez des péchés véniels; mais je dis que vous découvrirez des affections et inclinations à ceux-ci. Or, l'un est bien différent de l'autre car nous ne pouvons jamais être du tout purs des péchés véniels, au moins pour persister longtemps en cette pureté; mais nous pouvons bien n'avoir aucune affection aux péchés véniels. Certes, c'est autre chose de mentir une fois ou deux de gaîté de cœur, en chose de peu d'importance, et autre chose de se plaire à mentir et d'être affectionné à cette sorte de péché. Et je dis maintenant qu'il faut purger son âme de toutes les affections qu'elle a aux péchés véniels; c'est-à-dire qu'il ne faut point nourrir volontairement la volonté de continuer et persévérer en aucune sorte de péché véniel. Car aussi seraitce une lâcheté trop grande de vouloir, tout à notre escient, garder en notre conscience une chose si déplaisante à Dieu, comme est la volonté de lui vouloir déplaire. Le péché véniel, pour petit qu'il soit, déplaît à Dieu, bien qu'il ne lui déplaise pas tant que, pour celui-ci, il nous veuille damner ou perdre. Que si le péché véniel lui déplaît, la võlonté et l'affection que l'on a au péché véniel n'est autre chose qu'une résolution de vouloir déplaire à sa divine Majesté. Est-il bien possible qu'une âme bien née veuille non-seulement déplaire à son Dieu, mais s'affectionner de lui déplaire? Ces affections, Philothée, sont directement contraires à la dévotion, comme les affections au péché mortel le sont à la charité; elles allanguissent les forces de l'esprit, empêchent les consolations divi nes, ouvrent la porte aux tentations, et, bien qu'elles ne tuent pas l'âme, elles la rendent extrêmement malade. Les mouches mourantes, dit le sagé, perdent et gâtent la suavité de l'onguent; il veut dire que les mouches ne s'arrêtant guère sur l'onguent, mais le mangeant en passant, ne gâtent que ce qu'elles prennent, le reste demeurant en son entier; mais, quand elles demeurent en l'onguent, elles lui ôtent son prix et le mettent à dédain; de même les péchés véniels, arrivant dans une âme dévote et ne s'y arrêtant pas longtemps, ne l'endommagent pas beaucoup; mais, si ces mêmes péchés demeurent dans l'âme pour l'affection qu'elle y met, ils lui font perdre sans doute la suavité de l'onguent, c'est-à-dire la sainte dévotion. Les araignées ne tuent pas les abeilles, mais elles gâtent et corrompent leur miel, et embarrassent leurs rayons des toiles qu'elles y font; en sorte que les abeilles ne peuvent plus faire leur ménage; et cela s'entend quand elles y font du séjour. Ainsi, le péché véniel ne tue pas notre âme, mais il gâte pourtant la dévotion et embarrasse si fort de mauvaises habitudes et inclinations les puissances de l'âme, qu'elle ne peut plus exercer la promptitude de la charité, en laquelle gît la dévotion. Mais cela s'entend quand le péché véniel séjourne en notre conscience par l'affection que nous y mettons. Ce n'est rien, Philothée, de dire quelque petit mensonge, de se dérégler un peu en paroles, en actions, en regards, en habits, en jolivetés, en jeux, en danses, pourvu que tout aussitôt que ces araignées spirituelles seront entrées en notre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches à miel font les araignées corporelles. Mais, si nous leur permettons d'arrêter dans nos cœurs, et, non-seulement cela, mais que nous nous affectionnions à les retenir et multiplier, bientôt nous verrons notre miel perdu, et la ruche de notre conscience empêtrée et défaite. Mais je redis encore une fois, quelle apparence y a-t-il qu'une âme généreuse se plaise à déplaire à son Dieu et s'affectionne à lui être désagréable, et veuille vouloir ce qu'elle sait lui être ennuyeux ? CHAPITRE XII. Qu'il se faut purger de l'affection aux choses inutiles et dangereuses. Es jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies, en leur substance, ne sont nullement choses mauvaises, mais indifférentes, pouvant être bien et mal exercées; toujours, néanmoins, ces choses-là sont dangereuses, et, de s'y affectionner, cela est encore plus dangereux. Je dis donc, Philothée, qu'encore qu'il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouïr d'honnêtes comédies, banqueter; si est-ce que d'avoir de l'affection à cela, c'est chose contraire à la dévotion et extrêmement nuisible et périlleuse. Ce n'est pas mal de le faire, mais oui bien de s'y affectionner. C'est dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si vaines et sottes; cela occupe le lieu des bonnes impressions et empêche que le suc de notre âme ne soit employé en bonnes inclinations. Ainsi, les anciens Nazaréens s'abstenaient nonseulement de tout ce qui pouvait enivrer, mais aussi des raisins et du verjus, non point que le raisin ou le verjus enivrent, mais parce qu'il y avait danger, en mangeant du verjus, d'exciter. le désir de manger des raisins, et, en mangeant des raisins, de provoquer l'appétit à boire du moût et du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses; mais je dis bien. pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l'affection, sans intéresser la dévotion. Les cerfs ayant pris trop de venaison s'écartent et retirent dans leurs buissons, connaissant que leur graisse |