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Il n'y a pas grand'chose à signaler cette quinzaine. Anglais et Boers restent sur leurs positions et aucune action décisive ne s'est produite. Les seuls événements un peu importants sont les opérations de la colonne French aux abords de Colesberg et l'attaque de Ladysmith par les Boers, attaque qui n'a pu amener la prise de la ville, mais qui a dû affaiblir sensiblement les forces de la garnison. Le War Office reste muet, en effet, sur les pertes anglaises subies dans cette affaire et ce mutisme doit avoir ses raisons. Il y a eu, il est vrai, beaucoup de marches et de contremarches, toute une série de petits engagements au milieu desquels il est très difficile de se reconnaître. Il semble que les Anglais cherchent à remporter quelques succès de détail qui, habilement grossis et glorifiés, puissent donner satisfaction à l'opinion publique et rendre un peu de cœur aux troupes d'occupation qui commencent, dit-on, à se démoraliser. Mais comme, en même temps, le général Buller ne veut tenter aucun effort sérieux avant l'arrivée de lord Roberts et que, de leur côté, les Boers ne mettent aucune bonne volonté à se prêter à ses petits calculs intéressés, toutes ces manœuvres n'ont, en somme, aboutià aucun résultat.

Le général French, en bon et fidèle sujet, a voulu offrir à la Reine son présent de nouvelle année. Le 1er janvier le War Office cannonçait que la colonne French avait infligé une défaite complète aux Boers et avait occupé Colesberg. L'enthousiasme fut vif à Londres. Enfin, on avait un général sachant manœuvrer et réussissant, par l'habileté et la promptitude de ses mouvements, à surprendre un adversaire si redoutable par sa mobilité même. La prise de Colesberg était présentée comme d'une grosse importance stratégique, car elle devait préparer le rétablissement des communications avec la colonne. Methuen et assurer le ravitaillement de la colonne de secours. Malheureusement, de nouveaux détails arrivèrent qui donnèrent à ce combat de Colesberg un tout autre caractère. D'abord la ville même de Colesberg n'était nullement tombée entre les mains des Anglais. On l'apprit le 3 janvier par une dépêche de Naauwport signalant un singulier incident :

Vingt-six wagons chargés de provisions, disait la dépêche, se trouvaient à Rensburg lorsque, tout à coup, ils se mirent en mouvement le long d'une rampe, dans la direction de Colesberg. La vitesse s'augmentant peu à peu, les wagons arrivèrent à un ponceau qui était brisé au delà du garage de Plewman. Ils déraillèrent et se brisèrent. Les Boers commencèrent à débarquer les marchandises. Les Anglais lancèrent de Rensburg un autre

1 Cf. Questions diplomatiques et coloniales, no 69, page 28.

train transportant une compagnie d'infanterie et des travailleurs indigènes afin de recouvrer les provisions. Les Boers ouvrirent le feu sur les Anglais à Vanderwaltfontein. Ceux-ci furent obligés de chercher un abri derrière un cours d'eau voisin. Les Boers bombardèrent les trains, tuant les travailleurs indigènes. Le train de secours revint. Les pertes sont inconnues.

Colesberg n'était donc pas prise; bientôt on apprit aussi que les Boers, solidement établis sur leurs positions qu'ils n'avaient jamais abandonnées, continuaient à soutenir contre les Anglais un duel d'artillerie nourri et que le général French, qui ne disposait que de 2.500 hommes environ, se déclarait sûr d'évincer l'ennemi si on lui envoyait de légers renforts.

Les renforts n'arrivèrent pas, mais les Boers reprirent l'offensive. Le 4 janvier ils attaquèrent le flanc gauche de la colonne French à trois milles de Colesberg. L'engagement ne semble pas avoir eu de résultat général appréciable, mais les Anglais eurent un commandant tué et deux officiers blessés. Enfin, le 6, le général French annonçait qu'un grave accident était arrivé au premier régiment de Suffolk. Voici d'ailleurs la dépêché publiée par le War Office à ce sujet :

Dépêche du Cap. Le général French annonce, le 6 janvier, que la situation est à peu près la même qu'hier, mais qu'un grave accident est arrivé au premier régiment de Suffolk. Il paraît, d'après les dernières nouvelles, que, sur l'ordre et à la connaissance du général French, quatre compagnies de ce régiment s'avancèrent pendant la nuit vers une petite colline, à un mille du camp. Elles attaquèrent les républicains au lever du jour. Le lieutenant-colonel Watson, qui les commandait, leur donna l'ordre de donner l'assaut, mais il fut aussitôt blessé. L'ordre de battre en retraité ayant été donné, dit-on, par les républicains eux-mêmes (?), les trois quarts de la troupe anglaise battirent en retraite vers le camp. L'autre quart n'abandonna pas sa position, mais, enfin, accablé par le nombre, dut se rendre. Nous avons perdu 70 prisonniers, dont 7 officiers.

Dans ces conditions, il semblait bien pourtant que, malgré le ton joptimiste de la dépêche, la situation eût quelque peu changé pour le général French! En tous cas, les Boers ne songent toujours nullement à évacuer Colesberg. De plus, la liste rectifié des pertes anglaises du 6 janvier prouve que ces pertes étaient plus fortes qu'on ne l'avait dit d'abord. La liste donne en effet tués, 1 commandant, 3 lieutenants, 23 hommes; blessés, 21 hommes; manquants, 6 officiers, 107 hommes. Total, 161. Si l'on ajoute à ce chiffre celui de 36 tués, blessés et manquants, pertes survenues entre le 1er et le 4 janvier, on obtient un total de 217 hommes pour la colonne French pendant la première semaine de janvier. C'est beaucoup pour un corps de 2.500 hommes seulement.

Pendant ce temps, le général Gatacre, harcelé par les commandos qui l'entourent et d'ailleurs trop affaibli pour tenter un coup de

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hardiesse quelconque, restait inactif à Sterkstroom. Un moment cependant les Boers cherchèrent à l'attirer, comme ils l'avaient fait une première fois avec tant de succès, sur leurs positions redoutables de Stormberg. Ils s'emparèrent, après une marche de nuit, de Molteno gardée par un petit détachement anglais. Mais le général Gatacre, rendu prudent par l'expérience, se contenta de refouler les Boers au delà de Molteno et s'abstint de les poursuivre dans leur retraite.

Quant à lord Methuen, il reste campé sur la Modder dans une inaction absolue. Peut-être d'ailleurs est-il hors d'état de faire aucun mouvement effectif. On apprend seulement, par instant, que les Boers ont lancé quelques obus dans le camp anglais. Les nouvelles cependant laissent percer que des commandos de Boers, ou sans doute plus exactement d'Afrikanders soulevés, opèrent le long de la ligne de chemin de fer sur les derrières de lord Methuen et que celui-ci s'en préoccupe vivement. Il envoya, en effet, en reconnaissance le colonel Pilcher qui défit le 1er janvier un commando boer à Sunny Side aux environs de Belmont et s'empara de Douglas. Cette opération avait évidemment pour but de dégager la ligne du Cap à Kimberley. Mais le colonel Pilcher fut obligé d'évacuer Douglas presque aussitôt y être entré et il semble què les communications restent toujours assez compromises.

De Kimberley, rien. De Mafeking, au contraire, on a reçu des nouvelles, mais lamentables pour la garnison. On a appris en effet que, le 26 décembre, le colonel Baden-Powel avait essuyé un sanglant échec au cours d'une sortie.

Le cercle d'investissement des Boers doit vraiment se resserrer de plus en plus, pour que le colonel Baden-Powel se soit décidé à tenter une attaque aussi dangereuse, qui lui a fait subir des pertes irreparables. Voici la dépêche publiée le 5 janvier par le War Office :

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Nous avons attaqué un des ouvrages de l'ennemi, ce matin, dans le but d'élargir le cordon d'investissement vers le Nord. Les troupes de sortie comprenaient deux escadrons du régiment du protectorat, un des fusiliers du Bechouanaland, trois canons, un train blindé, etc.

L'ennemi avait renforcé sa position pendant la nuit, et sa garnison avait été doublée depuis la reconnaissance d'hier. Cependant notre attaque fut poussée avec la plus grande bravoure et la plus grande résolution sous un feu très nourri; mais tous les efforts pour emporter la position par escalade échouèrent, le fort étant virtuellement imprenable.

Notre colonne d'attaque ne s'est retirée qu'après que six officiers et un grand nombre d'hommes eurent été atteints. Le courage et l'élan déployés sont au-dessus de toute comparaison.

Suit une liste des pertes comprenant :

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officiers tués; 18 hommes tués; 1 officier blessé; 24 hommes blessés; 3 hommes prisonniers.

Il faut à ce propos remarquer que le milieu et la fin de cette dépêche sont contradictoires en ce qui concerne le nombre des officiers tués et blessés. Mais on ne doit pas demander aux dépêches du War Office une clarté et une précision incompatibles avec les exigences de la

censure.

Ajoutons que, suivant une dépêche du Berliner Tagblatt, la garnison de Mafeking serait presque complètement décimée, que les Boers occuperaient toutes les hauteurs dominant la ville et que la reddition de la place serait imminente.

Enfin, pour en finir avec les opérations de cette région, il convient de signaler la prise de Kuruman effectuée sur les Boers le 2 janvier. Kuruman, ancienne capitale des Bechouanas, situé loin à l'ouest du chemin de fer du Cap, n'en conserve pas moins de l'importance à cause de la fertilité du district qui l'entoure. Les missionnaires y avaient fondé, il y a trente ans, un grand établissement agricole et y étaient devenus possesseurs d'une grande exploitation autour de laquelle s'est formée la ville européenne. Abondamment arrosée par la rivière Kuruman, qui sort en cascade d'une caverne profonde, la ville a ce privilège presque unique dans l'Afrique australe d'être assurée contre toute sécheresse. Cette circonstance et sa situation au nord-est de Kimberley en font un poste avancé des plus enviables. La ville était défendue par un contingent de la police montée du Cap. Le 2 janvier, après un combat qui dura jusqu'à six heures du soir, la garnison anglaise dut capituler. Les Boers firent 120 prisonniers dont 12 officiers. Ils prirent, en outre, 60 indigènes cafres qui combattaient avec les Anglais. Un grand nombre d'armes, de munitions et de provisions furent également saisis et expédiés à Prétoria.

Dans le Natal, le général Buller continue à ne pas bouger, et son attitude commence d'ailleurs à soulever de vifs commentaires en Angleterre, comme le montre le télégramme suivant du correspondant du Temps à Liverpool :

Liverpool, 10 janvier, 9 h. 50.

Voilà trois semaines depuis la bataille de Colenso, et l'inactivité du général Buller préoccupe vivement l'opinion publique tant dans les provinces que dans la Cité. Il n'est pas un journal qui ne commente avec plus ou moins d'aigreur ce fait d'apparence extraordinaire : l'immobilité d'une armée anglaise forte de plus de 30.000 hommes devant les retranchements boers quand 35 kilomètres sculement la séparent d'une autre armée anglaise assiégée depuis soixante-neuf jours et plus ou moins aux abois. Les uns cherchent à s'expliquer le phénomène par un grand mouvement tournant vers Weenen ou Springfield qui se prépare, le général Buller ne voulant frapper que lorsque la combinaison sera assurée. Les autres attribuent l'inaction du général aux ordres du gouvernement, et ccla malgré le récent discours de M. Balfour.

Il est de fait que cette inaction du général Buller est assez surprenante. L'arrivée de sir Charles Warren à Chieveley le 27 décembre avait pu faire croire que l'on renonçait à envahir le Transvaal par l'Orange et que l'on préparait un coup de force sur la Tugela. Cependant rien ne s'est produit que de continuelles escarmouches sans aucune portéc. Et tandis que les Anglais restent ainsi figés sur leurs positions, les Boers continuent à élever sur la Tugela des retranchements formidables reliés ensemble par des tranchées ouvertes et aussi par des petites lignes ferrées qui leur permettent de transporter des canons d'un point à un autre avec une rapidité étonnante.

De plus, à Ladysmith, la situation devient très grave. A partir de Noël, les Boers, redoublant d'énergie, se livrèrent à un bombardement ininterrompu qui fit souffrir beaucoup la ville déjà très éprouvée par la dysenterie et la fièvre entérique. Puis, le 8 janvier, ils donnèrent l'assaut, qui fut, il est vrai, repoussé. Voici la dépêche du War Office à ce sujet :

Camp de Frere, 8 janvier.

Le général White télégraphie hier, à deux heures de l'après-midi : Une attaque a été commencée 【sur mes positions, mais principalement contre le camp César et Wagon hill. L'ennemi était en très grand nombre et dirigeait son attaque avec le plus grand courage et la plus grande énergie. Quelques-uns de nos retranchements sur Wagon hill ont été pris par l'ennemi et repris par nous.

L'attaque a continué jusqu'à sept heures et demie du soir.

Un point de nos positions a été occupé par l'ennemi pendant toute la journée; puis, à la chute du jour, par un orage de pluie très chaud, les Boers ont été repoussés de cette position à la pointe de la baionnette par le régiment de Devonshire. Les troupes se sont comportées très courageusement; elles ont été durement éprouvées.

Les soldats sont enthousiasmés des services qu'ils ont rendus à la reine. L'ennemi a été repoussé sur tous les points avec de très fortes pertes, qui dépassent beaucoup les miennes, et que je ferai connaître aussitôt que le chiflre en sera prêt.

Ce sont ces pertes des troupes anglaises que le War Office ne s'est pas encore décidé à publier, ce qui n'est pas sans causer de grandes inquiétudes à Londres. Il est clair que, malgré son succès, le général White n'est pas dans une situation brillante. Le résultat le plus certain de ce combat aura été d'avancer de quelques jours l'épuisement de ses munitions et d'augmenter sensiblement la fatigue de ses soldats.

Quant au général Buller, il n'a pas marché au canon: c'est certainement le symptôme le plus grave de la pénible situation des Anglais au Natal.

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