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ne peuvent s'empêcher d'observer qu'avec la diplomatie anglaise toute question coloniale est épineuse et difficile à régler, qu'avec la diplomatie allemande les égards mutuels et la juste mesure sont mieux respectés. D'un côté, c'est l'histoire perpétuellement renouvelé d'un Brazza, d'un Mizon, d'un Marchand humiliés ; c'est l'emploi de la menace et de l'ultimatum; de l'autre, la discussion courtoise, l'examen consciencieux des problèmes les plus irritants. Le contraste finit par frapper les esprits les moins prévenus, par indisposer les amis les plus fidèles de ce qu'il y a de bon et de louable dans le caractère britannique. C'est la genèse de ce projet d'une ligue défensive entre trois puissances que heurte l'expansion anglaise : l'une, la Russie, dans ses desseins coloniaux d'Asie centrale et orientale; l'autre, l'Allemagne, dans son essor commercial et maritime; la troisième, la France, dans ses entreprises d'Afrique, d'Indo-Chine, de Chine même, toutes trois et d'autres encore en Égypte.

VI

Les difficultés auxquelles la Grande-Bretagne est en butte dans l'Afrique australe ne soulèvent pas seulement une réprobation morale, restée prudente et silencieuse tant que l'on escomptait l'ordinaire solution de l'écrasement du plus faible par le plus fort. L'acte de brigandage d'un Jameson, la flibusterie d'allures financières et diplomatiques de Cecil Rhodes, non moins coupable que celle de Jameson, pour être plus dissimulée, ne sont point les seules causes ni même les causes prépondérantes qui ont rendu quelque unité et quelque vigueur à la conscience européenne, jusque là fort assoupie. Au reste, si l'on veut comprendre et apprécier, sans excès de ressentiment, la crise d'opinion qui révèle dans le monde civilisé tout autre chose que de l'enthousiasme pour la politique anglaise, il faut éviter avec soin les accusations injustifiées contre le peuple auquel la fortune et le jugement du monde civilisé sont si défavorables dans le débat actuel. Qu'on reproche aux chefs responsables de la diplomatie britannique d'exagérer les griefs des « uitlanders » du, Transvaal, de ne pas comprendre quel respect est dû à l'indépendance des Boers, quoique pasteurs et cultivateurs (ce qui évidemment exige quelque effort d'un peuple industriel et commerçant à outrance comme le peuple anglais), de ne pas admettre qu'une nation désire contrôler l'exploitation par l'étranger des richesses de son sol, rien n'est plus légitime. Si quelque « trust » américain des charbons manœuvrait pour accaparer nombre de houillères de Grande-Bretagne et les faire exploiter par des étrangers, on se demande où s'arrêterait l'exaspération de nos voisins, exaspération très légitime, puisque leur indépendance politique et leur force navale seraient par là gravement

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menacées. Rien, en bon droit, n'empêchait l'État boer, État indépen dant et reconnu tel, de subordonner l'exploitation des mines d'or à des conditions fiscales ou autres de son choix. L'or est un assez grand facteur de puissance politique et militaire pour être, comme la houille, l'objet d'une surveillance de la part du peuple sur le territoire duquel il a été découvert : voilà ce qu'il faut dire et répéter aux étrangers, anglais, allemands ou français, qui vivent de l'exploitation des mines d'or du Transvaal, et ce que les Anglais seuls ont méconnu en traitant à faux et violemment la question des << uitlanders ».

Mais que l'on n'accuse pas les Anglais, si blâmable que soit leur politique, d'envoyer 100.000 hommes en Afrique Australe pour dérober leurs mines d'or aux Boers. Le reproche est illusoire, puisque les Boers sont aussi peu propriétaires que possible de ces richesses de leur patrie; du festin auquel prennent part les capitalistes d'Europe, ils n'ont que les miettes, eux chez qui l'on fait bombance d'or. Voilà beau temps que la conquète de leurs mines d'or est faite et leur expropriation consommée à coup de capitaux, et que, de bonne grâce, avec une modération qui leur fait honneur, ils se contentent d'un rôle de surveillants et de très raisonnables percepteurs de contributions. Ce ne sont pas les coups de canon du général Buller, ce sont les «< coups de bourse », les jeux de fausses nouvelles de financiers qui siègent confortablement dans les plus riches maisons de Londres, qui mettent, sous forme d'actions achetées à la baisse, les mines d'or transvaaliennes dans des mains anglaises; et la conquête ne se fait pas aux frais des Boers, mais aux dépens d'Allemands et de Français qu'on induit à mal vendre leur gage. La campagne anglaise n'a donc pas pour but cette nouvelle conquête de la Toison d'or; et notre expérience d'Égypte aurait dù nous apprendre que la diplomatie anglaise excelle à préparer ou à achever par des « coups financiers » les coups de force on sait comment la majorité des actions du Suez émigra en Angleterre.

VII

La crise anglo-transvaalienne est beaucoup plus grave pour l'Europe qu'une infraction à la loi morale, par la menace de supprimer des peuples libres, plus grave qu'un attentat mercantile visant le monopole de l'or sud-africain. Cette lutte localisée est d'importance universelle: Les Boers défendent, sans en avoir conscience (mais nous en prenons conscience pour eux), l'Europe colonisatrice contre la confiscation de l'Afrique, du Cap au Caire, par l'Angleterre seule. Leur cause est celle qu'on a laissée succomber en faisant revenir, sous la menace d'un ultimatum, Marchand de Fachoda, et l'asservissement

du Transvaal et de l'Orange serait le prélude de l'asservissement plus complet de cette Égypte qn'on promit jadis d'évacuer et qui reste occupée, au parfait mépris du droit des gens. Occupation indue de l'Égypte, essai de destruction du royaume éthiopien par les armes italiennes, tentative de confiscation du Haut-Nil par une habile négociation avec l'état du Congo, menaces à la France qui avait atteint le Nil par le Congo, enfin essai de suppression des peuples boers, il y a là une suite logique dont la rigueur n'échappe pas à l'Europe. Là est la généralité de la question qui se règle si cruellement sous nos yeux: l'océan Indien sera-t-il un lac anglais, et l'Afrique orientale, celle du Nil et des grands lacs, celle qui va, sans interruption désertique, du Nord au Sud, celle dont le Transsaharien naturel est le Nil, sera-t-elle, par la politique ou par la confiscation financière, une sorte de monopole britannique? L'Égypte libre et internationale était un obstacle à ce rêve grandiose : l'existence d'un groupe compact de Boers indépendants en est un autre. On dit que Ménélik le comprend; il semble que les Égyptiens en prennent conscience.

Le problème d'équilibre colonial intéresse d'abord tous les peuples maritimes et coloniaux qui doivent exiger la vraie liberté du passage de Suez; et on se demande ce que vaut la liberté du canal sans la liberté de l'Égypte garantie par le contrôle des intéressés. En second lieu, l'Allemagne, par son précieux domaine d'Afrique orientale, la France par Madagascar et sa colonie de Djibouti, débouché d'une partie de l'Éthiopie, enfin l'Italie par ses territoires si chèrement achetés de l'Érythrée, par ses acquisitions de la Somalie, ont le droit et le devoir d'être préoccupés de tout incident qui a sa répercussion sur la condition politique et économique de l'Afrique orientale.

En même temps que celte question, se pose celle de la liberté des mers, du droit de visite, qui est aussi question d'équilibre. Certes, la guerre actuelle laisse croire, j'allais dire espérer, que la GrandeBretagne, instruite par l'expérience, va consacrer sa sollicitude et sa richesse à l'organisation d'une forte armée de terre, ce qui aurait pour résultat salutaire d'atténuer l'intensité maladive de son rève de suprématie navale. Il est une autre manière d'envisager le problème. Une fois brisée la résistance des Républiques sud-africaines, l'Angleterre sera, au contraire, beaucoup plus libre de menacer sur mer quiconque gênera sa prééminence perspective qui peut laisser parfaitement indifférent l'empire russe, mais est faite pour inquiéter fort l'Allemagne et même la France, sans parler de tous les autres peuples qui aspirent à prendre leur part des bienfaits du négoce maritime et de la colonisation. Voilà les éléments essentiels d'une résurrection désirable de la « ligue des neutres »; rien d'étonnant que l'on en perçoive, dans l'opinion encore timide des peuples menacés ou lésés, les signes précurseurs.

VIII

L'auteur de cette étude toute théorique s'est contenté d'analyser, sans avoir la témérité de se substituer aux diplomates, une situation de fait et une condition d'opinion internationale également compliquées. Il sait qu'on ne gagne rien à menacer les peuples étrangers, et qu'on risque seulement de gêner, par des critiques excessives et des provocations inconsidérées, l'œuvre si difficile, si cruelle de l'homme d'État qui a charge de nos destinées, qui souffre le premier, et par une atteinte directe, des humiliations infligées à son pays, qui est souvent dans la dure nécessité de taire les meilleurs arguments de sa justification personnelle pour réserver l'avenir de son pays. A tout ministre on doit, pour être juge équitable, des semaines ou des mois de délai: au ministre des affaires étrangères, de quelque parti politique qu'il soit, on doit des années de crédit. J'en ai pleine conscience, et je tiens à le dire.

C'est aussi sans colère, sans haine contre l'étranger défenseur de ses intérêts, que j'ai envisagé des hypothèses de discussions ou de luttes; il en faut pourtant venir là, puisque la France, pacifique jusqu'à l'extrême limite de sa dignité et de son intérêt, peut se trouver hélas! brusquement en face d'une provocation; ce n'est point notre faute si nous ne pouvons plus garder une attitude de pleine sécurité. Rien n'empêche que du conflit si vaste, dont nous envisageons une phase fugitive mais bien dramatique, résulte, entre nos voisins d'outre-Manche et nous. ou d'autres, des arrangements équitables et dignes de garantir la paix. Mais, au-dessus des contestations qui se peuvent apaiser et résoudre, on perçoit clairement quelques difficultés plus hautes, dont chacune intéresse plusieurs peuples et dont la solution appelle des groupements d'efforts, des associations de desseins, bref une entente particulière et limitée, ou générale et durable. On sent ce besoin chez plusieurs peuples d'Europe; et il est bien permis de supposer, d'espérer même que, de mouvements d'opinion d'une intensité croissante, dérivera quel que sanction internationale favorable à l'équilibre du monde, c'est-à-dire à sa paix.

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D'AIN-SEFRA A DJENIEN-BOU-REZG

Le chemin de fer d'Aïn-Sefra à Djenien-bou-Rezg a été inauguré officiellement le 1er février dernier. C'est là un important événement colonial. Il ne s'agit pas, en la circonstance, d'une ligne départementale quelconque, mais d'une œuvre qui intéresse toute notre politique saharienne.

Peu de jours auparavant, l'année 1900 venait de s'ouvrir par l'entrée d'un petit détachement de nos troupes dans le plus fameux de ces ksour. du Touat, si souvent conquis en paroles. Ces deux faits, qu'un intelligent hasard a rapprochés à un intervalle si court, caractérisent nettement la politique active suivie par M. Laferrière dans le Sud algérien.

La préface nécessaire de toute action est la reconnaissance scientifique des différentes régions sahariennes, des groupements de population, des voies de communication. C'était le but assigné, en ce qui concerne les oasis du Touat, à la mission Flamand, qui a vu s'ajouter à son œuvre, pour la consacrer de la manière la plus heureuse, la prise d'In-Salah.

On voit, dès lors, quelles sont les questions à résoudre, et déjà des actes nous révèlent les moyens par lesquels on poursuit leur solution. C'est d'abord la pacification des vastes territoires qu'habitent ou parcourent les Maures et les Touareg, de la région du Sénégal et de Tombouctou jusqu'aux confins du Maroc. C'est, ensuite, après l'occupation d'In-Salah et du Tidikelt, celle du Touat et du Gourara. C'est, enfin, à l'Est, l'achèvement du tracé de notre frontière tunisotripolitaine et sa jonction avec les délimitations prévues par la dernière convention franco-anglaise.

L'établissement de lignes télégraphiques et de voies ferrées marche de pair avec cette action politique. Le télégraphe, qui reliait tous nos postes du Sud au Tell, les réunit maintenant transversalement, du Maroc au golfe de Gabès; dans dix jours le bureau télégraphique de Duveyrier sera ouvert, dans trois mois celui d'In-Salah. C'est dans le mème but qu'a été poursuivi l'achèvement de la ligne ferrée d'Aïn-Sefra à Djenien-bou-Rezg, immédiatement suivi de la mise en chantiers du tronçon de Djenien à Duveyrier, ainsi que de l'étude du tracé de Duveyrier à Igli et au Touat. A cette station de Djenien, si heureusement appelée par M. Laferrière un terminus et une tête de ligne, la locomotive a enfin franchi l'Atlas saharien et s'apprête à descendre vers les oasis du Sud-Ouest.

C'est au gouverneur général de l'Algérie, M. Laferrière, que revient

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