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journalier de 100 kilos de caoutchouc, en moyenne, qui auront été payés, l'un dans l'autre, à raison de 5 francs le kilogramme.

Ce caoutchouc quí, la plupart du temps, aura été payé en marchandises européennes, reviendra exactement à 3 fr. 75 au maximum. Le commerçant qui ira le porter à la compagnie en retirera, sans nul doute, de 6 à 6 fr. 25 le kilo.

En admettant que ses frais généraux atteignent 50 francs par jour, ce qui est hors de toute proportion, il est aisé de se rendre compte des bénéfices énormes qu'il aura réalisés au bout d'une année.

Tandis que le commerçant reste à sa factorerie pour en surveiller le bon fonctionnement, il serait utile que son agent allàt de temps à autre faire une tournée en rivière, visiter les traitants noirs susceptibles d'avoir un certain lot de caoutchouc, et prendre note des marchandises européennes qui pourraient leur faire défaut.

Pour cela, ils doivent l'un et l'autre connaitre quelque peu la langue du pays, les mœurs et les usages des indigènes, et cette connaissance superficielle est loin d'exiger beaucoup de temps ou d'effort intellectuel.

La traite des arachides laisse peu de place aux bénéfices, à cause surtout des frais considérables qu'entraînent la manutention et le transport de ce produit. C'est plus particulièrement dans le haut du fleuve, à partir de Goudoum jusqu'à Sedhiou, que se traitent les grosses affaires d'arachides.

Mais le transport des arachides en Europe ne peut se faire qu'au prix de cinq transbordements pour le moins, ce qui rend les bénéfices minimes. Il est donc préférable de laisser l'apanage de ce commerce aux grandes compagnies, la compagnie française de l'Afrique occidentale par exemple, qui ont des bateaux à elles chargeant directement en Casamance pour l'Europe.

Quant au commerce des oiseaux, bien qu'il soit bien déchu de son ancienne splendeur, il est bon de ne point le dédaigner, car il assure de sérieux bénéfices.

Nous connaissons pas mal de négociants établis à Sedhiou qui retirent de ce commerce le plus clair de leurs revenus.

Nous en dirons autant pour le palmiste qui, étant d'un prix de vente plus élevé que l'arachide sur les marchés d'Europe, peut offrir encore certains avantages.

Tout ce que nous avons dit plus haut relativement au commerce qui se fait en Casamance a pour but de montrer tout l'intérêt qu'il y a pour les capitaux français à se porter vers ce point commercial, dont l'importance grandit de jour en jour.

Les étrangers l'ont bien compris, et les Belges, entre autres, ne se

sont point fait faute de venir drainer, sous nos yeux, les bénéfices qui nous revenaient de droit.

Nous savons bien qu'il n'est guère possible de les en empêcher : toutefois, ne pourrait-on exiger d'eux certaines formalités générales, et en outre, ne pourrait-on frapper les produits dont ils nous inondent au détriment des produits français, de droits tels qu'ils seraient bien contraints de se fournir en France?

Tout est à faire au double point de vue politique et économique. Les produits exportés de Casamance ont augmenté depuis dix ans dans d'énormes proportions. En 1890, on exportait 93 kilos, et dès 1893, ce chiffre s'élevait à 238.471 kilogrammes pour atteindre, l'année d'après, à 396.553 kilogrammes de caoutchouc.

Depuis lors, ce chiffre a au moins triplé, au grand avantage des caisses douanières et par suite du budget du Sénégal.

En retour, qu'a-t-on fait pour la contrée? Rien, absolument rien. La situation de la Casamance vis-à-vis du Sénégal est incompréhensible autant qu'elle est injustifiée. Le budget des recettes et des dépenses de cette colonie est réglé par le conseil général du Sénégal, lequel conseil est élu uniquement par le Sénégal. La Casamance ne possède au sein de cette assemblée aucun représentant qui puisse tout au moins essayer de défendre ses intérêts, etsi l'on daigne accepter les énormes redevances qu'elle verse annuellement dans les caisses de la colonie, en retour on ne lui accorde rien.

Les membres du conseil général, composé en majeure partie pour ne pas dire exclusivement, de mulâtres nés à Saint-Louis, à Dakar ou à Gorée, font pour leur pays d'origine tout ce qu'il leur est possible de faire, et se soucient fort peu de ce qui se passe dans les contrées qui ne fournissent ni électeurs ni élus.

Aussi voit-on, à Zighinchor, par exemple, centre très important cependant, régner le plus grand désordre et la plus incompréhensible incurie.

Pas le moindre service de voirie, pas de chemins, encore moins de routes. L'alcati ou agent de police, qui est censé recevoir 30 francs par mois de traitement, ne reçoit rien du tout et fait son service en conséquence. Le commerçant sérieux est assuré de trouver en Casamance des éléments certains de succès, et en attendant le jour, lointain sans nul doute, où, par la force même des choses, la Casamance aura conquis son autonomie, nous recommandons vivement l'exode des capitaux français vers cette contrée, certains que nous sommes qu'ils y trouveront une large source de bénéfices dans l'emploi intelligent qui en sera fait.

P. ARNAUD-RÉGIS.

L'ESSOR INDUSTRIEL & COMMERCIAL DU PEUPLE ALLEMAND

Notre collaborateur M. Georges Blondel, professeur à l'École des HautesÉtudes commerciales et au Collège libre des Sciences sociales, va publier prochainement la troisième édition de son ouvrage sur l'Essor industriel et commercial du peuple allemand (L. Larose, éditeur). A la suite d'un nouveau voyage en Allemagne, qui lui a permis de recueillir sur place bon nombre de renseignements, il a revu et remanié son travail, qui a été mis au courant des statistiques et des publications les plus récentes. M. G. Blondel veut bien nous donner quelques pages de la préface inédite dont il a fait précéder son livre, et sur laquelle nous appelons l'attention de nos lecteurs.

Plus que jamais j'estime, à la suite de nouvelles enquêtes, qu'il y a beaucoup à faire pour les Français et que le moment est moins que jamais venu de nous croiser les bras. Un combat décisif est engagé sur toutes les mers, dans tous les ports, dans tous les comptoirs, dans toutes les usines de l'univers.

Nous sommes arrivés à l'heure où les nations prennent leur place définitive dans le monde, à l'heure où la politique semble chaque jour plus étroitement dépendante des intérêts économiques, à l'heure où ne point se pourvoir, c'est s'ensevelir volontairement parmi les nations en décadence ou les peuples morts.

L'évolution contemporaine a fait surgir de nouveaux et impérieux devoirs pour tous ceux qui ont au cœur l'ambition de servir leur pays, des devoirs analogues à ceux auxquels un soldat ne peut se dérober sans trahir. La paix apparente qui règne aujourd'hui n'estelle donc pas une guerre perpétuelle d'influences disputées et conquises?

Aux idéalistes et aux raffinés qui dédaignent de s'occuper des transformations matérielles de l'humanité, je n'hésite pas à répondre que, mème au point de vue littéraire ou artistique, l'influence d'une nation ne peut survivre indéfiniment à sa richesse et surtout à son expansion au dehors. Sans doute, la prospérité économique d'un peuple n'est pas la mesure de sa valeur : une civilisation trop utilitaire offre de grands dangers. Mais les qualités les plus hautes ont besoin d'un point d'appui terrestre et le patriotisme, fût-il, comme le patriotisme français, tout pénétré d'idéalisme et de vucs désintéressées, commande une action énergique.

Un peuple, pour être grand par l'esprit, ne peut se passer d'avoir

un corps vigoureux, et ce n'est plus seulement par les armes que se conquiert la puissance. Les vraies batailles, dans cette guerre sans merci qui met aux prises tous les peuples de l'univers, se livrent aujourd'hui partout où l'initiative grandissante des États ou des particuliers promène le pavillon et les marchandises, la langue et l'esprit de la nation. Et d'ailleurs les luttes économiques ne trempentelles donc pas, elles aussi, les énergies morales? ne montrent-elles pas que le succès, aujourd'hui moins que jamais, ne se donne pas au hasard, qu'il s'achète et se mérite? La fortune a perdu son bandeau et sa roue: elle est devenue une personne très clairvoyante et très raisonnable.

On se tromperait, au surplus, si l'on croyait que je cède à un vain désir de vanter outre mesure le peuple allemand, sa supériorité morale ou sa générosité. Enquêteur consciencieux de l'Allemagne contemporaine après avoir étudié longtemps l'Allemagne d'autrefois, j'ai été frappé, plus qu'un autre peut-être, de l'application persévérante et de la méthode scientifique qui ont transformé la vie et pour ainsi dire l'esprit des peuples germaniques, qui ont triomphé d'une nature ingrate, multiplié la richesse, accru le bien-être et déjà couronné d'un certain succès l'effort, encore un peu artificiel et prétentieux, de ces récents parvenus.

Et j'ai pensé que c'était un devoir pour moi, après avoir fait de longs séjours en Allemagne, de dire sincèrement à mes compatriotes ce que je sais de ce pays, ou au moins ce que j'en pense.

Mais je n'en reste pas moins convaincu que la civilisation et le progrès d'une nation ne peuvent tenir à de simples facteurs économiques et à des causes matérielles, el que l'on ne peut impunément absorber toutes les forces vives d'un peuple dans le positivisme de la science, de la finance, du commerce ou de l'industrie.

Le génie philosophique et la puissance intellectuelle que l'Allemagne dépensait jadis en épopées métaphysiques ou en œuvres. poétiques est aujourd'hui appliqué à la découverte de nouveaux moyens de production ou à la recherche de nouveaux débouchés. Dans le silence des préoccupations idéales et des pensées généreuses, les intelligences ne s'exercent plus que dans l'enceinte étroite des recherches positives, les cœurs ne semblent plus battre que pour des calculs intéressés; les questions qui priment toutes les autres, ce sont celles de coupons à toucher, de dividendes à augmenter, de bénéfices à accroître '.

1 Dans un remarquable article de la Contemporary Review, William Clarke a fait remarquer, non sans raison, que la politique de Bismarck, si remarquable à certains égards, a abouti au matérialisme le plus étroit dans la vie et dans la pensée. « L'organisation extérieure et politique de l'Allemagne, dit-il, est magnifique. Mais les traditions de la vie domestique, simple, modeste, religieuse, n'existent plus (?).

La prospérité économique actuelle peut provisoirement dissimuler l'insuffisance d'une telle conception de la vie; mais je n'hésite pas à dire que cette évolution implique de grands dangers. Qu'une crise survienne, et on verra que, sous le voile brillant de cette activité qui éblouit, se cachent encore bien des misères, bien des larmes et même certaines tares, accrues par la prospérité même du pays.

Déjà d'ailleurs, en Allemagne, quelques esprits clairvoyants s'inquiètent du lendemain et redoutent des réveils terribles, même au point de vue scientifique et industriel; ils s'effrayent de l'abaissement qu'amène inévitablement l'abandon des spéculations désintéressées; ils craignent que le positivisme prétendu scientifique, qui déborde sur toutes les sphères de l'activité nationale, ne tue la science allemande elle-même, après avoir tué la philosophie.

« La vie de l'esprit, me disait il y a quelques mois un des professeurs de l'Université de Berlin, est à demi morte en Allemagne. Les hautes spéculations n'intéressent plus personne. La science pure elle-même semble éclipsée par toutes ces applications pratiques qui sans doute sont sorties d'elle, mais qui la font oublier à beaucoup, de sorte qu'on peut craindre que ce positivisme scientifique dont nous sommes aujourd'hui si fiers ne finisse par tarir peu à peu la source même où il doit forcément s'alimenter. »

Mais c'est surtout des difficultés sociales qu'il est impossible à un regard perspicace de ne point s'alarmer. La formation de ces immenses agglomérations industrielles, au sein desquelles les idées subversives fermentent si aisément, pourrait compliquer d'une façon formidable le problème de l'avenir. Qu'un simple ralentissement se produise; et ces masses ouvrières, tranquilles aujourd'hui parce que le râtelier est bien garni, ne se résigneraient sans doute pas à une situation amoindrie. L'Allemagne déclinerait peut-être d'autant plus vite que d'une part la situation des classes agricoles n'est pas brillante, que, d'autre part, elle a plus complètement abandonné ces vues désintéressées qui nous ont placés au premier rang

Le nouvel Empire n'a donné naissance à aucun mouvement littéraire vigoureux. Ce qu'il a produit, c'est le criticisme pessimiste... » Cet article peut être rapproché d'une étude de M. L. Bamberger dans la revue Die Nation, qui se montre sévère pour la bourgeoisie allemande : « Elle s'est laissé éblouir par Bismarck, le doctrinaire de l'isolement, l'apôtre des haines de race, le défenseur des privilèges des agrariens. Bismarck n'a aucunement développé le sens politique des classes moyennes et leur abaissement est profond. » V. aussi le livre curieux de Wilhelm Unde, Amgrabe der Mediceer, Florentiner Briefe über deutsche Kultur, 1899. L'auteur prétend que la civilisation actuelle de l'Allemagne, en dépit du sentiment de satisfaction qu'éprouvent la plupart des Allemands, « est extrêmement basse » (p. 121). La politique bismarckienne a été funeste. Le développement de la « technique » a rabaissé les Allemands au rang de « manœuvres », la recherche du confortable étouffe les grandes pensées et amollit les caractères. L'enseignement, incliné trop exclusivement vers les realia, ne permet même plus aux enfants « d'apprécier le génie » et il empêche le réveil de « l'individualité ».

QUEST. DIP. ET COL. T. IX.

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