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glais couchèrent sur leurs positions; mais le lendemain lord Methuen ordonna la retraite sur le camp de Modder-River. Voici la dépêche officielle par laquelle il annonçait ce mouvement:

Modder-River, le 12 décembre, 7 h. 30 m. soir.

Les Boers ayant occupé les retranchements en force, ce matin, je me suis retiré en excellent ordre et je suis ici en toute sécurité.

D'après ce que disent les prisonniers et les Boers qui ont parlé à nos ambulanciers, les pertes de l'ennemi auraient été terribles, quelques détachements ayant été anéantis.

Les Boers ont fait preuve de la plus grande bonté envers nos blessés.

METHUEN.

La liste, publiée par le War Office, des pertes subies par la colonne Methuen avouait 827 tués blessés et manquants dont 15 officiers tués, 40 blessés et 3 prisonniers. La brigade des highlanders avait, à elle seule, 650 tués ou blessés.

La garnison de Kimberley n'avait pas répondu au canon et n'avait pas bougé pendant le combat, ce qui a pu faire craindre qu'elle n'était pas en état de risquer une sortie.

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Par cette défaite grave, lord Methuen se trouvait dans une situation difficile, pour ne pas dire alarmante. Incapable dorénavant de poursuivre la levée du siège de Kimberley qui restait ainsi livrée à ses seules ressources, il devait être également dans la presque impossibilité de s'éclairer utilement dans un rayon de quelques milles. En somme, il était réduit pour ainsi dire à l'état d'un assiégé. Et de fait, depuis l'affaire de Maggersfontein, on n'a plus guère reçu de nouvelles de l'infortunée colonne de secours.

On était encore, à Londres, sous le coup de l'émotion douloureuse provoquée par la défaite de lord Methuen, lorsque la nouvelle arriva, comme un coup de foudre, d'un désastre nouveau encore plus grave dans ses conséquences. Le 16 décembre, le War Office communiquait la dépêche suivante du général en chef de l'armée sud-africaine:

Camp de Chieveley, 15 décembre, 8 h. 20.

Regrette d'annoncer revers sérieux.

Ce matin, à quatre heures, j'ai quitté mon camp, près de Chieveley, avec toutes mes troupes. Sur la Tugela, il y a deux endroits où l'on peut passer à gué, et je me proposais de forcer le passage de la rivière à l'un de ces deux endroits qui sont séparés par une distance d'environ deux milles.

J'avais l'intention de forcer le passage avec une brigade appuyée par une brigade centrale. Le général Hart devait attaquer à gauche, le général Hildyard, sur la route à droite, et le général Lyttelton, au centre, pour appuyer les deux,

Je ne tardai pas à me convaincre que le général Hart ne parviendrait pas à forcer le passage, et je lui donnai l'ordre de se retirer. Il avait attaqué

avec la plus grande bravoure, et son premier bataillon, les ConnaughtRangers, a subi des pertes élevées. Le colonel Brooke a été grièvement blessé.

J'ai donné ensuite au général Hildyard l'ordre de s'avancer, ce qu'il fit, et son premier régiment, le East-Surrey, occupa la station de Colenso et les maisons situées près du pont.

On me dit alors que toute l'artillerie que j'avais envoyée à l'appui de cette attaque, deux batteries de campagne et six canons de marine à tir rapide, le tout commandé par le colonel Long, s'était avancée près de la rivière pour être à portée effective.

Soudain, l'ennemi embusqué ouvrit un feu nourri à bout portant. Tous les chevaux de l'artillerie furent tués et les artilleurs ont dû rester à pied auprès de leurs pièces.

Une partie de nos troupes se sont abritées dans un « donga », et on fit des efforts désespérés pour sauver les pièces d'artillerie; mais, sous le feu effroyable, on n'a pu sauver que deux pièces.

Le capitaine Schofield et certains artilleurs se sont particulièrement bien conduits.

Sur 18 chevaux, 13 furent tués, et plusieurs artilleurs conducteurs étant blessés, j'ai renoncé à une nouvelle tentative.

Etant d'avis qu'il serait inutile de sacrifier des vies à de nouvelles tentatives de forcer le passage sans appui d'artillerie, j'ai donné l'ordre de la retraite, qui s'est effectuée en bon ordre.

Pendant toute la journée, des forces considérables ennemies menaçaient mon flanc droit. Ces forces furent tenues en échec par les troupes montées, sous le commandement de lord Dundonald, et par une partie de la brigade du général Barton.

Les troupes, qui ont dû supporter une chaleur accablante, se sont conduites d'excellente façon.

Nous avons abandonné dix canons et un autre a été détruit par le feu de l'artillerie ennemie.

Je crains que les pertes de la brigade du général Hart ne soient considérables. J'espère, toutefois, que la proportion d'hommes grièvement blessés ne sera pas élevée.

Les 14° et 77° batteries de campagne ont également subi des pertes.
Nous nous sommes retirés dans notre camp de Chieveley.

REDVERS BULLER.

Une communication ultérieure du War Office accusait comme pertes un total de 1.097 dont 82 tués, 667 blessés, 348 manquants. Pour les officiers, les pertes se décomposaient ainsi : tués 6, blessés 42, prisonniers 15, manquants 3.

La dépêche de sir Redvers Buller était, sur certains points, bien mystérieuse. Que faisait donc, pendant le combat, la garnison de Ladysmith? Pourquoi les troupes de sir George White, qui pourtant se sont maintes fois signalées par des sorties audacieuses, étaientelles restées inactives cette fois ? Pourquoi sir Buller n'avait-il pas songé d'abord à prendre Colenso avant de lancer ses troupes au pas

sage de la Tugela ? Comment n'avait-il pas du moins songé, puisqu'il disposait d'une force relativement considérable, à diviser l'ennemi en dispersant son attaque sur plusieurs points? Et surtout qu'était devenu le général Clery dont aucune mention n'était faite et qui, cependant, avait dû avoir sa part à cette journée?

Toutes ces questions ont été posées et discutées dans la presse, dans le public. Aucune n'a encore reçu de réponse. Le War Office reste muet. Le Times, le Daily Telegraph, le Daily Mail ont bien publié des télégrammes relatifs à la bataille du 15; mais toutes ces dépêches sont visiblement si tronquées, qu'elles ne jettent aucune lumière sur la dépêche officielle du général Buller. Tout au plus ont-elles confirmé ce que l'on savait déjà de l'extraordinaire négligence des chefs de l'armée anglaise en ce qui concerne le service des reconnaissances el des éclaireurs, et ont-elles appris que les canons, abandonnés par les Anglais, étaient bien tombés entre les mains des Boers. Une dépêche assez singulière avait, en effet, un moment prétendu que ces canons étaient restés entre les deux camps et que l'ennemi n'avait osé s'en emparer. Ce n'était là qu'une plaisanterie peu en rapport avec la gravité des faits.

Disons, toutefois, que de récentes dépêches ont affirmé que le général Clery assistait bien à l'engagement de la Tugela et qu'il y avait même été légèrement blessé. L'absence de son nom dans les dépêches officielles serait dû uniquement au désir chevaleresque de sir Redvers Buller de faire retomber sur lui seul la responsabilité de la défaite.

Enfin un télégramme du camp de Chieveley, daté du 17 décembre, dit que, au cours de l'engagement du 15 décembre, un éclat d'obus perdu est venu frapper le général Buller au côté, enlevant légèrement la peau.

A la suite de la dépêche de sir Redvers Buller, lord Salisbury convoqua immédiatement un conseil de cabinet qui prit des décisions d'une grande importance; lord Frederick Roberts, commandant en chef en Irlande, le vainqueur de Candahar, a été nommé commandant en chef en Afrique australe; le major général lord Kitchener de Khartoum, le vainqueur d'Omdurman, lui est adjoint en qualité de chef d'état-major.

Lord Roberts est âgé de soixante-sept ans ; il a fait ses premières armes en Crimée et servi avec une grande distinction pendant la révolte de l'Inde. De l'artillerie, il passa dans l'état-major et fut attaché, pendant la campagne de l'Abyssinie, à l'état-major de lord Napier de Magdala. Appelé, en 1878, au commandement de l'armée anglaise en Afghanistan, il se distingua par les plus brillantes qualités militaires, obligea le prétendant à lever le siège de Candahar et lui infligea une série de défaites qui mirent fin à la campagne.

Lord Kitchener est trop connu pour qu'il soit utile de rappeler sa carrière. Le vainqueur d'Omdurman appartient à l'arme du génie ; incontestablement, c'est un organisateur de grande valeur: sa marche sur Khartoum, combinée avec la construction du chemin de fer de la Haute-Egypte, lui a valu une grande notoriété, justement méritée.

Il est probable que, si le Cabinet britannique n'avait été lié par la règle hiérarchique, il eût donné à lord Kitchener le commandement en chef en Afrique australę.

Lord Roberts a su qu'on faisait appel à son dévouement au moment où il apprenait la mort du dernier de ses fils, le lieutenant Frederick Hugh Sherstoen Roberts, du King Royal Rifles, qui avait été grièvement blessé à la bataille de la Tugela.

Après avoir pourvu au commandement, le gouvernement britannique prit une série de résolutions pour renforcer l'armée de l'Afrique australe; voici, sur ce point, le communiqué qui a été affiché au War Office:

Sur l'avis des autorités militaires, le gouvernement a approuvé les mesures suivantes :

Toutes les fractions non encore convoquées de la réserve seront appelées. La 7° division, dont la mobilisation est en train, partira pour l'Afrique du Sud sans délai, ainsi que des renforts d'artillerie, qui comprennent une brigade d'obusiers.

Le commandant en chef de l'Afrique du Sud est autorisé à continuer à lever, autant qu'il le jugera nécessaire, des corps d'infanterie montée, et il est entendu qu'on enverra également des forces considérables de la même arme de la métropole.

Neuf bataillons de la milice, outre les deux bataillons qui se sont déjà engagés volontairement pour Malte et celui qui s'est engagé pour le service dans les îles de la Manche, seront autorisés à contracter des engagements volontaires pour le service hors du Royaume-Uni, et un nombre équivalent d'autres bataillons de la milice les remplaceront dans le service à l'intérieur.

Un fort contingent de volontaires, choisis dans la yeomanry, sera constitué pour servir en Afrique du Sud.

Des mesures ont été prises: elles seront annoncées prochainement, pour l'envoi dans le sud de l'Afrique d'un fort contingent de volontaires choisis avec soin.

Les offres patriotiques reçues des colonies seront acceptées autant que possible.

C'est, on le voit, la levée en masse, l'appel de toutes les forces de l'Empire britannique.

Et maintenant le War Office est plus silencieux que jamais. On ne sait presque plus rien du théâtre de la guerre.

On a appris que lord Methuen s'est fortement retranché et est décidé à ne pas reculer sur le camp d'Orange-River. Il occupe ainsi

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l'adversaire et l'empêche de porter toutes ses forces sur Kimberley. Le dernier télégramme reçu de lui est du 18 décembre. D'après ce télégramme, les Boers continuent à construire des retranchements.

Leurs défenses partent de la Modder river, sur la rive gauche, et s'étendent le long de la plaine jusqu'aux contreforts qui aboutissent à la chaîne montagneuse au delà de la voie ferrée. Les Boers construisent des ouvrages de campagne dans la petite plaine à droite de leur centre jusqu'à la ligne de kopjes de leur extrême droite. Ils ont ainsi établi au nord du camp anglais une ligne fortifiée de près d'une vingtaine de milles de longueur; mais le camp anglais est dans une position admirable pour la défensive. La colline la plus proche est à cinq milles de distance et le pays d'alentour est presque absolument plat.

Le général Gatacre s'est retiré sur Sterkstroom avec ses approvisionnements et l'on n'a aucune nouvelle de lui depuis le 16. A cette date, les Boers se massaient en grandes forces dans le camp abandonné par les Anglais près de Stormberg.

Le général French a établi son quartier général à Arundel et on n'a pas un mot de lui.

Le général sir Charles Warren, commandant la 6e division, est à De Aar où il attend la concentration de ses régiments et de ses batteries.

De Kimberley, de Mafeking, de Ladysmith on n'a absolument rien. Les nouvelles manquent à un tel degré que les journaux anglais essayent de donner de l'importance à des télégrammes de Lourenço-Marquez annonçant que la colonne volante de volontaires anglais, commandéepar le colonel Plumer, partie de Tuli, a été vue le 3 décembre sur le territoire du Transvaal, à un point situé sur la route carrossable à 50 milles de Pietersburg.

Par suite de l'extrême sécheresse, la reconnaissance n'a pu êtrepoussée plus avant et la colonne est rentrée le 8 décembre. Une crue soudaine du Limpopo a rendu impossible toute nouvelle reconnais

sance.

Les troupes boers qui opéraient dans le voisinage de Tuli sont parties, et les villes de Tuli et Maklatsi ont été occupées par les troupes du colonel Plumer.

Il n'est pas sensé de voir là une tentative d'invasion du Transvaal par le nord. La colonne Plumer est trop faible. Il ne s'agit évidemment que d'un raid de partisans.

Sur un seul point on a des renseignements certains, bien que d'un laconisme voulu. On ne peut plus douter aujourd'hui du soulèvement en masse des Africanders.

Tout le nord du Cap est en insurrection ouverte. Les autorités anglaises, coloniales et militaires, ne songent plus à le nier.

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